Loisirs et culture

Tous les enfants devraient faire du jeu de rôle

On a assisté à une initiation de jeu de rôle pour enfant et on a adoré

Le jeu de rôle fête ses 50 ans. Longtemps relégué au rang d’activité pour geek adorateur de chips et de dragon, puis popularisé par la série culte Stranger Things, entre autres, il revient sur le devant de la scène et occupe, de plus en plus, une place prépondérante dans le marché du jeu qui cible même les jeunes joueuses et joueurs. Nous avons assisté à une animation destinée à des 8-12 ans et nous en sommes sortis convaincus : tous les enfants devraient s’y mettre.

« Salut les enfants. Vous savez pourquoi vous êtes ici ? Pour participer à un jeu de rôle. Tout le monde pense que c’est compliqué, pas vrai ? Mais finalement, pas tant que ça. Il vous faut un meneur ou une meneuse de jeu. Rôle que je vais endosser, moi. Je vous présente l’aventure, les scènes et vous, les joueurs et joueuses, vous allez conduire l’action. Ici, je vous propose une histoire qui se passe dans un cadre réaliste. Il va vous arriver plein de choses. Vous allez devoir déjouer des complots, enquêter, vous battre, vous cacher, éviter des pièges. Les règles sont-elles compliquées ? Je vais vous dire : les règles, on s’en fout. »

Dés de jeu à huit faces

« N'oublie pas : tu es pauvre et orpheline »

C’est autour d’une table de la bibliothèque de Forest, la Biblif, vidée de son public habituel, qu’une bande de gamines et un gamin, se retrouvent autour du jeu un samedi après-midi. Sur la table, pas de plateau, pas de boîte, juste des fiches imprimées et un sac rempli de dés à six faces. La plus jeune participante a 8 ans, le plus âgé en a 11. On le perçoit d’emblée, les caractères, les attitudes et la façon de rentrer dans le jeu sont tout à fait contrastés. Monsieur Mouche, ludothécaire du lieu et maître du jeu, plus que jamais dans son élément, plante le décor. Inutile de déployer des trésors d’imagination pour s’immerger.
Londres, fin XIXe. Le célèbre Sherlock Holmes mène une enquête de la plus haute importance. Comme à son habitude, le détective le plus rusé de tous les temps multiplie les canaux d’information, parmi eux, « la bande des 4 » de Baker street.
Monsieur Mouche distribue des fiches, une par participant·e. Ces fiches dressent les caractéristiques que les personnages que chacun·es des joueuses et joueurs s’apprêtent à interpréter. Premier couac : chacun, chacune a à redire sur les différentes forces et faiblesses de son personnage. Pas assez fort à la bagarre, mauvais·e en bluff, ne court pas assez vite, etc. Un vrai marchandage ambulant…
Mais au fait, à quoi ça sert tout cela ? Monsieur Mouche explique que ce sont ces distinctions qui vont servir l’action. Avant de se lancer dans l’aventure, reste une dernière chose à envisager : l’objet fétiche. C’est peut-être un des moments les plus truculents. C’est aussi un vrai moment de bascule, puisque voilà qui va ancrer nos rôlistes à leurs personnages. « Moi, j’ai un collier en diamant », dit Mina. – Oui, mais n’oublie pas que tu es pauvre et orpheline, rétorque Monsieur Mouche qui maintient vaille que vaille une cohérence au préambule de cette aventure. « Ah… alors, c’est ma mère qui l’a volé et euh… qui me l’a donné avant de mourir ». Émile, lui, peaufine les détails. « Moi, Tonio, j’ai un gros rat sur l’épaule. Il s’appelle Pedro », le tout avec un fort mauvais accent italien qui provoque l’hilarité générale. Il est le plus aguerri, et on sent qu’il est déjà complètement immergé dans son personnage.

