Vie pratique

Un parent doit-il s’informer ?

On ouvre ce dossier avec cette question importante. Y a-t-il obligation à regarder l’actu droit dans les yeux ? Et puis, à quoi bon le faire ? Est-ce que ça ne revient pas à subir une certaine forme d’impuissance ? Et donc à s’encombrer quelque part ? On creuse la question avec Olivier Standaert, professeur à l’École de Journalisme de Louvain (EjL-UCLouvain).

Vous en conviendrez, la façon dont est traitée l’actu dans et par les différents médias n’est souvent pas compatible avec la sensibilité de nos petit·es. Quel parent n’a pas caché les yeux de son enfant face à des contenus trop crus.

Quand l’actu revient tel un boomerang

Daniel, séparé et papa d’une petite fille de 6 ans, est depuis plusieurs mois en pleine diète médiatique. « Ça me mine. Tant les propos liés au climat que ceux liés aux conflits. Je trouve que tout cela est extrêmement clivant et disproportionné. On est tombé dans un flot incessant de news – à l’américaine – qui ne correspondent pas à notre culture. J’en ai ras le bol. Le seul problème, c’est que ma fille regarde les infos chez sa mère, entend la radio et qu’elle me pose plein de questions. Je n’ai ni l’envie, ni la capacité de lui répondre ».
C’est là que réside toute la problématique, en effet. L’actu nous revient toujours en pleine figure à nous, parents, car nos enfants la diffusent. Ils la transforment, l’amplifient, la malaxent et reviennent avec plein d’interrogations. Tout le temps. Ils entendent parler de guerres, de terrorisme à côté de chez eux. Comment réagir ?

Olivier Standaert : « Je raisonne d’abord en tant que père. Je sais qu’à la moindre actu marquante, je préfère sécuriser. Je ne dis pas que tout le monde devrait faire ça. Je sais simplement que nos enfants ne sont pas épargnés par l’actu. Ils passent et repassent devant des images, entendent des mots à la radio, nous entendent commenter. Naturellement, ils posent des questions. Je pense que le parent a comme devoir de s’informer correctement. J’entends par là, de s’informer ‘factuellement’. Plutôt que de cacher des infos, il semble préférable de parler de ce qui tracasse les enfants en termes choisis, de façon à ce qu’ils comprennent les enjeux. Pas besoin de tout savoir. Toutes les questions vont droit au but, les éléments pour y répondre aussi. Inutile de se perdre dans les détails. À l’actualité, autant ne pas rajouter une succession d’informations excessives. Et éviter de rajouter de l’angoisse à l’angoisse. »

Beaucoup de parents sont comme Daniel et n’ont pas toujours de réponse, comment fait-on ?
O. S. :
« M’est avis qu’il vaut mieux ne pas éluder. Ne pas faire comme si tout ce qui se passe autour de nous n’existait pas. Même si, par ricochet, la question vous angoisse. Reprenons l’exemple d’une attaque terroriste. Votre enfant vous pose la question de sa sécurité. ‘Ils peuvent venir à l’école et m’attaquer moi aussi ?’. Comment rassurer ? Peut-être en étant rationnel. ‘Ne t’inquiète pas. C’est quasi impossible que ça arrive. Et puis l’école est organisée pour te protéger et formée à ça’.
Attention, également, au rythme. Notre société a trop souvent la prétention d’expliquer ou de digérer trop vite. En tant que parent, ce n’est pas interdit de dire à son enfant : ‘Je ne sais pas’. Est-ce que le conflit israélo-palestinien va dégénérer, déséquilibrer le monde ? ‘Personne ne peut le dire. On va attendre. On va voir. N’allons pas trop vite et ne disons pas n’importe quoi’.
Ce qui fleurit dans un premier temps ne demande pas toujours une réaction sur le vif. Il n’existe pas de réponse à tout. C’est un peu vain de faire croire à ses enfants le contraire. Pas certain que ça rassure l’enfant. C’est valable pour l’actualité, ça l’est également pour les grands sujets comme la mort, par exemple. Il y a des incertitudes. Le monde en est jonché. Et ce n’est pas grave. »

