Développement de l'enfant

Les beaux jours arrivent. Avec eux, vos adolescents pleins de sève ne demandent qu’à éclore au monde. Les fêtes fleurissent, chaque sortie connaît son parfum d’aventure. Seule entrave à ces projets florissants ? Vous. Nous jouons les chaperons et nous faisons simplement le relais de vos arguments. Pour l’heure, consacrons-nous exclusivement aux jeunes filles. Nous épierons les jeunes Roméo dans le prochain Ligueur.
Contre
Damien, papa de trois enfants, dont une fille aînée de 16 ans : « De l’inconséquence »
Est-ce que je vais laisser sortir ma fille de bientôt 16 ans, l’esprit tranquille ? Ce n’est pas une question, c’est un cas de conscience que l’on a en permanence, sa mère et moi, sans arrêt. Encore plus avec les évènements récents et ceux à venir. Les autres parents qui sont dans ce cas de figure et à qui je demande leur avis me répondent : « Oh, il ne faut pas penser aux risques, sinon tu ne vis pas ». Facile à dire. Mais une ado qui sort toute seule à des fêtes, en terrasse ou dans des clubs, ce n’est qu’une longue accumulation de risques. Les coucheries, les drogues, les agressions, les mauvaises rencontres… et maintenant, n’importe où, des actes de terrorisme ignobles qui frappent n’importe quand. Ça veut dire quoi ? Qu’il faut encore plus lâcher prise pour laisser sortir son môme aujourd’hui. C’est presque du domaine de l’inconséquence. Pour moi, c’est niet. Elle nous dit souvent que c’est injuste, qu’elle a le sentiment qu’on l’emprisonne. Elle a pourtant d’autres copines qui sont dans ce cas. Et puis, l’injustice, ce n’est pas qu’on la consigne. C’est plutôt le nombre de femmes victimes d’agression sexuelle dans notre société et que des explosions ou des coups de kalach puissent retentir de partout. Je le justifie tout simplement en lui disant que sa mère et moi avons peur. Très peur. J’entends d’avance les parents qui se la jouent cool nous traiter de réacs. Qu’ils m’excusent de vouloir garder ma fille en vie.
Achille, papa d’une jeune fille de 16 ans : « Pas prêts »
Ce que dit Damien fait sens. Ma fille unique, c’est tout pour moi. En tant que papas, on ne peut pas fermer les yeux sur les dangers potentiels auxquels nos filles sont exposées. C’est une inégalité crasse, mais elle est réelle. Les femmes sont plus exposées aux infections sexuellement transmissibles. Un autre sur lequel on ne peut pas fermer les yeux, la grossesse non désirée. Je sais bien que ça ne sert à rien de l’enfermer dans une tour d’ivoire et je suis conscient qu’on est épris de liberté à cet âge. En vérité, c’est nous qui ne sommes pas prêts encore.
Cathy, maman solo de deux ados de 15 et 18 ans : « Je suis injuste »
Je vais passer pour une mère complètement débile, j’en suis consciente. J’ai un fils de 18 ans et une fille de bientôt 16 ans. J’ai laissé mon fils faire ce qu’il voulait dès ses 15 ans, par contre, je suis hyper-protectrice, limite abusive avec ma fille. Je surveille ses trajets au retour de l’école. Je veille sur toutes ses activités extra-scolaires. Alors, des fêtes avec des copines et, pire encore, des copains ? Impensable. J’ai été pas mal livrée à moi-même. J’ai fait beaucoup de bêtises et j’aurais aimé avoir un parent qui me cadre un peu plus. Est-ce que nos enfants ne nous remercieront pas un jour de leur avoir serré la vis ?
L’avis des experts
Pour limiter les risques, c’est pas mal d’outiller son ado. Orienter son enfant, c’est ouvrir un panel plus large. Ça ne veut pas dire que l’on renonce, au contraire. Savoir qu’il est écouté ailleurs, c’est génial, non ? Quoi qu’il en soit, si un parent prend une éducation, qu’il le fasse à 100 %. Après, pour les questions d’âge, c’est vraiment au cas par cas. Parents et enfants doivent être en confiance.
Je tiens à apporter deux nuances importantes. Je doute des affirmations d’Achille quant au fait que les femmes soient plus exposées aux IST. Elles sont plus dépistées, car plus suivies, c’est sûr. Il parle également de grossesse non désirée. Je tiens à rappeler qu’un enfant se fait à deux. Si les parents éduquaient les garçons avec autant de soin que les filles à ce sujet, la responsabilité pèserait moins sur les adolescentes.
