Crèche et école

Réapprendre à se comprendre

Réapprendre à se comprendre

La communication est un premier ingrédient pour soigner notre précieuse triangulation. À tous les niveaux, on souligne le manque. L’info est d’importance : ce triangle isocèle qu’est la relation autour de l’école serait moins obscur si on apprenait à plus s’y parler. Voyons comment le rendre plus lumineux.

► On ne peut plus se voir

Côté parents -  Aujourd’hui, une majorité de parents ne savent plus rien de ce qui se passe, parce que l’école ne nous dit rien. Le lien ? Au mieux quelques messages sur les règles en vigueur, quelques avertissements lapidaires quand notre enfant a des problèmes de discipline ou de mauvaises notes. Au pire, rien. Pour entretenir une relation avec l’école, le parent doit être hyper créatif. Ce n’est pas normal.

Côté élèves - Par exemple, dans mon école, on est une semaine sur deux en virtuel. Là, il faut aller chercher les infos pour connaître le planning et le programme que l’on va aborder. On avance au jour le jour.
La deuxième semaine, tu retrouves les potes, mais l’organisation change tout le temps et tu n’es pas au courant de la moitié des infos. Parfois, on est perdu, on ne nous dit rien, on ne sait rien. Le sentiment d’isolement est terrible.

Côté profs -  Ce manque de communication est parfaitement exact. Nous sommes les premiers à le déplorer, nous, les profs, comme tout le reste du personnel scolaire. Cette pénurie de communication, c’est devenu une composante de notre métier que l’on essaie de pallier, mais qu’on ne peut hélas contrer, notamment parce que ce sont souvent des soucis organisationnels qui ne sont pas de notre ressort.

Fabio, 17 ans  - Élève en rhéto
« J’allume mon ordi un lundi matin, bim, une interro sortie de nulle part. Je demande aux potes. « Ah, tu sais pas ? On a créé un nouveau groupe info sur Teams parce qu’on trouvait que la communication passait mal ». Mais bon, personne n’a l’air d’être au courant qu’il existe… »
Fabio, 17 ans

Élève en rhéto

► Comme on nous parle

Côté profs - On sent très nettement que les échanges que l’on a, tant avec les parents et beaucoup avec les élèves, se tendent. On est beaucoup de collègues à faire le constat que c’est très compliqué, à fleur de peau. Même entre nous, je pense qu’il faut réapprendre à se parler.

Côté élèves - On ne doit pas réapprendre, on doit apprendre tout court à se parler. Et puis je crois qu’on devrait apprendre à s’écouter. Ce serait une bonne base de communication non violente. Nous, les élèves, c’est sûr. Mais beaucoup de profs également. Une attaque personnelle devant toute la classe, ça fait des dégâts.

Côté parents - Ce qui me rend dingue ? Les différences de traitement. Quand je vois que dans certaines classes on invente des procédés pour se parler, se soutenir, s’informer, rester en contact, quoi. Et que dans d’autres, on nous envoie balader dès qu’on demande la moindre petite info. Je trouve ça trop dommage. Et je ne comprends pas qu’on ne mutualise pas à l’école les bonnes pratiques. Mais bon, cette incompréhension existait avant la crise, ça continuera après, non ?

► Chacun son rôle

Côté profs - Est-ce que tout ça ne serait pas un problème de compréhension ? Je lis par exemple les PV de l’association des parents de l’école. Les revendications exprimées y sont souvent trop individualistes, au cas par cas, et ne prennent en compte ni l’ensemble des parents, ni la façon de travailler des profs. Je crois que les parents ne comprennent pas toujours quelle est notre mission. Mais à notre décharge, nous ne sommes pas assez clairs. Je crois que la solution consisterait à montrer plus régulièrement comment on bosse. Comment on avance avec les enfants. Peut-être devons-nous faire preuve de plus de transparence sur notre façon de travailler, tout simplement ?

