Santé et bien-être

Stéréotypes, moqueries, confusion sur l’âge… Souvent pointés du doigt, les enfants de petite ou de grande taille rencontrent des défis particuliers pour parvenir à s’accepter.
« Ne pas être dans la norme n’est jamais facile », écrit Sophie à propos de sa fille (voir ci-dessous). Ce vécu difficile des enfants et des jeunes dont la taille s’écarte de la moyenne est à l’origine de la majorité des consultations liées à la taille en endocrinologie pédiatrique, constate Cécile Brachet, de l’Hôpital des Enfants. « Il y a un vrai problème. Dans notre société, on parle beaucoup des stéréotypes de genre et de race… mais qu’est-ce qu’il y a aussi de stéréotypes de taille ! ». En anglais, nous dit-elle, ce phénomène bien ancré porte un nom : heightism.
Les stéréotypes de taille et de genre sont d’ailleurs liés, puisque les attentes sociales ne sont pas les mêmes pour les garçons et les filles. « La petite taille est mal vécue surtout chez les garçons et la grande taille surtout chez les filles. On est toujours avec cette idée que le garçon doit être plus grand que la fille », résume l’endocrinologue pédiatre. Qui signale que cela se vérifie également dans son travail. « Dans les consultations pour petite taille, il y a plus de garçons. Et dans les consultations pour grande taille, il y a plus de filles. Parfois, des parents viennent avec un garçon de petite taille et précisent : ‘Sa sœur aussi est petite, mais elle, ça va, c’est une fille’ ».
Une source de moquerie « facile »
Nathalie Jodogne, psychologue au sein de l’unité d’endocrinologie pédiatrique des Cliniques universitaires Saint-Luc, confirme que le regard des autres peut être source de souffrances chez les jeunes – souvent des ados – qu’elle accompagne. « Il y a parfois simplement le fait de venir toujours appuyer sur leur différence. J’ai eu un patient qui mesurait 2 mètres et à qui on disait très souvent : ‘Tu es grand’. Alors qu’il le savait, évidemment. Ça peut être une réaction d’étonnement, c’est presque une pensée qu’on dit tout haut, mais qui peut être blessante ».
Il arrive aussi que la taille donne lieu à des moqueries. « Dans un groupe, des jeunes peuvent vouloir se valoriser en dévalorisant quelqu’un, poursuit la psychologue, et la taille est un argument facile, visible ». Au même titre que d’autres caractéristiques physiques comme le poids, la couleur de peau, les cheveux…
« Le jeune qui reçoit ces remarques peut développer des comportements de retrait social, c’est-à-dire se faire le plus discret possible, ainsi que des affects dépressifs, voire des idées noires dans les cas les plus graves », ajoute-t-elle. À force d’essuyer les moqueries, certain·es peuvent aussi avoir des explosions de colère ou en venir à être constamment sur la défensive. Autant de signes d’une souffrance qui peut amener les jeunes à se dévaloriser, à avoir « l'impression d’être moins bien que les autres. Il ne s'agit que d’une différence de centimètres, mais qui va avoir un retentissement très important ».
Quand la taille induit en erreur
Comme l’explique également Sophie dans son témoignage, une taille hors norme peut donner l’impression qu’un enfant est plus ou moins âgé qu’il ne l’est réellement. Avec des conséquences parfois douloureuses. « Certains jeunes de petite taille peuvent avoir l’impression de vivre leur adolescence dans un corps d’enfant, explique par exemple Nathalie Jodogne. Il y en a parfois qui me disent : ‘Je tombe amoureux de gens de mon âge, mais on ne me prend pas au sérieux’ ».
Que faire de ces constats ? D’abord, se rappeler et tenir compte de l’âge et du niveau de développement réel de l’enfant, préconise la psychologue. Lui confier des responsabilités adaptées à son niveau de maturité et, concernant les ados, garder à l’esprit que, quelle que soit leur taille, ils et elles ont « des besoins et des désirs d’ados, et toute une envie de se déployer… ».
« Les centimètres, c’est pas une qualité »
Quant aux moqueries, Nathalie Jodogne appelle les adultes qui en sont témoins, que ce soit à l’école, dans un club de sport, chez les scouts… à « prendre la balle au bond » rapidement. « C’est de la prévention du harcèlement. L’entourage (les professeur·es, les parents, les ami·es…) doit vraiment être attentif à ne pas laisser s’installer cette situation ».
