Société

Le Ligueur est allé à la rencontre d’une femme, institutrice maternelle, et d’un homme, papa de trois enfants. Aucun des deux ne se reconnaît dans l’éducation non genrée, mais tous deux font de la liberté une valeur fondamentale de l’éducation qu’ils donnent.
Dans la classe maternelle de Pascale
Un jeudi matin de juin, le Ligueur retrouve l’équipe de Télévision du monde pour un reportage dans la classe verticale de Pascale, institutrice maternelle à l’école des Bruyères de Louvain-la-Neuve. Pour ne pas perturber la classe, nous nous faisons aussi petits que possible et observons les enfants de 1re, 2e et 3e maternelle vaquer à leurs occupations.
Au programme de la matinée : activités libres. Ici, quatre, cinq enfants sont rassemblés sur des coussins au coin lecture. Là, d’autres sont attablés autour de jeux éducatifs. Au fond de la classe, trois copains disposent des cubes d’animaux et racontent leur mise en scène. Dans ce groupe classe, il y a aussi ceux qui s’appliquent, langue tirée et front baissé, à dessiner quand d’autres ont la bougeotte et profitent du module de jeux à l’extérieur. Un établi, un espace poupées et un atelier en terre glaise complètent le décor mais n’ont pas trouvé preneur ou preneuse.
Ce qui surprend, c’est le calme et la sérénité qui règnent dans la classe. Pascale, institutrice de la classe, avance une explication. « Je prête une grande attention au respect du rythme de l’enfant, c’est d’ailleurs ce qui a motivé le passage à une classe verticale pour permettre à chacun d’aller à son rythme ». Pascale laisse l’enfant orienter son choix librement. Comme les activités sont libres, il n’y a pas de réprimande pour un retour au calme. On sent aussi une satisfaction des enfants d’être à la manœuvre quant à leur programme.
Cette liberté éducative serait-elle l’antithèse du sexisme ordinaire ? Au lieu de limiter le champ des possibles et de cantonner l’enfant à certains choix, il est question ici d’autonomie dans le choix d’activité, de liberté de mouvement et même de choisir en quelle compagnie on souhaite être.
Quand on l’interroge sur l’attention qu’elle porte au genre dans sa classe, l’enseignante répond : « J’essaye d’être consciente de toutes les petites choses qu’on véhicule sans s’en rendre compte. D’accepter aussi bien un comportement chez une fille que chez un garçon ».
Pascale donne l’exemple d’une séparation compliquée le matin même entre un papa et son fils. « Je sentais bien que le papa était gêné par les pleurs de son fils. Parce qu’il y a cette attente qu’un garçon, ça ne pleure pas. En quoi le garçon aurait-il moins le droit de pleurer pour exprimer une difficulté de séparation ? », questionne Pascale.
Cette ouverture, on la retrouve aussi dans les propos des enfants que l’on interroge. « Y a pas de couleur de fille, ni de couleur de garçon », entame Mathis. « Moi, j’suis une fille et j’ai bien le droit d’avoir des courts cheveux », poursuit Lucia. « Une fille, ça a une zézette et ça n’a pas de zizi », conclut Ysaline.
On attendait le cliché, il n’est pas venu. Pascale confirme : « On est dans un milieu privilégié. Dans ma classe, je constate globalement une grande ouverture. Bien sûr, il y a des stéréotypes qui surgissent parfois. Dans ce cas, j’essaye de renvoyer la question aux enfants ».
Pascale se souvient avoir entendu un jour : « Les garçons sont plus forts ». L’enseignante questionne : « Qu’est-ce qui te fait penser ça ? Parce qu’ils courent plus vite », répond un élève. « J’ai organisé une course pour les aider à objectiver. On s’est aperçu que certains garçons couraient plus vite et d’autres non. Donc on ne pouvait pas en faire une généralité ».
Quand on l’interroge sur le terme qu’elle mettrait derrière l’éducation qu’elle pratique auprès des enfants, Pascale hésite. En revanche, son intention est claire : « Ce que je pratique, c’est une éducation dans laquelle les enfants trouvent leur place et se sentent bien. Qu’aucun, ni aucune ne se sente stigmatisé·e du fait de son genre, de son origine, de sa culture... Mon but, c’est qu’il y ait le moins de mal-être et le plus de liberté pour chacun·e ».
