Développement de l'enfant

Racketteur, où es-tu ?

Le racket n’est plus du tout sous le feu des projecteurs. Comme si le phénomène avait disparu. Pourquoi donc ? Ne rackette-t-on plus au Royaume ? Ou alors, les racketteurs seraient-ils couverts par des sujets plus accaparants ? Allons voir ce qu’il en est, autant chez les victimes et les auteurs que du côté des asbl de terrain et de la police. Petite enquête au cœur d’un contre-phénomène.

Si vous deviez citer les maux de l’école aujourd’hui, les mots « harcèlement » ou « radicalisation » vous viendraient à l’esprit. Plus du tout le mot « racket », pourtant sur toutes les lèvres il y a encore quelques années. Il s’agissait de l’ennemi numéro 1.
En Belgique, en Suisse, en France, au Canada, articles-fleuves, études millimétrées, artillerie lourde étaient brandis. Le racketteur était traqué jusque dans les moindres recoins de l’école. Il incarnait la figure du mal dans les feuilletons télévisés ou dans la littérature pour ados. Et aujourd’hui… plus rien. C’est donc qu’il a disparu ?

Le racketteur a-t-il rangé son cran d’arrêt ?

Pourtant, dès que l’on traite de sujets sur l’école au Ligueur, ceux qui la font évoquent des vols et des agressions. Comme en témoigne Cynthia, enseignante du primaire dans le Hainaut. « En quinze ans d’enseignement, j’ai été mutée pas mal de fois dans des établissements différents. Et j’ai l’impression que ces histoires de vols ne font qu’empirer. Alors, on va peut-être me dire que le vol ponctuel, ce n’est pas du racket. Je ne maîtrise pas tous les aspects techniques. Seulement, plus personne n’y est sensibilisé. Comme si on se disait ‘Ça va, tant que ce n’est pas du harcèlement’… ».
À ce stade de l’article, autant le révéler : tous les intervenants de l’article nous ont confirmé que le harcèlement - grand spectre protéiforme - avait en quelque sorte absorbé le phénomène. Pour le commissaire Goffinet, de la police de Wavre, le racket n’est plus en vigueur. « Ce qui est compliqué, c’est qu’il n’est pas inscrit dans la loi. On ne va pas enregistrer un PV sous la mention ‘racket’, comme on peut le faire avec le harcèlement ou le cyber-harcèlement ».
On se tourne vers Noémie Simon, avocate, qui ne partage pas le sentiment du commissaire : « Le racket n’est pas considéré comme une infraction, mais il englobe quand même plusieurs délits : violence, vol, etc. Il est important d’expliquer aux parents qu’ils doivent porter plainte et qu’ils insistent bien auprès de la police pour enregistrer leur déposition. Il faut tout de même savoir que le parquet fait pression sur certaines tendances. Aujourd’hui, on peut imaginer aisément que les consignes sont, par exemple, ‘Une plainte pour cyber-harcèlement ? Tolérance zéro’. Plus le phénomène est médiatisé, plus les citoyens se sentent légitimes de porter plainte. Moins il l’est, moins les personnes auront le réflexe de déposer une plainte ». Noémie Simon a trouvé les mots, c’est précisément la médiatisation d’un phénomène qui pose question.

À l’ombre du harcèlement

Et dans le cas du racket, c’est même la « dé-médiatisation » qui nous interpelle. On retrouve Cynthia. « Je n’ai plus les dates en tête, mais autour de 2010, je me souviens que les écoles étaient inondées d’affiches sur le racket. C’était LE fléau. Puis, le harcèlement a tout aspiré. Cependant, si je vois tous les jours les dégâts que peut causer le harcèlement et que je suis 100 % d’accord avec la prévention autour, je trouve dangereux de tout englober dedans. Aujourd’hui, un élève qui se fait agresser pour son smartphone se dit ‘Allez, ça ne m’arrive qu’une fois, je n’ai pas à me plaindre par rapport à mon pote Romain qui lui se fait véritablement harceler’. Si les élèves, si les profs et tous les professionnels autour n‘ont plus les bons mots, tout se déroule dans un non-dit préoccupant ».
On décide alors tout simplement de se diriger vers des associations qui se consacrent encore au phénomène. Trop facile. Dans une vie de journaliste pré-Ligueur, j’en connaissais plein qui me livraient des témoignages édifiants. Elles ont toutes fermé. Ou elles se consacrent à autre chose.
Glissons-nous alors dans la peau d’un parent lambda et demandons à copain Google à qui se référer en cas de racket. Personne. Vous lisez bien. Et dans les guides sociaux ? Pas mieux. Heureusement, on sait qu’Infor-Jeunes y consacre encore un volet. On file toquer à leur porte. Ils nous confirment qu’aujourd’hui le terme racket est englobé dans le harcèlement.
Mais si le terme est désormais has been, la pratique l’est-elle pour autant ? Gwenaël Lahou, coordinateur de l’association, est partagé : « Il est vrai qu’aujourd’hui c’est très difficile à quantifier. D’autant plus qu’il y a une vraie confusion dans l’esprit des jeunes. On en voit qui nous parlent de harcèlement, alors qu’il s’agit bien de racket. Et tout ce qui concerne les agressions liées à l’argent, au matériel, on le place dans quoi, alors ? Le harcèlement est lié à une répétition. Or, il peut y avoir racket, sans harcèlement. Et vice versa ». Mais alors, vers qui se tournent les victimes ? Et le racketteur, on le laisse en roue libre ?

