Développement de l'enfant

Quand les trajectoires de croissance font du hors-piste

À quoi servent les courbes de croissance ? En cas de petite taille, quand un traitement est-il justifié ?

À quoi servent les courbes de croissance ? En cas de petite taille, quand un traitement est-il justifié ? Des questions qui peuvent traverser les parents dont l’enfant ne correspond pas aux standards.

À chaque visite chez le pédiatre ou le médecin de famille, le rituel est le même. On sort le mètre et le pèse-personne pour relever taille, poids et périmètre crânien. Trois mensurations reportées sur les courbes de croissance. Mais au fait, à quoi servent les courbes de croissance ? Claudine Heinrichs, responsable de l’unité d’endocrinologie pédiatrique de l’Huderf (hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola), explique : « la croissance est un reflet de l’état de santé de l’enfant. Elle témoigne de son bon développement. Les courbes sont comme des couloirs et l’enfant est sensé suivre son couloir ».
Avec ses 47 cm pour 2,100 kg à la naissance, à terme, Ninon* est un petit gabarit qui ne semble pas rentrer dans son couloir. Ce qui fait penser à l’équipe médicale à un retard de croissance intra-utérin qu’il faut suivre. Quelques mois plus tard, le pédiatre se montre inquiet : le retard de croissance ne s’est pas résorbé. Ninon se situe en dehors des courbes de croissance, en-dessous du percentile 1 (voir encadré). Commence alors pour le bébé toute une batterie de tests.
« On a tout eu, des examens de thyroïde, des bilans hormonaux, des tests pour vérifier la bonne absorption des aliments, d’autres pour exclure une maladie cœliaque, une écho doppler pour s’assurer du bon fonctionnement des organes », relate Alizée*, sa maman.

Objectiver la donne

 « Dans un cas de retard de croissance anténatal non rattrapé, un examen clinique complet est nécessaire pour s’assurer que la croissance est harmonieuse et que les évolutions des courbes de poids, de taille et de périmètre crânien concordent », explique Claudine Heinrichs.
Un autre critère est à prendre en compte pour le bon suivi : la taille familiale. « Il s’agit d’évaluer si l’enfant est petit par rapport à ses parents. Pour ce faire, on calcule une moyenne entre la taille des deux parents à laquelle on ajoute ou on retire 6,5 cm. Cela permet d’obtenir une fourchette de zone de croissance familiale », explique Philippe Lysy, pédiatre endocrinologue à Saint-Luc.

Claudine Heinrichs - Responsable de l’unité d’endocrinologie pédiatrique de l’Huderf
« La petite taille est assez commune et, même en 2022, on n’a pas le pouvoir de choisir sa taille »
Claudine Heinrichs

Responsable de l’unité d’endocrinologie pédiatrique de l’Huderf

Dans le cas de Ninon, les tests et la taille familiale ne fournissent aucune explication. Âgée aujourd’hui de 4 ans, la petite fille vient de recevoir les résultats d’une dernière analyse génétique. Après plus de trois ans d’investigation, les parents de Ninon sont résolus à dire stop.
« Si notre fille présentait un retard de développement, on serait les premiers à vouloir creuser mais, là, on estime qu’on frôle l’acharnement, estime Alizée. Elle n’est jamais malade et ça fait quatre ans qu’on cherche à tout prix à la faire rentrer dans les standards. »
Victor* a 4 ans aussi quand son médecin généraliste s’inquiète de sa petite taille. Une IRM (imagerie par résonnance magnétique) décèle un dysfonctionnement au niveau de l’hypophyse, glande qui produit l’hormone de croissance. Victor n’en fabrique pas, ce qui explique sa stagnation. Le déficit hormonal n’est pas simple à identifier et nécessite plusieurs analyses.
« L’hypophyse travaille de façon pulsatile avec des pics de production principalement pendant le sommeil. L’équipe médicale aurait pu passer à côté sans le recoupement de plusieurs examens », explique Claudine Heinrichs.