Pour
Ben, papa de trois ados de 15, 17 et 19 ans : « Une gamine plutôt vernie »
La question ne devrait même pas se poser. Je n’arrive pas à me mettre à la place des parents qui ferment leur porte à double tour avec leur gamin emprisonné à l’intérieur. Ils ne veulent pas que leurs enfants deviennent adultes, en fait ? Ont-ils oublié la lointaine époque où ils étaient jeunes, intrépides, poussés par une force invisible qui les rendait invincibles ? Plutôt que de dresser des murs toujours plus hauts autour de la piscine, ils devraient apprendre à leurs enfants à nager. J’ai deux aînés et une petite dernière qui est sortie quelques fois. C’est très jeune pour les sorties festives, mais les règles sont simples. Pas de pétards, pas d’alcool. Elle a le droit de sortir jusqu’à 1h du matin, le week-end, de façon très exceptionnelle. Une grosse fête ou un concert, par exemple. Elle doit impérativement sortir avec des copains que l’on connaît ou de la famille. Ils arrivent ensemble, ils repartent ensemble. Et surtout, elle sait que l’on est joignable à tout moment. C’est un peu strict. Mais pour une gamine de 15 ans, elle est plutôt vernie, vous ne trouvez pas ? Ses grands frères ont plaidé en sa faveur. L’idée, c’est que plus elle gagne notre confiance, plus elle sera libre. D’ici un an ou deux, elle va pouvoir sortir plus tard. Toutes ces questions sont importantes, parce qu’elle est très attirée par la nuit. Elle écoute plein de groupes d’électro, elle rêve de devenir DJ. Il faut bien qu’elle s’entraîne un peu, pas vrai ?
Élisa, maman de deux enfants de 10 et 17 ans : « Une ermite, c’est bien ! »
Aux parents indécis qui nous lisent, chez nous, il était hors de question que notre fille sorte jusqu’à 1h du matin. Après, c’est une question de contexte. Ben a deux grands enfants qui veillent et ont ouvert la voie. Notre fille a eu le droit de goûter à ses premières noubas vers 16 ans, en fin d’année scolaire. Nous y sommes allés progressivement. Dans des univers très protégés. Une fête chez une copine scoute. Un concert dans le quartier des cousins, etc. En fait, on est très décontractés, mon mari et moi, avec ça, puisque notre fille n’est pas trop attirée par les fêtes pour le moment. Et encore moins par les garçons. Ce serait ça, mon conseil : pour être peinards, ayez des enfants ermites !
Magdalena, maman d’une fille de 16 ans : « Ma prédatrice de fille »
Vous voyez la fille d’Élisa ? La mienne, c’est tout le contraire. Un peu comme la fille de Ben, elle a été attirée par la vie nocturne très tôt. À 15 ans, elle sortait en club avec ses cousines sans que je le sache. Tant mieux, je serais tombée dans les pommes. Son unique objectif ? Les garçons ! Impossible de la consigner. Alors, pour reprendre l’expression de Ben, je lui ai appris à nager. Je lui ai fait un petit cours d’éducation sexuelle qui l’a passionnée. Ma mère m’en aurait sorti la moitié, je me serai faite nonne ! Du coup, elle est mise en garde. En prédatrice qu’elle est, je sais qu’elle fait très gaffe. Une chose est sûre, j’ai pris le parti de lui laisser vivre sa vie. Tant qu’elle se montre responsable, je ne la brimerai pas. Aussi, elle sait qu’elle peut tout me dire. Je pense que c’est indispensable.
L’avis des experts
Autre chose, j’invite les parents à faire la part des choses et voir plus loin que la demande de l’ado. Une part de provoc ou quelque chose d’inquiétant, est-ce que l’enfant ne dit pas un truc ? Je pense à Magdalena et aux histoires de petits copains de sa fille. Un vrai désir ou une façon d’attirer l’attention ? Je vois beaucoup de parents qui considèrent leurs enfants comme plus grands qu’ils ne le sont. Les petits adorent, sans mesurer les conséquences, notamment émotionnelles. Des gamines qu’on habille comme des femmes, par exemple. Un enfant, c’est un enfant et une ado n’est pas une adulte. Si ce mot existe, c’est qu’il décrit bien un moment précis de l’existence.
Magdalena reconnaît aussi qu’elle n’est pas très à l’aise avec le fait d’aborder la sexualité avec sa petite. À la louche, je dirai que c’est le cas de 9 parents sur 10. Que ça ne vous empêche pas de passer le relais de l’information. Prendre rendez-vous avec un gynéco, un centre de planning familial, c’est aussi très important. Tout autant que donner l’information. Encore une fois, c’est tout sauf une fuite de sa mission parentale.
Yves-Marie Vilain-Lepage