Développement de l'enfant

Tu sors, mon fils ?

On rembobine pour ceux qui ont raté l’épisode précédent. Dans le Ligueur du 13 avril, nous avons rencontré des parents de jeunes filles de 15-17 ans pour leur demander s’ils les laissaient sortir facilement. Le doute l’emportait : jusqu’où aller, quel cadre imposer, etc. On passe cette fois-ci à la version masculine. Pour ou contre, c’est vous, parents, qui en parlez le mieux.

CONTRE

Marie, maman de quatre enfants de 8 mois à 16 ans :
« Je suis un repère, pas une copine » 

J’ai été élevée avec des valeurs. À une époque où l’on ne pleurnichait pas pour rien et où on cultivait le sens du devoir. Il nous était interdit de sortir, mes frères et moi, jusqu’à ce que l’on fasse des études supérieures. Il en va de même pour mon mari. L’éducation, c’est un cadre, défini par des convictions. Les nôtres sont d’armer le mieux possible nos enfants. De plus, nous habitons à Bruxelles, qui est quand même un lieu de tentation pour tout ce qui est drogues et violences. Un ado n’est pas un adulte. Je ne comprends pas certains parents qui laissent sortir leurs jeunes enfants, parfois même sans savoir où ils vont, ni même où ils vont dormir. Je n’ai pas envie que toute sa vie soit fichue pour des mauvais choix liés à la jeunesse. On a trop d’exemples. Qu’il se concentre sur ses études, qu’il s’épanouisse plus tard dans sa carrière, qu’il fasse un mariage heureux. Il n’aura aucun regret et pourra alors jouir d’une liberté sans entrave. Ce n’est pas dans l’air du temps. Mais que les parents se rendent bien compte que notre métier, c’est d’être un repère, pas des copains qui suivent bêtement les petites modes sans tenir compte des heurts.

Cissou, maman de deux garçons de 14 et 16 ans :
« Un danger pour lui-même »

Bon, je suis plutôt contre les sorties, mais pour des raisons moins radicales que Marie ! Si je ne veux pas que mes garçons sortent, c’est d’une, parce que mon aîné est un sociopathe et de deux, parce que mon cadet est beaucoup trop jeune. Pour en revenir au premier, je sens qu’il pourrait glisser facilement vers le côté obscur. J’ai trouvé plusieurs fois de la résine de cannabis dans ses affaires, je ne sais avec quel argent il se l’est procurée. J’ai été convoquée deux-trois fois pour des bagarres qu’il a déclenchées. Alors, je le protège. Quand on a un enfant comme le mien qui est un véritable danger pour lui-même, les règles ne sont pas les mêmes.

Mirel, maman de deux enfants de 13 et 17 ans :
« Ne pas se perdre dans le monde de la nuit »

Je ne suis pas aussi stricte que Marie, mais je suis d’accord quand elle dit qu’il en va de notre rôle de leur éviter de faire des bêtises qu’ils regretteront toute leur vie. J’ai deux grands frères qui se sont perdus dans le monde de la nuit. Ils ne sont jamais sortis du carcan marginal dans lequel ils se sont enfermés. Drogues, sexe et alcool, peut-être un peu quand on est jeune et que l’on incarne la liberté. Mais passé un certain âge, ça devient pathétique. Mon aîné comprend dans l’ensemble. On se dispute parfois, mais au fond, il sait que c’est pour son bien. Car il souffre beaucoup du mauvais exemple de ses tontons.

L'avis des experts

Nina, DJ : « Des images inoubliables »
Déjà, je ne savais que des gens comme Marie existaient encore. Ces parents ont en commun de dénigrer une part importante de la jeunesse : les expériences. Bonnes ou mauvaises. Ne me dites pas que tous sont passés d’enfant à adulte en une nuit, sans accident de parcours ? À cet âge, on fait des erreurs, parfois très graves, c’est vrai. On tombe, on se relève, on pare les coups. Je ne vais pas mentir : de la drogue, je vois des gamins très jeunes qui en prennent. Des bagarres, il y en a. Oui, ça ne manque pas de dangers, là dehors. Plus que devant l’ordi ou la télé. Mais je vois surtout des jeunes qui sont grisés par leur liberté, qui dansent, qui hurlent, qui discutent, se touchent, se frôlent, rigolent. Pour moi, les choses merveilleuses et inoubliables, elles se passent là, la nuit, et ces images sont gravées pour toujours.
Mireille Pauluis, psychologue : « Le meilleur moyen d’éviter la gueule du loup ? »
Un petit mot d’abord sur la différence de traitement entre les filles et les garçons (voir le Ligueur du 13 avril 2016 sur leligueur.be/2016-8). C’est une injustice. Dans le fin fond de la tête des parents, enfermer les filles revient à les protéger. Le risque selon eux ? La grossesse, bien sûr. Pour faire le lien avec ces témoignages, ce n’est pas en mettant les enfants sous cloche qu’on les protège. La meilleure façon de ne pas plonger dans la gueule du loup, c’est de savoir qu’elle existe. Ces mamans projettent leurs peurs.
À côté de ces témoignages, on peut dénombrer des milliers d’expériences positives. En ce qui concerne les remarques de Cissou sur les enfants dangereux pour eux-mêmes, le maître mot, c’est l’art du dialogue. J’entends par là qu’un gamin est prêt à discuter de tout s’il sent que son parent est ouvert à tout : drogue, sexe, fric, etc. Ça ne veut pas dire être copain, ça veut dire être proche. Empêcher de sortir un jeune, non. En revanche, il faut un cadre plus net. Mettre des valeurs, parler de ses inquiétudes. Si les ados sentent que les parents sont à leur place, soucieux d’eux, c’est tout à fait rassurant. Ils vont râler, mais ce n’est pas grave, ils acceptent. Vous n’êtes pas sur leurs dos, vous leur montrez juste que vous tenez à eux. N’ayez pas peur du débat, il est animé de toute façon, rarement apaisé. Mais le consensus, c’est pour après.

