Sept récits intimes pour sortir la maternité du silence

Regarder la peur qui s’immisce en face et se saisir des armes pour la combattre. Camper le quotidien d'une jeune mère pour questionner sa place. C’est à cet exercice d’écriture sur la maternité qu’Adeline Dieudonné et Victoire de Changy se sont prêtées avec Être mère.

« Avoir des enfants nous fait peur et nous rend fortes, nous égare et nous retrouve, nous empêche et nous autorise, nous pèse et nous grise. La maternité mérite d’être servie par des récits parce que ce sont les histoires que nous nous racontons qui fondent notre monde », écrit Julia Kerninon. Ce récit qui ouvre Être mère donne le ton. Il campe aussi la volonté de l’autrice : offrir un espace d’expression à six autres autrices pour mettre des mots sur leur expérience de la maternité. Un matin pluvieux, du côté du parc du Cinquantenaire, je rencontre les deux Belges de la bande, Adeline Dieudonné et Victoire de Changy.

Qu’est-ce qui vous a motivées à prendre part à ce projet ?
A. D. : « Pour être honnête, la maternité n’était pas un sujet que j’avais envie d’aborder. Ce travail m’a poussée dans mes retranchements et fait aller dans des endroits qui n’étaient pas confortables, mais je suis heureuse de l’avoir fait. La seule chose qui m’est venue, c’est de parler de ma peur de maman. J’étais embêtée de parler de ça à des futurs ou potentiels parents, mais, finalement, même si le sujet est négatif, la conclusion est plutôt positive. »

Qu’auriez-vous aimé lire de la plume d’une mère avant de le devenir vous-mêmes ?
A. D. : « J’aurais adoré lire ce qu’on a livré, là : des récits intimes qui disent la vérité sur la société patriarcale dans laquelle on vit, sur les injonctions à la maternité, sur le mythe qui entoure la mère et fait qu’on la sacralise et la culpabilise en permanence, j’aurais aimé savoir tout ça. Il y a seize ans, quand je suis devenue maman, l’injonction à la maternité était tellement présente. On m’a toujours dit ‘Quand tu auras des enfants’ et pas ‘Si tu as des enfants’. »

V. de C. : « J’ai été enceinte pour la première fois il y a cinq ans et je n’ai pas l’impression que ma réponse soit radicalement différente. Est-ce que je n’ai pas voulu voir, entendre, lire ? C’est possible. Je n’ai pas vraiment eu de mise en garde avant d’être le nez dedans. J’aurais aimé lire qu’on s’en sort. Que c’est à la fois dur et merveilleux. Toutes les parties du livre disent ça. La vérité peut avoir un côté effrayant, mais, moi, ça me rassure énormément. Toute vérité, qu’elle soit bonne ou mauvaise, je préfère la connaître. »

L’une plante un quotidien de mère et pose la question de la place, l’autre parle de la peur qui s’immisce dans ce nouveau rôle de mère, quelle planche de salut avez-vous trouvée ?
A. D. : « La peur, c’est plus grand que nous. Très vite, on comprend qu’on ne pourra pas protéger notre enfant de tout. Le jour, j’accepte de laisser mes peurs venir et dérouler parfois le scénario catastrophe jusqu’au bout pour montrer à quel point elles sont absurdes. La nuit, je coupe court. J’ai réalisé que la seule chose que je puisse faire est de profiter de l’instant présent avec mes filles. C’est bateau, mais c’est vrai. J’essaye aussi de les former au monde qui les attend, de les prévenir sans les traumatiser. Mon aînée s’est mise aux sports de combat, je suis très heureuse qu’elle puisse explorer son agressivité. »

V. de C. : « Je commence à entrevoir quelques brèches lumineuses, j’essaye de ranger les frustrations et de savourer quand j’ai un peu de temps pour moi. Le temps et l’espace mental me manquent encore cruellement, mais je pense aussi beaucoup à la phrase de Julia Kerninon : ‘Aujourd’hui, nous sommes quatre et la vie est une splendeur’. »

• Être mère, Julia Kerninon, Claire Berest, Adeline Dieudonné, Clémentine Beauvais, Victoire de Changy, Camille Anseaume, Louise Browaeys (L’Iconoclaste).