Les qualités, c’est pas comment tu es, c’est ce que tu dis, ce que tu fais, comment tu te comportes…
Concrètement, elle conseille d’ouvrir la discussion en groupe, sans jugement. « Le but est vraiment de susciter l'échange, l'empathie. Ce dont mes patient·es témoignent, c'est qu’une fois qu'il y a eu ces discussions, les gens réalisent l'impact de ce qu'ils disaient, et la plupart du temps, les problèmes s'arrêtent ».
Très interpellée par les stéréotypes de taille, Cécile Brachet est également convaincue de l’importance de la sensibilisation. « Il faudrait travailler dans les écoles par rapport à ça. Pas juste dire : ‘On ne se moque pas parce qu’il est petit’. Mais vraiment dire : ‘Les centimètres, ce n’est ni une qualité, ni un mérite’ ». C’est d’ailleurs le message qu’elle tente de faire passer à ses jeunes patient·es en tant qu’endocrinologue pédiatre. « On parle beaucoup du vécu de la petite taille en consultation. On leur dit : ‘Ils ou elles n’ont rien fait de plus ni de moins que toi pour avoir plus ou moins de centimètres. Les qualités, c’est pas comment tu es, c’est ce que tu dis, ce que tu fais, comment tu te comportes…’ ».
Stratégies de résilience
Apprendre à s’accepter est essentiel pour faire voler en éclats les stéréotypes ou, en tout cas, pour leur tenir tête, souligne Nathalie Jodogne. Qui voit bon nombre de ses patient·es développer des stratégies de résilience. Comme Laura*, 13 ans : « À l’école, la question de sa petite taille a toujours été l'objet de remarques. Elle était ‘le petit moustique’ de la classe. Elle a aussi été un peu surprotégée, parce qu'on la croyait souvent beaucoup plus jeune que les autres. Aujourd’hui, elle fait du théâtre et elle adore ça. Elle s’affranchit et a développé énormément de répartie. Si quelqu’un lui fait une remarque, elle répond ».
Un autre de ses patient·es de petite taille excelle dans le sport : « C’est un peu sa revanche à lui. Il est grand par ses résultats sportifs ». Mais développer un tel bagout ou de telles performances ne convient pas à tout le monde, reconnaît-elle. « Chacun réagit en fonction de son tempérament. L'important, c'est de s'épanouir, de développer ses talents. Ça donne une énergie pour être bien dans sa peau ». Pour aider ses patient·es, il lui arrive de leur proposer des jeux de rôle. « ‘Quand tu es interpellé par rapport à ta taille, qu'est-ce que tu as envie de dire, qu'est-ce que tu as déjà essayé ?’. Le regard qu'on porte sur soi est évidemment dépendant du regard que les autres portent sur nous : à l'école, en famille, dans les groupes sociaux auxquels on participe. Plus il y a un regard bienveillant et positif, plus on est dans un cercle vertueux ».
*Prénom d’emprunt
TÉMOIGNAGE
« Non, elle n’a pas doublé, elle a 7 ans »
« Ma fille a toujours été grande, au-dessus de toutes les courbes, mais en évolution complètement ‘normale’. Si, aujourd’hui, elle a 15 ans et assume sa grande taille, cela n’a pas toujours été le cas. En tant que maman, ce qui m’a frappé au cours de son enfance, c’est le manque de ‘reconnaissance de la différence’ dans tous les milieux qu’elle a fréquentés. Ça commence à la maternité, où on la traite de girafe. Elle reçoit même un doudou girafe d'une voisine, ce que j’ai trouvé de très mauvais goût.
Ça se poursuit sur les bancs de l’école, dès la maternelle ou lors des stages. En fait, j’ai passé son enfance à justifier l’âge qu’elle avait : ‘Oui, elle est en stage de psychomot’, elle n’a que 2 ans et demi’, ‘Oui, c’est normal qu’elle pleure, elle n’a que 5 ans’, ‘Non, elle n’a pas doublé, elle a 7 ans’, etc.
Je la récupérais en stage et je voyais que les animatrices aidaient sa copine à mettre son manteau, et pas elle. On la laissait se débrouiller, alors qu’elle non plus n’était pas encore capable de le mettre seule. On a toujours attendu d’elle un comportement et des réactions d’un enfant plus âgé.
Vers l’âge de 9-10 ans et 1m75, ce sont les premiers sifflets et commentaires sexistes dans la rue. Elle se fait klaxonner en revenant de la plaine de jeux. Complètement traumatisée, elle refuse d’y retourner seule.
Bref, grandir trop petit, trop grand, trop noir, trop blanc, trop gros, trop efféminé, trop masculine… ne pas être dans la norme n’est jamais facile. Même si on parle plus d’acceptation de soi et d’acceptation de la différence que quand moi-même j’étais jeune, dans le fond, je me demande si les choses ont vraiment changé… »
Sophie
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