POUR

Denis, papa d’un garçon de 17 ans :
« Conduire vers la sortie »

À la fin de la bande dessinée que l’auteure Alison Bechdel consacre à sa mère, elle la remercie pour lui avoir montré la sortie. La sortie intra-utérine qui donne sur la vie ? La sortie de l’enfance ? De la jeunesse ? Un peu tout à la fois, je pense. Notre truc de parents consiste à conduire, à guider et surtout pas à enfermer. Je préfère montrer l’horizon à mes enfants, pas les murer. Chez nous, ça s’est fait simplement. À la première occasion, lorsque ses 15 ans ont commencé à se pointer. La toute première fête, c’était dans le garage de sa petite amie de l’époque. Ils étaient une quinzaine. On l’y a conduit. Des parents de ses amis sont allés le chercher vers 22h30. Il a peut-être bu une bière. Peut-être qu’il a fumé une cigarette. J’espère qu’il a dansé des slows, qu’il a embrassé des filles. Il était très discret là-dessus. On n’a pas discuté des dangers des IST ou de l’alcool ou de ces bazars que je sais importants. Sa première sortie ne devait pas être liée à ça. Et vous voyez, deux ans plus tard, il sort toujours. Il a toute notre confiance. Je veux que ces moments soient liés à de la légèreté, à de la magie. La réalité peut attendre !

Géraldine, maman de deux garçons de 14 et 17 ans :
« Éviter le pire scénario »

Nous habitons une petite ville où tout le monde fait attention aux autres. Les sorties, ce n’est pas un problème. Ce qui est beaucoup plus problématique, c’est que pour aller faire la fête, il faut obligatoirement prendre la voiture. Mes fils n’ont pas le permis, ils sont donc à la merci des plus grands qui rentrent parfois un peu éméchés. Ce que j’ai imposé, c’est de m’appeler à n’importe quelle heure de la nuit si ça se reproduit. Je préfère mille fois faire des dizaines de kilomètres la nuit et ramener mes mômes au bercail, plutôt que de me retrouver face au pire scénario qui puisse exister pour un parent.

Mylène, maman de deux garçons de 16 et 18 ans :
« Ne pas faire mal à maman »

Je laisse mes deux fils très libres. Par exemple, en ce qui concerne l’usage des drogues, je ne suis pas dupe. Je leur dis simplement de bien avoir conscience de leurs limites. Je leur montre des campagnes de prévention d’Infor-drogues. Idem pour les capotes, je les laisse un peu traîner dans les tiroirs. Sans trop en avoir parlé, ils savent très bien qu’ils peuvent se servir. Je ravitaille. Je ne contrôle pas. La seule chose dont on parle en terme de prévention, c’est sur le respect du ou de la partenaire. Comme j’ai un ex-mari qui les élève de façon un peu macho, je rééquilibre. Et puis, mon truc, c’est de ne pas chercher ce que je n’ai pas envie de voir. J’ai des copines qui examinent les draps de leurs fils. Moi, je marche le long d’un précipice et pour ne pas avoir le vertige, je ne regarde pas en bas. Seule loi immuable, gravée de façon invisible : ne pas faire de mal à maman. Jusqu’ici, ça fonctionne pas mal.

L'avis des experts

Nina, DJ : « Trop sage ? »
C’est marrant comme chez les parents pour ou contre, les histoires de drogues, de violences et de conduites à risques reviennent sans arrêt. À croire que la jeunesse, à force de vibrer, déborde obligatoirement. Je vois souvent des ados qui sont contents de faire la fête pour la fête. Ce ne sont pas tous des rockstars qui ont des histoires de sexe débridées sous cocaïne. Quand j’organise des fêtes avec des gamins de 15 à 20 ans, si j’en vois un qui a bu un coup de trop dans le mois, c’est un maximum. Respirez et laissez-les s’amuser. Pour être honnête, moi, je les trouve même trop sages …
Mireille Pauluis, psychologue : « Le cadre, c’est une sécurité pour tous »
Mylène, c’est typiquement la maman qui se met un sac sur la tête, avec quand même deux yeux au niveau des trous. Je trouve ça très sain. Ses fils savent qu’elle veille. Au final, ils ont conscience des limites. En ce qui concerne Géraldine, pourquoi ne pas mettre une organisation parentale pour récupérer les enfants ? Il faut que ça arrange tout le monde et que ça permette de responsabiliser ses fils, comme les copains. Là aussi, ça définit des limites et ça permet de discuter autour. Il est important d’avoir en tête que le cadre, c’est une sécurité pour les enfants comme pour les parents. Une maman qui ne dort pas de la nuit parce que son enfant fait la fête, ça ne va pas. Mon fils, m’a dit un jour : « Je suis content que tu aies été stricte avec nous ». Je savais qu’il s’échappait par la fenêtre pour sortir. Il contournait les règles absolues. Mais ça n’empêchait pas qu’elles nous protégeaient. Pour reprendre l’image de Denis, le chemin des parents, c’est tout un travail éducatif. À quoi conduit-il ? Au moment où, autonomes, ils viennent nous demander conseil, s’enquièrent de notre avis. En somme, l’instant où ils continuent à avancer, sans avoir besoin qu’on les tienne par la main.


Yves-Marie Vilain-Lepage

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