Santé et bien-être

Surdiagnostic, médication abusive, personnel en pénurie… le trouble de l’attention est au carrefour de nombreux enjeux. Dans ce maelström, une constante : l’augmentation de la médication.
Depuis 2013, le nombre d’enfants et ados médiqués pour un trouble de l’attention (TDA) a augmenté de 20% révèle une étude de la Mutualité chrétienne réalisée auprès de ses affilié·es. Une augmentation qui suscite des questions. Est-ce lié à un meilleur repérage et diagnostic des enfants TDAH ou à des pratiques abusives ? Quels sont les facteurs qui entrent en ligne de compte dans la médication d’un enfant TDAH ?
Prescription abusive et surdiagnostic
« Ça ne va pas du tout avec le médoc, j’ai la tête qui tourne, je tremble et je meurs de chaud », écrit Penny à sa maman. Pour l’aider à reprendre le chemin de l’école après un an de décrochage scolaire pour problèmes relationnels, sa médecin généraliste lui a prescrit de la Rilatine, un médicament psychostimulant recommandé pour le trouble de l’attention. Une prescription abusive au regard de l’avis formulé par le Conseil supérieur de la santé qui recommande avant d’envisager une médication, d’établir un diagnostic et de proposer une prise en charge psychoéducative ou thérapeutique.
Le cas de Penny est donc le parfait contre-exemple d’une bonne prise en charge. « On sait que le traitement médicamenteux est proposé de manière trop spontanée par certains professionnels qui ne sont pas formés à la prise en charge du TDAH sans suivi rigoureux, ni approches non médicamenteuses », confirme Pierre Oswald, directeur du service de psychiatrie de l’hôpital universitaire de Bruxelles (H.U.B).
Outre les prescriptions abusives, il y a aussi un problème de surdiagnostic, ajoute Isabelle Massat, pédopsychiatre à l’H.U.B. Le sommeil, l’alimentation, la consommation d’écran sont des facteurs environnementaux qui interfèrent avec la concentration de l’enfant sans pour autant qu’il soit porteur d’un TDAH. « Certains neuropsychologues réalisent des diagnostics de TDAH qu’ils ne sont pas habilités à poser ».
La pédopsychiatre rappelle que le diagnostic ne peut être posé chez l’enfant et l’ado que par deux types de spécialistes : les pédopsychiatres et les neuropédiatres. « Un bilan neuropsychologique peut montrer un problème d’attention sans que ce ne soit un trouble. Inversement, un trouble de l’attention peut passer inaperçu lors d’un bilan. C’est pour cette raison que ce diagnostic est réservé aux médecins formés au TDAH pour valider les symptômes en excluant d’autres causes somatiques ou mentales ».
Personnel qualifié en pénurie
Médication abusive et surdiagnostic sont deux effets pervers d’une même réalité : les spécialistes en TDAH sont rares. Cette situation explique les délais d’attente importants. Comptez huit mois pour une consultation en pédopsychiatrie chez Isabelle Massat et deux ans chez Pierre Oswald qui prend en charge les adolescent·es à partir de 16 ans. Valentine Anciaux, une des rares psychoéducatrices spécialisées dans le TDAH en Belgique a aussi un agenda rempli.
Une pénurie qui explique que la moitié des enfants médiqués ne sont pas suivis par un·e psychiatre au cours de l’année et qu’ils sont 41% sous traitement médicamenteux à ne pas disposer d’un suivi régulier auprès d’un professionnel de la santé mentale. Une carence qui offre des marges de manœuvre à toute une floppée de thérapeutes et prescripteurs en tous genres.
Cette pénurie amène aussi les professionnel·les spécialisé·es à être au four et au moulin. Isabelle Massat prend en charge la mise au point du diagnostic, l’évaluation des problèmes associés (autres troubles des apprentissages, anxiété, dépression, phobies scolaires…), la psychoéducation, l’éventuelle prise en charge médicamenteuse, le suivi et la coordination des soins.
Une prise en charge dans les règles de l’art dont William a pu bénéficier au centre hospitalier neurologique William Lennox. Diagnostiqué à l’âge de 6 ans, le garçon présente un trouble assez sévère. Dès le petit déjeuner, il part dans tous les sens et ne parvient pas à se poser. Un quotidien perturbé qui met à mal l’enfant dans ses interactions : on lui colle l’étiquette de gosse mal éduqué ce qui génère des tensions dans la vie de famille.

