Vie pratique

En Belgique, les familles monoparentales représentent un ménage sur quatre. Un sur trois en Région bruxelloise. Entre précarité économique et charge mentale décuplée, ces parents esseulés expriment un besoin criant de lien social. À Bruxelles, la Maison des parents solos leur offre un temps de partage.
« Je me rends ici depuis l’ouverture de la maison, lance Axelle*. C’est un lieu sans pareil à Bruxelles, étant donné la spécificité de sa prise en charge ». Maman d’une petite fille de 4 ans dont elle a la garde exclusive, la trentenaire participe chaque semaine aux activités de ce CAP (centre d’aide aux personnes) dédié aux familles monoparentales.
« Je n’ai pas de famille à Bruxelles, je fais l’école à la maison, je suis donc mère à temps plein comme j’aime le dire. En plus de cela, en tant que mères solos, nous sommes beaucoup à ne pas travailler (NDLR : 23,8% selon les dernières données de l’Institut pour un développement durable). L’isolement social est d’autant plus rapide », regrette Axelle.
« Je veux que ma fille puisse rencontrer d’autres enfants qui vivent une réalité proche de la nôtre, qu’elle sache qu’elle n’est pas la seule à n’avoir qu’un parent à ses côtés »
De par sa parentalité vécue seule, Laura considère elle aussi comme essentiel de participer à la vie de la Maison des parents solos. « Je veux que ma fille puisse rencontrer d’autres enfants qui vivent une réalité proche de la nôtre, qu’elle sache qu’elle n’est pas la seule à n’avoir qu’un parent à ses côtés. Cette maison me permet de construire une routine avec mon enfant et avec d’autres parents solos. Je remarque d’ailleurs que je n’étais pas aussi engagée affectivement dans les lieux de rencontre pour parents que je fréquentais auparavant. Ici, nous avons à chaque fois hâte de nous retrouver, et je prends le temps de redevenir pleinement moi quelques après-midis et soirées par mois ».
Une bulle d’oxygène nécessaire
Implantée au cœur de la commune de Forest, la maison évolue depuis 2019 avec une équipe pluridisciplinaire et propose plus qu’un simple accompagnement psycho-social ou juridique. « Suite à une recherche-action qui visait à cerner les besoins et les attentes des familles monos à Bruxelles, il est ressorti qu’elles ont cruellement besoin de soutien juridique et psychologique, ce que nous offrons ici bien sûr, mais aussi et surtout besoin d’accueil et d’un sentiment d’appartenance communautaire », expose Anne-Françoise Lambert, chargée de projet au sein de la Maison.
C’est pour cela qu’au-delà des permanences, la Maison des parents solos a également été imaginée comme un lieu de rencontres. « On ne demande évidemment pas aux parents de prouver leur statut pour y entrer. Toute personne qui se sent seule ou se trouve dans une situation d’isolement avec son enfant est la bienvenue ici ».
Soirées bricolage, ateliers artistiques en duo parent-enfant, sorties culturelles ou encore balades à la découverte des parcs méconnus de Bruxelles… La maison propose des activités parents-enfants tout comme des ateliers consacrés aux parents solos pendant lesquels leurs enfants sont encadrés par des baby-sitters. Des activités également pensées pour convenir aux contraintes des familles monoparentales.
« On prépare le repas lorsque les activités se passent le soir afin que les familles rentrent chez elle le ventre plein. On essaie également de varier nos horaires, car être parent solo, cela implique une diminution du revenu, mais aussi une compression du temps », détaille Kadija Bouchirab, assistante sociale au sein de la Maison.
Et Axelle de continuer : « C’est un véritable soutien pour les parents de pouvoir compter sur l’organisation d’activités régulières, qui plus est gratuites, pensées en vue de la sociabilisation de nos enfant et de nous, car c’est aussi une charge mentale en soi de toujours prévoir des occupations ».