« Le harcèlement, c’est plus grave… » 

À mesure que l’on avance et que l’on multiplie les entrevues, on se sent mal pour les victimes. Sandrine Sanchez, ex-directrice de l’association Plus Fort chez nos voisins français à Marseille - qui a fermé elle aussi -, grande spécialiste internationale du phénomène et femme de terrain, nous rappelle que pour le racketteur, plus que l’objet, c’est le fait d’intimider qui a de l’importance.
Chez les moins de 10 ans, on est plutôt dans le trafic d'objets : goûters, jouets, cartes à collectionner, etc. Pour les adolescents, il est très vite question d’argent, de biens. Charlie, 12 ans, nous raconte, entouré de ses parents, l’enfer qu’il a vécu pendant presqu’une année scolaire.
Taiseux, il résumera son année par un sentiment qui a tout envahi : « J’ai eu peur. Sans arrêt. Pourtant je ne me suis jamais fait frapper. C’est pour ça que mes parents n’ont rien vu. Je redoutais d’aller à l’école. Je me suis éloigné de mes amis. J’ai commencé à me faire voler un petit jeu vidéo. J’ai menti en disant à mes parents que je l’avais perdu. Puis ça a été des baskets. Puis un pull. Ce n’était pas régulier. La personne qui faisait ça agissait seule. Elle le faisait subir à d’autres ».
La personne ? Charlie refuse d’en parler. Son père poursuit. « On l’a su à la fin de l’année, parce qu’un sweat d’une grande valeur a disparu, qu’il était soi-disant perdu et soi-disant signalé à l’école. Mais quand on a râlé auprès de la direction, on a bien vu qu’ils découvraient cette histoire. Là, Charlie a tout avoué. Mais il n’a jamais voulu donner le nom du racketteur ».
L’ado se justifie. « Un jour, je lui ai dit que mes parents étaient au courant. Que la direction l’était et que bientôt la police le serait. Il ne m’a plus jamais emmerdé et, après l’été, tout était oublié ». On a voulu en savoir plus auprès de la direction qui ne nous a pas donné de réponse. Charlie a-t-il été racketté ou harcelé ? Pour lui, pas de confusion possible. « Ah non, le harcèlement, ce n’est pas ça. Personne ne s’est moqué de moi ou m’a banni. Pour nous, à l’école, c’est autre chose. Le harcèlement, c’est plus grave… ».

Que faire ?

D’abord, comme le rappelle l’ex-directrice de Plus Fort, il n’est pas vain de rappeler à vos chérubins qu’ils ont plus d’importance que n’importe quel objet. Il est donc préférable de céder ce dernier plutôt que sa propre vie. Existe-t-il des signes visibles ? Oui. S’il n’en parlera jamais de lui-même, vous allez observer que votre petit dort mal, il ne s’alimente plus ou mal, il ne se livre plus, il s’isole. C’est là où vous intervenez.
D’abord, montrez que vous êtes préoccupés. Mettez-le dans une dynamique de parole. Il suffit de tendre la perche et demander, par exemple, s’il a passé une bonne journée. Il répondra de manière évasive. Évoquez votre propre journée, en alternant le bon comme le moins bon. Sans trop insister. L’être farouche va alors sortir de sa coquille, baisser sa garde et se mettre à parler de lui. Laissez défiler. Ne jugez pas. Valorisez-le au maximum. Son estime de lui est au plus bas.
À ce stade, votre enfant se sent coupable et faible. Plus tard, décidez d’une solution à plusieurs, en concertation avec l’école. Savoir s’il faut porter plainte ou non fait débat. On vous recommande de le faire, au moins pour remettre le phénomène sur le devant de la scène. « L’intérêt de porter plainte est de montrer à l’enfant que cette situation n’est pas normale. Parce qu’il sort de là en se demandant : comment aurais-je pu éviter cette situation ? », recommande Sandrine Sanchez. D’ailleurs, peut-on l’éviter ?

Racketté vs racketteur

Impossible d’anticiper le racket. Il sévit n’importe où. Auprès de n’importe qui. Cependant, ça ne vous empêche pas de rappeler quelques règles à vos petits. D’abord, la plupart des agressions se font à la sortie de l’école. Les racketteurs choisissent généralement des personnes isolées, dans des lieux à l’abri des regards.
Si votre enfant se fait approcher par des individus suspects, qu’il montre bien qu’il se sait suivi ou entouré, plutôt que de s’enfuir en courant. Il s’arrête, regarde son éventuel assaillant bien dans les yeux. Il se montre alerte et réactif. Et bien sûr, mieux vaut éviter les objets tape-à-l’œil, n’avoir qu’un minimum d’argent sur soi - ne jamais le montrer - et essayer de ne pas se déplacer seul.
Qui est le racketteur ? Sandrine Sanchez nous apprend qu’il arrive que lui-même soit racketté ou qu’il l’ait été. Très souvent, surtout chez les plus jeunes, il s’agit d’un jeu de bande, d’une sorte de rite de passage. L’agresseur le devient sous la pression d’un groupe. Quoi qu’il en soit, c’est un gamin qui éprouve des difficultés relationnelles et souffre parfois d'un rejet des règles et de l'autorité. Lui aussi a besoin d'aide. En tant que parent ou proche, il est également impératif d’écouter l’histoire des « auteurs ».
Selon la spécialiste, la solution la plus judicieuse pour le punir consiste à établir la sanction avec lui. Cette dernière a constaté à maintes reprises que les racketteurs sont les plus sévères à leur propre égard. L’exclusion sert rarement de leçon. La punition la plus bénéfique et la plus désagréable pour le fautif consiste à parler de lui. Tout l’enjeu est qu’il assimile, tout comme sa victime, que la loi du plus fort n’est pas acceptable.



Yves-Marie Vilain-Lepage

En savoir +

Le racket à l’école : un portail d'Infor Jeunes BW qui regroupe plein d’infos pratiques.

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