Dans la famille d’Ysaline
L’école est un lieu de socialisation, la famille en est un autre. C’est dans celle d’Ysaline, élève de Pascale, que le reportage se poursuit. Une semaine sur deux, Ysaline vit chez son papa à Court-Saint-Étienne avec son grand frère Ulysse et sa grande sœur Capucine.
Après les présentations d’usage, nous entrons dans le vif du sujet et demandons à Charles-Antoine s’il se réclame d’une éducation non genrée. « Si c’est un produit à vendre, ça sonne mal, plaisante-t-il. J’essaye plutôt de mettre en place une éducation libre, douce et bienveillante. Libre, dans le sens de ne pas projeter mes enjeux et attentes parentales sur mes enfants ».
On nous l’avait prédit et voilà que le mot liberté sort spontanément chez Pascale et Charles-Antoine, à la croisée des trajectoires éducatives et parentales. « J’ai l’impression qu’on se retrouve avec Pascale dans le fait de laisser la liberté aux enfants de faire leurs propres choix. Du coup, les genres s’effacent, car on ne pousse pas les enfants dans une direction », analyse le papa.
Dans cette approche éducative commune, l’adulte s’efface pour laisser l’enfant être acteur de ses choix. Bien sûr, il est là pour poser le cadre, mais c’est l’enfant qui est à la manœuvre pour décider d’une couleur, d’un vêtement, de la musique qu’il a envie d’écouter ou de l’activité extrascolaire dans laquelle il ou elle s’impliquera. C’est d’ailleurs cette orientation pédagogique qui a motivé Charles-Antoine dans le choix de cette école.
« Ce que j’aime dans cette école, c’est que c’est l’enfant qui va être le moteur de son développement. On vit dans une société où les gens ne savent pas toujours ce dont ils ont envie, je n’ai pas envie que mes enfants se retrouvent à 35 ans en réalisant qu’ils n’ont pas fait les bons choix parce qu’ils n’étaient pas libres. »
À 6, 9 et 12 ans, Ysaline, Ulysse et Capucine ont encore bien le temps pour poser leurs choix de carrière. Mais en ce qui concerne les centres d’intérêt et activités extrascolaires, le pilotage est déjà assuré. Capucine a fait de la gymnastique sa passion et s’entraîne douze heures par semaine. Dans son entourage, Charles-Antoine a déjà essuyé quelques remarques à ce sujet.
« J’ai des amis qui me disent ‘Fais attention, elle risque d’être trop musclée, c’est pas beau les filles avec trop de carrure, en plus elles n’ont pas de seins’. Moi, je ne me vois pas l’empêcher de faire ce qu’elle aime au nom de l’apparence qu’on attend d’elle », assume le papa. On nous avait prévenus, le sexisme ordinaire peut parfois revêtir les habits de la bienveillance.
Avoir la liberté de sortir des cases pour faire ce qu’on aime, Capucine peut y goûter, contrairement à Charles-Antoine qui a dû renoncer, enfant, à la danse classique. « Mes parents m’avaient inscrit à un cours quand j’étais en 1re primaire. J’étais le seul garçon, mais ça ne me paraissait pas anormal. Plus tard, les grandes filles du groupe qui n’avaient rien trouvé à redire à ma présence lors du cours m’ont humilié dans la cour de récréation », se souvient le papa qui n’a pas osé persévérer après les moqueries. Un abandon d’autant plus regrettable que la danse classique manque de danseurs masculins.
Retour avec Pascale, qui, depuis plus de 20 ans qu’elle exerce le métier d’institutrice, constate que quand on n’induit pas de pensées genrées ou limitantes, l’enfant fait preuve d’une grande ouverture. Voilà ce qui réjouit l’institutrice qui se souvient d’une phrase de Christine Taubira, ancienne ministre de la Justice française : les inégalités dans le monde trouvent leur origine dans l’inégalité entre les hommes et les femmes. « Si on y est attentif, ça peut changer beaucoup de choses », conclut-elle.
LES MOTS DES ENFANTS
Le rose, c’est pour les filles ?
- Mathis, 5 ans : « Moi, j’ai une copine, elle aime bien le noir. Eh ben, ses copines, elles lui disent qu’elle doit aimer que le rose parce que c’est une fille. Moi, je trouve que ça c’est pas juste ».
- Léo, 5 ans : « Par exemple, Mathis, il aime bien le rose et c’est un garçon ».
- Ysaline, 6 ans : « Je pense qu’il n’y a aucune couleur pour les filles ou pour les garçons. Pareil pour les jeux ».
À LIRE AUSSI