Vous parlez à l’instant de logique, existe-t-il des méthodes que l’on peut conseiller aux parents ?
O. S. :
« Oui, une piste, c’est de partir des fameux 5 W anglo-saxons : who / where / what / when / why, traduits en qui / quand / quoi / quand / pourquoi. C’est une manière de ramener l’actu à quelque chose de très concret et de devancer les peurs. Poutine face à l’Ukraine, va-t-il se servir de la bombe atomique ? Tiens, c’est quoi la bombe atomique ? Depuis quand vit-on avec cette menace ? Combien de fois s’en est-on servi depuis qu’elle existe ? Idem avec les terroristes. Ça ne veut pas dire grand-chose ‘un terroriste’ quand on est enfant. C’est quoi ? Des gens dangereux. Ils représentent une menace. Ils sont surveillés, mais certains passent à travers les mailles du filet. Finalement très peu. Nuançons.
Tous ces échanges en famille autour de l’info, c’est la possibilité de transposer les mots et les remettre à un niveau d’intelligibilité. Il n’est jamais interdit de partir de soi. De sa vision. Sans l’imposer. ‘Je n’en sais pas grand-chose, mais je crois en telle théorie, ça n’est que mon avis’. N’hésitez pas, non plus, à reformuler les questions que vous posent les enfants. La meilleure façon de se comprendre, c’est souvent d’être certain·e que l’on parle de la même chose. »

Ados et information

L'objectif avec les ados : être le gardien des portes

Tout ce que l’on dit jusqu’ici concerne les enfants, qui se réfèrent encore à leurs parents. Avec les ados, la gymnastique est-elle la même ?
O. S. :
« Évidemment, ce n’est pas la même danse dans la mesure où les ados sont beaucoup plus autonomes au niveau de l’info. Quoi de plus normal, ils et elles arrivent à un âge où l’on se forge soi-même ses propres opinions et où l’on met à distance la façon de s’informer des parents. Dès lors, quelle est la mission du parent dans tout ça ? Essayer d’avoir quelques niveaux d’échanges. Faire quelques suggestions de sources. Tout ça est très facile sur le papier, moins en pratique. On sait que c’est un âge où on est ouvert·e à toutes sortes d’influences. On marche donc sur des œufs. Le débat, oui. Mais pas entre deux portes. Mieux vaut choisir le bon moment, au cours d’une promenade, d’un jeu, d’un moment serein... L’idée consiste à déceler la façon dont les ados s’informent.
Hélas, les parents ne sont pas toutes et tous à égalité. Il est évident que plus le contact est facile, plus on va comprendre vite ce qui se passe et d’où viennent les infos. Il n’est pas interdit de faire preuve d’autorité, non plus. Non, toutes les sources ne se valent pas. Les tonnes d’audience ne sont pas gage de qualité. Un influenceur, une influenceuse qui fait quatre millions de vues par vidéo n’a pas nécessairement une légitimité pour aborder le conflit israélo-palestinien.
Voilà aussi pourquoi un parent doit s’informer. Pour montrer et aider à naviguer dans ce déferlement ininterrompu de contenus. Tout cela avec pour objectif de faire de son enfant un·e citoyen·ne activement critique. J’aime beaucoup l’idée du gatekeeping, qui fait mention des intermédiaires chargé·es de gérer l’accès de certaines informations ou événements de la sphère publique. C’est ce qu’est un parent : un gardien des portes. ‘On va vérifier ensemble d’où proviennent tes sources. Ah, tu vois, cette idée sur la Seconde Guerre mondiale, elle se situe là politiquement’. Cette étape-là, c’est passionnant. On ne laisse pas un ado sans repères. »