Illustration heroic fantasy pour du jeu de rôle pour enfants

Jouer sans autre support que l’imagination

Notre maître du jeu recadre un peu le tout. La capacité à entrer dans l’histoire et à se concentrer est à géométrie variable. Comprenez l’ampleur de la tâche. La mission pour Monsieur Mouche consiste à immerger cette bande de gamin·es dans un univers, sans autre support que leur imagination. « Allez, finit-il par ordonner, on va se lancer, vous allez comprendre ».
Se lancer dans le jeu de rôle signifie jeter ces fameux dés à six faces. Wiggins, chef de gang, mène l’enquête sur les traces d’une mystérieuse Mary qui va permettre à la bande d’avancer étape par étape dans l’enquête. C’est sans compter le rythme de nos interprètes. Débats et discussions s’étalent. C’est une des aptitudes que le jeu de rôle développe. Chaque détail qui va affiner les personnes ou les modalités d’action prend du temps. Tout est soupesé, discuté. Le tout projette les enfants dans un monde imaginaire. Et nous, témoins muets, avec.
En relatant cette histoire nous reviennent toutes les scènes, lieux et circonstances que nos jeunes rôlistes ont fait germer. Ils se sont transformés en leurs personnages, d’un coup, on voit « la bande des 4 » apparaître sous nos yeux. Ils nous le confirment d’ailleurs lors d’une pause-tartine. Iris, 11 ans, dotée justement d’un délicieux accent anglais fin et léger, confirme ce à quoi on assiste : « Je vois des images apparaître. C’est génial de se projeter, de réussir à voir les choses. La maison abandonnée dans laquelle l’histoire débute, à quoi ressemblent les autres personnages, l’endroit où l’on dort… ».
« Ça démarre tout de suite », nous dit Mina, 8 ans, la plus jeune, mais néanmoins une des plus intrépides. Si elle rêve beaucoup de bagarre, elle se creuse volontiers les méninges pour trouver des solutions aux impasses que parsème Monsieur Mouche. Émile, 11 ans, notre rôliste aguerri : « Ce que j’aime bien dans ces parties-là, c’est de savoir dans quel univers, vers quelle aventure on se dirige. J’adore jouer des rôles. Je fais beaucoup de parties (on parle de campagne, figurez-vous, ndlr). Je ne suis plus Émile, je me transforme, c’est pourquoi je pense à plein de détails qui vont fabriquer mon personnage ».

Illustration dragon pour du jeu de rôle pour enfants

Pas d’elfes, pas de pouvoirs magiques

La partie – pardon, la campagne – reprend. On sent que le besoin d’action se fait pressant auprès de la bande de chenapans. Tiens, parlons d’eux. Émile, Mina et iris ont clairement pris la partie en main. Maria et Cassie, 11 ans chacune, au tempérament plus calme, restent plus en retrait. Elles dessinent et suivent la partie de loin. Pourtant, elles s’amusent. « Tout est clair pour moi, envoie Maria. Le simple fait de participer me plaît énormément ».
À la croisée d’un cours de théâtre, mêlé à de la stratégie et de l’aventure, on aime énormément les trésors d’inventivité que sont obligés de déployer les enfants. Rentrer dans une maison habitée sans faire de bruit. Réussir à infiltrer un entrepôt gardé par des méchants. S’organiser pour faire avancer l’enquête… tout ça à la simple force de l’esprit, c’en est presque émouvant.
La ruse de Monsieur Mouche consiste à ne pas avoir cédé à l’imaginaire trop empreint d’heroic fantasy. Il leur explique : « Je ne souhaitais pas vous plonger dans le merveilleux avec des elfes, des pouvoirs magiques. Je voulais vous plonger dans un contexte plus réaliste pour que vous trouviez de véritables solutions crédibles ». C’est ce qui rend cette campagne plus difficile, c’est ce qui la rend également trépidante.
Fin du jeu. Précipitée par Monsieur Mouche. Il sent qu’une partie de l’équipage décroche. Le Londres du XIXe s’estompe, notre XXIe siècle refait surface. À ce même endroit, autour de cette même table, il s’est passé de sacrées péripéties. Dont certain·es ont du mal à faire le deuil. « On rejoue », lance Émile, rigolard, teinté d’espoir. On sent que Monsieur Mouche n’aurait pas dit non…

Un jeu de rôle en famille ?

