Développement de l'enfant
Bagarres, vols, agressions avec armes… La délinquance juvénile fait régulièrement les gros titres de la presse et nourrit des projets de politiques répressives. En tant que parent, cela peut inspirer de la crainte pour l’avenir et la sécurité de ses propres enfants. On se pose et on analyse.
« Je n'ai pas le sentiment que les jeunes soient plus ou moins violent·es qu'avant. En revanche, il me semble que les réseaux sociaux permettent d'avoir accès à l'information en direct et donc donnent le sentiment d’une violence plus présente ». Camille est maman de trois enfants de 4, 7 et 9 ans. Elle prend le contrepied de certaines informations anxiogènes sur la violence chez les jeunes.
Camille a-t-elle raison ? Pour se faire une idée de l’évolution des faits de violence chez les jeunes, croisons les chiffres et les avis d’expert·es. Nous avons d’abord jeté un œil aux dernières statistiques annuelles des parquets de la jeunesse belges, publiées en juin 2024. Entre 2014 et 2023, le nombre d’affaires relatives à la protection de la jeunesse a enregistré une augmentation moyenne de 35%. Des affaires qui comprennent à la fois des faits qualifiés d’infraction (FQI) et des affaires de mineur·es en danger (MD). Toutefois, lorsqu’on dézoome, un phénomène plus inquiétant s’observe : de 2014 à 2023, les parquets de la jeunesse ont enregistré une hausse accrue du nombre d’affaires MD.
« Plutôt que de se demander si les jeunes sont plus violent·es qu’avant, il est interpellant de constater qu’en dix ans, ce sont surtout les affaires MD qui ont drastiquement augmenté (de 49%, ndlr) en comparaison aux FQI (+17%) », lance Maud Dominicy. La responsable de plaidoyer pour Unicef Belgique nuance par ailleurs l’interprétation de ces données chiffrées. Tout comme le ministère public qui souligne que ces statistiques ne constituent qu’une image des affaires enregistrées par les parquets de la jeunesse et ne peuvent pas être considérées comme le reflet fidèle de la criminalité des jeunes ou des situations de mineur·es en danger.
« Non seulement la collecte des données et leur traitement peuvent conduire à des interprétations fausses ou biaisées, mais, la plupart du temps, ce qu'on mesure, c'est l'activité policière et les priorités des politiques criminelles plutôt que la véritable délinquance juvénile », lance Benoit Van Keirsbilck. Le directeur de Défense des enfants International Belgique rappelle que certaines catégories de la population sont plus visées que d'autres lors de ces collectes chiffrées. « C’est particulièrement vrai pour les enfants migrants ou les jeunes qui occupent l'espace public. On peut faire dire n'importe quoi aux statistiques et elles sont souvent utilisées pour justifier des décisions politiques, plutôt que pour déterminer des orientations adéquates ».
La guerre aux jeunes
Il n’y a pas que chez nous que le portrait d’une jeunesse addict à la délinquance entache toute une génération. En France, les discours de Gabriel Attal ont récemment fait grincer des dents. Particulièrement chez les associations de défense des droits de l’enfant. « Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies. Tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter », lançait l’ex-Premier ministre français lors de sa déclaration de politique générale fin janvier.
Selon lui, la France ferait face à une explosion de la violence des mineur·es. Pour la contrer, il promettait même en avril dernier une réponse rapide de son gouvernement. Et ce, grâce à un arsenal de mesures répressives : internat forcé, modification de l’excuse de minorité (un principe de loi français qui veut qu’un·e mineur·e soit moins sévèrement pénalisé·e pour une infraction qu’un·e majeur·e), sanction pour responsabiliser les parents démissionnaires, voire coupe ou suppression des allocations familiales…
« En dix ans, ce sont surtout les affaires de mineur·es en danger qui ont drastiquement augmenté » Maud Dominicy, responsable de plaidoyer Unicef Belgique
Pourtant, les indicateurs de la violence chez les jeunes Français·es ne témoignent pas non plus d’une évolution dramatique. C’est notamment ce qu’observe la journaliste Salomé Saqué dans une vidéo très sourcée pour le média indépendant Blast (blast-info.fr), publiée le 30 avril 2024. Elle souligne que les mineur·es ne sont pas plus impliqué·es dans des faits de violence qu’auparavant. En fait, la société française enregistre une augmentation globale des faits de violence, tous âges confondus, mais est confrontée à une surmédiatisation de ces violences chez les jeunes.