Faire la part des choses  

Depuis son diagnostic, Victor reçoit un traitement pour compenser son déficit sous la forme de piqûres, par injection sous-cutanée. Un traitement au long cours accompagné d’un suivi régulier pour adapter les doses au fur et à mesure. « Aujourd’hui, donner de l’hormone de croissance à un enfant implique de suivre des règles bien précises et strictes. Seuls les pédiatres qui exercent en milieu universitaire peuvent les prescrire », commente Philippe Lysy.
Le traitement par hormone de croissance peut également être donné dans des cas de maladies rares (anomalie génétique, insuffisance rénale). Chaque nouvelle demande de traitement est soumise à la société belge d’endocrinologie pédiatrique, qui remet un avis consultatif avant de passer par l’approbation de la mutuelle.
Ces étapes permettent de faire la part des choses entre un cas de petite taille qui n’appelle pas d’intervention et un cas pour lequel un traitement par hormone de croissance est indiqué. Des balises nécessaires selon Claudine Heinrichs. « Certains parents poussent la porte de la consultation inquiets et voudraient qu’on leur propose un traitement qui fasse grandir leur enfant. Mais, dans la majorité des cas, il n’y a pas d’indication au traitement. La petite taille est assez commune et, même en 2022, on n’a pas le pouvoir de choisir sa taille ».
Autre cas de figure qui peut justifier le recours à un traitement : le retard de croissance lié à la puberté. Là aussi, le facteur famille entre en ligne de compte. « Il y a des familles où les retards de croissance se transmettent de génération en génération », observe Philippe Lysy. Le traitement consiste dans ce cas à stimuler la puberté en donnant des hormones sexuelles, la testostérone pour les garçons, qui sont davantage concernés, et l’estradiol pour les filles.
Outre le volet médical, se pose aussi pour les parents la question de l’approche psychologique. Que faire quand son enfant ne correspond pas aux standards ? Pour les parents de Ninon, l’enjeu est clair : que leur fille s’accepte telle qu’elle est. « Notre rôle, c’est vraiment de l’outiller pour qu’elle ait confiance en elle ». La question du traitement n’est pas à l’ordre du jour, mais la porte n’est pas fermée. « Il sera encore temps de se poser la question si cela devient handicapant pour elle ».
Carine*, la maman de Victor, a essayé de déconstruire les clichés et de relativiser la question de la taille avant d’opter pour un accompagnement psychologique. « Je prenais en exemple un de ses cousins, petit aussi, qui avait des tas de copains, jouait bien au foot et réussissait à l’école ». Mais cela n’empêche pas Victor d’avoir des moments de cafard. « Il se repliait sur lui-même et ne parlait pas facilement de son complexe. Je lui ai proposé de consulter une psy pour qu’il puisse déposer sa souffrance et qu’il ait un lieu à lui pour en parler ».

* Prénoms d’emprun

EN SAVOIR +

Les courbes de croissance

Les courbes de croissance mesurent le poids, la taille et le périmètre  crânien d’un enfant. Elles se déclinent par sexe et par âge. Lorsqu’on rapporte une mesure au regard de l’âge et du sexe, on obtient un percentile (P), terme statistique qui se base sur les mesures d’une population de référence en bonne santé. Si votre enfant a un percentile 3, cela signifie que 2% de la population a une taille inférieure à la sienne.
Philippe Lysy explique que la courbe de croissance utilisée en Belgique se réfère à une population flamande et questionne la pertinence de cette référence dans notre société belge de plus en plus mixte et plurielle. Claudine Heinrichs partage ce questionnement. « Dans mes consultations à l’Huderf, je n’utilise jamais les courbes flamandes, je préfère me référer aux courbes anglaises ou celles de l’OMS qui se rapportent à une population plus mixte. Je risquerais sinon d’inquiéter inutilement un certain nombre de familles ».

LES PARENTS EN PARLENT...

Une tête de plus
À la naissance, Alexandra mesurait 57 cm. Aujourd’hui, à 14 ans, elle mesure 1m82. Impossible pour ses parents de tracer un petit point sur une courbe de croissance du carnet ONE reçu à sa naissance, elle est au-dessus du percentile 97.
Surnommée parfois « la girafe », Alexandra ne semble pas complexée par sa taille. « Elle avait une fente labiale à la naissance et a dû subir beaucoup d’opérations, sa taille est passée au second plan de nos préoccupations », explique Stéphanie, sa maman.
Seul bémol, depuis toujours, Alexandra fait plus que son âge. « Partout où on va, je reprécise son âge parce qu’il y a souvent des malentendus. À 4 ans, on me dit qu’elle ne parle pas bien parce qu’on croit qu’elle en a 7. À 14 ans, on lui parle études supérieures et permis de conduire parce qu’on pense qu’elle en a 18. Il y a toujours un décalage ».
La question du poids peut aussi être sensible lorsqu’elle n’est pas mise en perspective avec sa taille. « Les visites médicales signalent souvent ‘un poids à surveiller’, alors que si on le met en perspective de la taille, il n’y a pas de surpoids », relativise Stéphanie. Dorénavant, Stéphanie s’en remet à son médecin généraliste en qui elle a toute confiance pour le suivi médical de sa fille. « Notre médecin a une bonne attitude, à la fois à l’écoute de ses questionnements, rassurant tout en faisant le suivi médical nécessaire », conclut Stéphanie.