Société

Cécile Cée est l’autrice de Ce que Cécile sait. Journal de sortie d’inceste. Une enquête personnelle qu’elle tricote avec l’analyse d’un système dans lequel la culture de l’inceste s’inscrit et se perpétue.
« On pense que l’inceste, c’est une histoire de sexe entre un père et une fille – à la rigueur un frère et une sœur. L’inceste, c’est avant tout un rapport à la vérité et au silence. L’inceste, ça n’est jamais une histoire entre deux individus. C’est toujours une histoire de famille, de domination, de savoir qui commande et qui regarde ailleurs. Comme l’écrit l’anthropologue Dorothée Dussy : c’est le berceau des dominations. »
D’entrée de jeu, le ton est donné. Cécile Cée nous livre ce que Cécile sait depuis qu’elle est sortie d’amnésie à 40 ans. Une enquête personnelle que l’autrice tricote avec l’analyse d’un système dans lequel la culture de l’inceste s’inscrit et se perpétue. Intrusion dans l’intimité, confusion des places, exhibition, promiscuité… Cécile Cée dépeint la culture de l’inceste au sein de sa famille, mais surtout le contexte de domination et de violence qui lui permet d’exister. Un récit qui bouscule car il interroge notre responsabilité collective.
Toute création s’accompagne d’une urgence à dire quelque chose, quelle était la vôtre ?
Cécile Cée : « Quand je suis sortie d’amnésie grâce aux récits d’inceste que j’écoutais, j’ai eu besoin de mettre en forme et en mots ce que ni ma famille, ni mon psy n’étaient prêts à entendre. Tant que je dénonçais mon père, il y avait une forme d’acceptation mais quand j’ai compris que c’était toute ma famille qui était gangrénée par la culture de l’inceste, j’ai perdu tout le monde. Pointer du doigt un coupable, c’est admissible, c’est quand on met en cause tout le système qui rend l’inceste possible que ça dérange. »
« Pointer du doigt un coupable, c’est admissible, c’est quand on met en cause tout le système qui rend l’inceste possible que ça dérange »
Votre livre mêle journal intime, roman graphique, enquête personnelle, analyse socio-politique… Il nous fait entrer dans votre histoire familiale pour tracer des parallèles entre l’intime et le politique. S’il y avait une information que vous aimeriez que lecteurs et lectrices retiennent, laquelle serait-ce ?
C. C. : « Les chiffres officiels parlent d’un enfant sur dix, mais si l’on tient compte des cas d’amnésie, de déni, de suicide, c’est plutôt un enfant sur cinq qui est victime de violence sexuelle. C’est massif et pourtant on refuse de le voir parce que le confort des adultes prime sur la sécurité des enfants. Dans son podcast Ou peut-être une nuit, Charlotte Pudlowski parle de cette résistance à intégrer cette réalité. C’est un peu l’effet Matrix, tant qu’on n’est pas passé de l’autre côté, on fait comme si ça n’existait pas, une fois qu’on commence à le voir, on le voit partout et on paraît fou ou folle aux yeux des autres. »
Comment expliquer que cette culture de l’inceste continue à être aussi prégnante en 2025 ?
C. C. : « L’anthropologue Dorothée Dussy l’explique très bien dans son livre Le berceau des dominations, l’inceste, c’est l’apprentissage de la domination, une domination exercée et normalisée dans toutes les sphères que notre société n’est pas prête à remettre en cause. La plupart du temps, les violences ont lieu au vu et au su de tous. C’est l’éléphant dans la pièce et tout le monde détourne le regard. La domination, la violence, c’est la toile de fond du système dans lequel s’inscrit l’inceste et qui appelle une véritable révolution culturelle. On manque de représentations collectives pour éduquer nos enfants autrement que dans un système violent. À ce titre, la Suède est un exemple inspirant, il y a trente ans le pays a décidé de stopper les violences éducatives sur les enfants, il y a eu une volonté politique, sur les paquets de céréales les enfants pouvaient lire leurs droits, il y a eu aussi des productions audio-visuelles pour donner à voir des modèles éducatifs alternatifs.
On ne sortira pas de l’inceste individuellement. Prenez les livres de Camille Kouchner ou Neige Sinno. Tant qu’on reçoit leur histoire avec l’idée que ça se passe chez les autres et qu’on ne considère pas l’inceste dans son terreau collectif de violence et de domination, on n’en sortira pas. »
- Ce que Cécile sait. Journal de sortie d’inceste, Cécile Cée (Marabout).
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