La répression est la mauvaise réponse
« Pour reprendre l’exemple français, les propositions ‘attaliennes’ sont simples à mettre en œuvre politiquement parlant, mais elles sont aussi des plus délétères, regrette Maud Dominicy. Il faut soutenir des mesures sociales beaucoup plus préventives pour ces enfants et leur famille. Bon nombre de ces jeunes sont à la fois pris dans des affaires FQI et MD, ce qui se produirait moins s’ils et elles avaient reçu des aides adaptées dès le plus jeune âge ». La responsable de plaidoyer entend par-là un accès plus égalitaire à l’éducation, aux soins de santé ou encore aux loisirs.
Mais peut-on craindre une « attalisation » de la politique belge en matière de droits de la jeunesse ? Gauthier De Wulf, secrétaire politique au Forum des Jeunes, ne va pas aussi loin, mais met toutefois en garde : « Ces droits ne sont jamais acquis, même si la Belgique a signé la Convention internationale relative aux droits de l’enfant en 1990. D’ailleurs, certains partis belges ne se cachent pas de proposer des mesures du même ordre que celles de Gabriel Attal en France ».
La proposition de couper dans les allocations familiales de parents dont les enfants commettraient des délits graves ou dans le cas de jeunes récidivistes était notamment au programme du Mouvement Réformateur (MR) lors du dernier scrutin fédéral. Le parti dénonçait une « faillite éducationnelle » et souhaitait « responsabiliser les parents et leurs jeunes », pour reprendre les termes du président libéral Georges-Louis Bouchez (MR), interviewé par Sudinfo en mai dernier.
« Cela montre que la vigilance reste de mise », insiste Gauthier De Wulf. Pour l’Unicef, ces propositions ne sont pas seulement responsabilisantes en termes de délinquance juvénile, mais également de pauvreté. « Avec des politiques répressives, on surresponsabilise les parents ou les enfants. Alors que les premiers responsables en matière de droits de l’enfant dans les États qui ont ratifié la Convention, ce ne sont pas les parents, mais les gouvernements eux-mêmes », poursuit Maud Dominicy.
Le Comité belge des droits de l’enfant a déjà rappelé nos gouvernant·es à l’ordre sur ce point. Supprimer les allocations familiales aux parents dans ces situations, en tout ou en partie, serait contraire à l’esprit de la Convention relative aux droits de l’enfant. Et la responsable de plaidoyer d’Unicef Belgique d’ajouter : « On ferait mieux de se concentrer à améliorer l’accès à une justice plus adaptée aux enfants et aux jeunes, et de poursuivre les efforts en matière d’information sur les droits de l’enfant ».
En Belgique, la vraie préoccupation, la voici : en Belgique, les mineur·es en danger sont bien plus nombreux, nombreuses qu’avant. Et les acteurs des droits de l’enfance sont très soucieux quant aux réponses apportées par les politiques.
ZOOM
Remettre la sensibilisation au centre
Mieux informer et sensibiliser aux droits de l’enfant. Cette volonté est partagée par les différentes associations interrogées. Au Forum des Jeunes, Gauthier De Wulf exprime que la culture des droits de l’enfant doit s’entretenir et devenir connue de tou·tes. « La Convention relative aux droits de l’enfant n’a pas encore assez percolé. À l’école, on aborde plus facilement les droits humains qui sont bien entendu essentiels, mais il y a un tas de liens à opérer avec les droits de l’enfant. Dans la sphère politique également, il faut poursuivre le travail d’information déjà entrepris ».
En juin dernier, lors d’une rencontre avec les président·es de partis en Fédération Wallonie-Bruxelles, Gauthier De Wulf sous sa casquette de président de la Coordination des ONG pour les droits de l'enfant (CODE) a d’ailleurs plaidé pour que la nouvelle ministre francophone de l'Enfance, Valérie Lescrenier, veille à ce que, de manière transversale, chaque nouvelle mesure prise respecte les droits de l’enfant. « Par voie de conséquence, cela revient à devoir expliquer à ses collègues et aux différentes administrations ce que cette convention représente vraiment », appuie le président de la CODE.
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