Peu à peu, l’équipe pluridisciplinaire observe que les parents solos, souvent des habitués, tissent des liens d’amitié. « On a même remarqué qu’un petit groupe de mamans s’était formé et se côtoie désormais aussi en dehors de la maison, ajoute Kadija. Ça les rassure, les sécurise, de se retrouver. Elles savent qu’elles n’ont pas les mêmes besoins que les autres parents et doivent partager leur quotidien avec des pairs. Nos mamans discutent autant de leurs histoires de cœur que des violences conjugales que certaines ont pu subir. Ce ‘safe space’ est essentiel. Et c’est d’ailleurs par la porte des ateliers que certaines se sont senties en confiance pour ensuite se rendre en consultation psychologique ».
Des pères peu demandeurs
À la tête des familles monoparentales, on retrouve 86% de mamans, selon l’Institut bruxellois de statistique et d'analyse. Les femmes sont largement majoritaires dans la représentation, mais les pères solos existent tout de même. « Je rencontre quelques papas, mais plutôt lors des permanences. Pendant nos activités, beaucoup moins. Pourtant, à la Maison, notre regard n’est pas genré, souligne l’assistante sociale. Nous souhaitons penser ce lieu de rencontre de manière inclusive, mais les hommes sont peu demandeurs ».
Ayant entendu parler de la Maison des parents solos via une amie, Kamal, père solo d’une petite fille de 4 ans, raconte avoir été étonné d’être le seul homme lors d’un atelier psychomotricité auquel il s’est rendu dernièrement. « Pour beaucoup de pères, c’est encore tabou de tenir un rôle actif dans la parentalité de son enfant en bas âge. Il y a quelque chose de très maternalisant à cela. Mais bien que nous soyons statistiquement moins nombreux, cela ne signifie pas que les papas n’ont pas leur place ici .
« Notre culture reste imprégnée par une virilité ambiante. Le fait de pousser notre porte n’est pas neutre et résulte déjà d’une preuve de fragilité. Dans le chef de beaucoup d’hommes, cette démarche n’est pas encore naturelle »
Au sein de la structure d’accueil, on émet encore d’autres hypothèses sur la question du genre, comme le fait que les métiers de l’équipe soient fortement liés à la culture du « care » (à savoir, les inégalités de genre qui existent encore dans les métiers du soin principalement pratiqués par des femmes). « Et il ne faut pas non plus omettre le contexte. Notre culture reste imprégnée par une virilité ambiante. Le fait de pousser notre porte n’est pas neutre et résulte déjà d’une preuve de fragilité, de vulnérabilité. Dans le chef de beaucoup d’hommes, cette démarche n’est pas encore naturelle ».
* prénoms modifiés
EN SAVOIR +
Et en Wallonie ?
Plusieurs voix regrettent le manque de structures dédiées aux parents solos sur le territoire wallon. Du côté de la Fédération des Services Sociaux, on relève tout de même que, dans le cadre du plan de relance wallon, un projet pilote est sur la table. Fonder une Maison similaire à celle de Forest n’est pas imaginable avec les subsides alloués et à hauteur de la région à couvrir. Il s’agirait plutôt de déployer un réseau de personnes référentes pour les familles solos au sein des centres de première ligne existants.
MAIS AUSSI...
Le virtuel au service des parents solos
Dans le cadre de ce dossier, nous avons investigué le champ des lieux de rencontres physiques, mais le distanciel peut aussi parfois avoir son utilité. Peut-être encore plus pour les parents solos. Depuis la crise sanitaire, mais déjà avant, nombre de groupes Facebook et autres initiatives virtuelles ont donné lieu à de véritables plateformes d’échange et de rencontre.
Fatma Karali, fondatrice du collectif Mères Veilleuses, présent sur Facebook, explique que le virtuel répond notamment à des contraintes de temps. « Les parents peuvent partager entre eux via leur écran. Cela ne règle pas directement le problème de l’isolement social, mais peut initier de belles rencontres en vrai ».
EN PRATIQUE
D’autres lieux d’échange pour les parents solos
- La commune d’Uccle organise en visio des groupes de parole et de soutien animés par une psychologue pour les parents solos deux mardis soir et deux vendredis midi chaque mois. Infos et inscription : c.kerkhofs@uccle.brussels – 0494/53 16 31.
- Pouce Pousse, une initiative récente basée à Molenbeek-Saint-Jean, organise elle aussi des groupes de parole pour les jeunes parents solos (à prix libre). Réservation obligatoire : 0484/96 95 34 - infopouce@soulglow.be
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