William est suivi tous les six mois par un neuropédiatre. Il participe aussi à un cours de psychomotricité relationnelle dans lequel il apprend à réfréner ses pulsions, séquencer les tâches et mettre en place des routines. Le garçon est aussi suivi par une psychologue. Un dispositif qui le soutient et soutient ses parents, mais qui s’avère insuffisant. En accord avec les parents, le neuropédiatre conseille de le médiquer.
« Ce n’était pas notre intention, mais le trouble le rendait malheureux. C’était un moulin à paroles qui prenait beaucoup de place et n’était jamais invité aux anniversaires. Le soir, les devoirs se terminaient systématiquement en pleurs. Le médicament a un effet interrupteur, il est beaucoup plus posé, c’est libérateur pour tout le monde », explique Bénédicte, sa maman.
Un retour partagé par Marie-Emérence, maman de Maxima. « Que ce soit à l’école ou chez nous, on mettait énormément de choses en place, mais ce n’était pas suffisant. On a essayé aussi un coach, sans résultat. Elle était en difficulté dans toutes les branches et cumulait beaucoup de retard. Ça fait trois semaines qu’on a commencé la Rilatine et la différence est impressionnante. Une feuille de devoir qui mettait plus d’une heure, elle s’en acquitte en dix minutes avec un effet positif sur son estime de soi ».
Des facteurs socio-économiques qui pèsent dans la balance
L’étude de la Mutualité chrétienne pointe aussi l’influence de facteurs comme l’âge, dans le fait de se voir prescrire un traitement médicamenteux pour un TDAH. C’est entre 12 et 15 ans que le médicament est le plus prescrit, une période de changement avec le passage dans l’enseignement secondaire qui peut être source de pression scolaire.
Plus surprenant, le mois de naissance influe aussi. Les enfants nés au dernier trimestre ont deux fois plus de chance d’être médiqués. L’immaturité relative liée au mois de naissance passerait sous le radar des adultes au profit d’une petite pilule. Le lieu de vie est le troisième facteur social identifié par l’étude avec davantage d’enfants médiqués en Flandre qu’en Wallonie ou à Bruxelles, sans pour autant recouper cette disparité avec la disponibilité de personnel qualifié entre les trois Régions.
Nos entretiens ont mis en lumière un quatrième facteur : le niveau socio-économique. Si une boîte de Rilatine revient à 1,13€ après remboursement, une séance de psychoéducation, elle, coûte entre 50€ et 70€ aux parents avec des remboursements limités dans le temps.
« C’est vrai, il ne faut pas se voiler la face, concède Isabelle Massat. La prise en charge non médicamenteuse est chère, car très mal remboursée. Les enfants TDAH ont souvent besoin d’activités pour se dépenser, de cours particuliers, d’aide aux devoirs, de prise en charge logopédique lorsqu’un trouble dys est associé… Toutes ces aides représentent un coût qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Ce facteur socio-économique entre aussi en ligne de compte dans le fait de médiquer ou non un enfant. »
Ces dernières années, Isabelle Massat observe aussi un nouveau phénomène qui gagne du terrain : les facteurs environnementaux. « Je reçois dix fois plus de demandes qu’avant, ce n’est pas seulement dû à un meilleur repérage du trouble. Les problèmes d’attention se généralisent et tendent à devenir de plus en plus la norme. Cela ne veut pas dire qu’il y a plus d’enfants porteurs de TDAH qu’avant. Je m’interroge beaucoup sur la responsabilité des écrans qui désapprennent à se concentrer ou celle des polluants comme les insecticides, les pesticides ou les aliments ultra transformés. On sait qu’ils pourraient être impliqués dans l’émergence ou l’aggravation de troubles neurodéveloppementaux », conclut la pédopsychiatre.
EN SAVOIR +
Ce que révèle l’étude de la Mutualité Chrétienne sur la prise en charge médicamenteuse du TDAH
- En 2022, 2,4% d’enfants et adolescent·es ont reçu un traitement médicamenteux, soit 20% de plus qu’en 2013.
- La moitié des enfants médiqués n’ont pas rencontré un·e psychiatre au cours de l’année.
- 41% des enfants médiqués ne sont pas suivis par des professionnel·les de la santé mentale au cours de l’année.
- Seuls 15% des enfants médiqués ont rencontré un psychologue au cours de l’année.
À LIRE AUSSI