Côté élèves - Je veux bien, mais nous, nous savons qui sont nos parents et comment bossent les profs. Le problème, c’est qu’une communication ne fonctionne que s’il y a un échange. Mais nous ne sommes absolument pas écoutés. Ni par l’école. Ni par nos parents. Nous ne connaissons pas les organismes qui nous permettent de porter nos combats. Par exemple, c’est fou de se dire que l’on n’a pas notre mot à dire dans l’écriture ou la mise à jour du Règlement d’ordre intérieur (ROI). On communiquerait mieux si on travaillait ensemble.

Côté parents - Je me demande parfois s’il n’y pas une confusion des genres. Le rôle du parent ne consiste pas à rattraper le programme de l’année, mais à accompagner. Il ne consiste pas non plus à dire à un·e prof comment il ou elle doit bosser ou aiguiser sa pédagogie. De même que celui d’un·e prof ne consiste pas à éduquer un enfant. On devrait se dire en début d’année ce que l’on attend des autres, comment on doit coopérer. On commencerait là, dès cette rentrée, et, ponctuellement dans l’année, on ferait un point sur nos vœux. Qu’est-ce qui nous en empêche ?

L'ARBITRE

Ce qu'en dit Christophe Butstraen 

Je crois que les un·e·s et les autres disent la même chose : on a tou·te·s été mis au pied du mur. Rappelons qu’il y avait un déficit de communication bien avant le covid, mais attention à ce que cette année inhabituelle ne serve pas de prétexte.
La base pour n’importe quel·le prof, c’est de rencontrer les parents, faire les présentations, tracer les grandes lignes. Le problème, c’est qu’en tant qu’enseignant·e, on voit toujours les parents qu’on n’a pas envie de voir. Ceux à qui on ne peut pas apporter grand-chose : les plus impliqués, dont les enfants vont mener une scolarité sans heurts. La crise a accentué ce fossé.

FAISONS-NOUS CONFIANCE

L’autre grand problème soulevé dans ce tour de table, c’est la façon dont les écoles ont dû combiner avec les circulaires. Ça a révélé à mon sens toutes les incohérences Régions/réseaux. Nous avons tou·te·s manqué de consignes claires et durables. Dès à présent, il est temps d’utiliser les outils qui existent. En envoyant un message clair et constructif aux parents : quand on ne comprend pas, on demande.
Le maître mot, c’est la confiance. Je crois qu’il y a une chose qu’il faut expliquer : à l’école, on ne fait jamais pour mal faire. On a toutes et tous des facultés d’adaptation hors du commun. Qu’on a mis en application d’une façon comme d’une autre. Dans ce chaos, on a géré. Rappelez-le. À l’arrivée, on a un taux d’échec qui est à peine supérieur aux années précédentes. On a une capacité inouïe à fonctionner ensemble. 

ET APRÈS ?

 Les solutions qui émergent de ce tour d’horizon

« Pour maintenir des liens, on doit être hyper créatifs ». On l’a mis dans la bouche des parents, mais toutes les parties sont unanimement d’accord là-dessus. Ce n’est pas normal, certes, mais c’est enthousiasmant. Cette rentrée 2021 peut être aussi l’occasion de se rassembler autour de projets collectifs, encouragés par des parties neutres, qui vont permettre à chacun·e de réapprendre à se parler. On cite souvent l’importance de généraliser les métiers d’accompagnement et de soutien intrascolaires (autour de la psychoéducation, de la médiation ou tout simplement les éducateurs/éducatrices). Ce lien en dehors du triangle semble si important, à vous de peser - et pourquoi pas ce Ligueur en main - pour qu’il existe. L’école n’a-t-elle pas réussi pendant cette crise à dépêcher des éducateurs/éducatrices ? Un pour une moyenne de 500 élèves. C’est donc possible.
Autre idée soufflée par la coalition de parents de milieux populaires : et si l’école se déplaçait hors les murs, qu’elle partait à la rencontre des parents, de tous les parents ? Juste pour dire bonjour, pour se présenter, pour comprendre la réalité de toutes ses familles. Et aussi pour montrer que cette question de compréhension mutuelle, plus que de communication comme le soulignent plusieurs parents, est vitale : elle est la marque d’une dynamique positive de l’école.