L’ado face à l’actu, comment la consomme-t-il ?
O. S. :
« Il faut peut-être préciser une chose en ce qui concerne les ados. Il ne faut pas surestimer leur volonté d’information. Ce sont des grands consommateurs et grandes consommatrices de contenus, oui. Mais pas nécessairement orienté·es info. Ils et elles ne sont pas passioné·es par les futures élections. Ne sont pas nécessairement soucieux ou soucieuses de la marche du monde. Les questions liées au climat les alertent, certes, mais il règne de façon générale une grande diète informationnelle.
Comment ils vont chercher l’info ? C’est très diversifié. J’ai assisté à une conférence qui expliquait comment les ados allemands s’informent. On s’est demandé pourquoi, d’un coup, la jeunesse s’intéressait massivement à des sujets comme le port du voile en Iran ou la montée du nationalisme allemand. Pourquoi cette sensibilité aiguë subitement sur ces points précis ? On s’est aperçu qu’ils correspondaient pile aux considérations de Toni Kroos. Joueur international qui évolue au Real Madrid, à l’audience vertigineuse, qui, parfois, se fend de commentaires concernant l’actualité.
Les point d’accroches chez nos enfants, ce sont souvent des comptes sur les réseaux sociaux de chanteurs ou de chanteuses, de sportifs, de sportives… D’où l’utilité de ce gatekeeping, dont on vient de parler. Différents comptes, différentes sources parviennent à toucher la jeunesse qui prend toutes les infos et les mets sur un seul et même plan. Aux adultes d’aider à y mettre des nuances. »

ZOOM

Quelques précieux outils

Déferlement ininterrompu de contenu ? C’est vrai. Mais tout n’est pas à jeter. Il existe de plus en plus de programmes adaptés aux enfants qui s’avèrent être de précieux alliés pour aider les familles à digérer cette actu d’une densité sans pareille. On a pioché quelques merveilles pour tous âges et tous supports.

  • Un podcast ? Des séries qui traitent de l’info, il en existe littéralement des milliers. Mais, dans toute cette masse, on aime énormément Salut l'info !, un podcast FranceInfo bricolé en collaboration avec le magazine Astrapi. Chaque semaine, Salut l'info ! met l'actualité à la portée des enfants de 7 à 11 ans. Une chouette façon d’aider à mettre les bons mots et d’aider nos petit·es à s’informer correctement. 
  • Un influenceur ? Plusieurs ados nous ont parlé de la célèbre chaîne HugoDécrypte. Après un rapide tour d’horizon, il nous semble en effet que le jeune homme mène un vrai travail journalistique. Objectif, neutre, prompt au débat… Voilà peut-être une bonne porte d’entrée pour aborder les stratégies géopolitiques, les différents conflits du moment, les polémiques en tous genres… L’influenceur mène un travail sérieux avec un ton qui risque de faire mouche auprès de notre jeune audience.
  • Un JT pour les enfants ? Les Niouzz, au concept ludique et dynamique, propose de faire le tour de l’info en six minutes. Les émissions sont à retrouver en direct sur Auvio Kids TV à 18h30 ou sur auvio.be
  • Un journal papier ? Oui, vous avez bien lu : un journal papier. Et quelque part, on se dit que si vous nous lisez, c’est certainement que vous aussi vous êtes attaché·e à l’idée de tourner des pages. Pour transmettre ce geste sacré à vos enfants, on vous conseille la lecture du JDE (journal des enfants) qui décrypte l’actualité belge, internationale, sportive et culturelle dans un style adapté aux 9-13 ans.
  • Une bonne idée à faire chez soi ? Une maman nous a dit un jour que pour faire lire ses enfants, elle laissait traîner des livres partout. Dans toutes les pièces. Mêmes les plus inattendues. Pourquoi ne pas faire la même chose avec des journaux, des magazines. Il ne faut surtout pas faire d’un journal un objet trop noble. Optez pour le principe de salle d’attente. Donnez le choix. Quoi de mieux que de mettre différents supports sous les yeux des petit·es et grand·es, ça finira bien par payer. Pourquoi ne pas le faire aussi dans les classes, dans les bibliothèques ? C’est une façon de faire vivre le papier.

Et bien sûr, toute coïncidence avec une plaidoirie de journaliste de presse écrite serait purement fortuite !

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