Régulièrement, nous vous présentons une sélection de jeux. Parmi eux, des initiations au jeu de rôle sur lesquels le ludo-marché mise de plus en plus. Quoi de plus normal : beaucoup de parents sont des aficionados de grands jeux et ont transmis leur passion à leurs rejetons. Avant d’attaquer d’importantes campagnes (les parties en langage rôliste, comme on l’a dit plus haut) de plusieurs mois, il faut bien leur mettre le pied à l’étrier. On vous conseille donc plusieurs titres pour commencer :

► Mon premier jeu de rôle : dans l’article ci-dessus, la joueuse la plus jeune a 8 ans. Mais on peut s’initier encore plus jeune, puisque le jeu qu’on vous propose s’adresse à des rôlistes dès 4 ans. Les règles sont simples : on crée son personnage, accompagné·e d'un·e adulte. Chaque situation laisse aux joueurs et joueuses un choix d’action en fonction de ses forces ou de ses faiblesses afin de déployer une histoire ensemble. Le livre est très pédagogique et propose des conseils pour parfaire son héros, mais il aide le narrateur ou la narratrice à concevoir ses aventures. Enfin, toujours dans l’idée d’accompagner et de développer l’imaginaire des plus jeunes, le livre propose des illustrations à colorier et découper.
À partir de 4 ans, de 2 à 5 joueurs et pour des parties d'environ 60 minutes.

► Donjons & Chatons : nous voici au cœur d’une sorte de médiéval-fantastique, version féline. Le système de règles est simple. Il permet à chacun et chacune de créer son héros ou héroïne personnalisé·e, comme dans l’animation de Monsieur Mouche. Ici, un joueur ou une joueuse incarne le meneur ou la meneuse de jeu et décrit avec précision l’univers, tandis que les autres personnages expliquent comment ils y évoluent, guidés par une des quatre aventures du livre. On y rentre vite. On s’initie à la mécanique rôliste. En un mot, c’est une manière formidable de se faire les griffes.
À partir de 6 ans, de 2 à 7 joueurs et pour des parties d'environ deux heures.

► Donjons et dragons (5e édition) : attention, culte. Non, plus que ça : légendaire. C’est par ce jeu que tout commence. Il propulse l’heroic fantasy dans l’imaginaire de tous les adolescent·es depuis les années 80. Quarante ans plus tard, il reste LA référence incontournable du jeu de rôle. Revenu sous le feu des projecteurs avec toute la super bande de Mike et Eleven dans Stranger Things, il est une valeur sûre et incontournable du jeu de rôle. Monde médiéval-fantastique, magie, créatures fantastiques… tout y passe dans un univers où des héros aux histoires et motivations diverses joignent leurs forces afin de dénicher les trésors des donjons les plus sombres et vaincre des monstres toujours plus puissants.
Cette édition s’adresse à des joueuses et joueurs à partir de 10 ans, pour 2 ou plus et pour des parties d'environ 120 minutes.

Tous les enfants devraient s’y mettre… oui, mais comment ?

L’initiation au jeu de rôle se popularise. Partout, stages en tout genre pullulent. On vous conseille donc de vous adresser aux bibliothèques et médiathèques les plus proches de chez vous. Il y sommeille toujours au moins un rôliste, paré à échanger les bons plans. Sinon, promenez-vous sur des portails tels que Larp.be. La Fédération du jeu de rôle, version grandeur nature. C’est une très bonne porte d’entrée à pousser pour savoir ce qu’il se passe tout près de chez vous. Il existe d’autres portails tels que dunrolealautre.be.