Développement de l'enfant

Une place pour chaque membre, chaque membre à sa place

Entre deux maisons, une place à trouver aussi dans deux fonctionnements parfois très différents

Que signifie avoir une place quand les cellules familiales et lieux de vie sont multiples après une séparation ? Jusqu’où est-ce au parent de l’accorder et à partir de quand est-ce à l’enfant de la prendre ?

Pour répondre à ces questions, rien de tel que de se tourner vers les principaux et principales concerné·es. Parent solo, jeunes en  hébergement alterné et papa d’une famille recomposée témoignent. Trois expert·es nous livrent aussi leur point de vue sur base de leur expérience de terrain aux côtés des familles.

► Quand les enfants prennent toute la place, immersion chez une maman solo

Cela fait neuf jours que Céline vit seule dans la grande maison familiale. D’ici deux jours, ses trois filles seront de retour de chez leur papa. Malgré leur absence, elles occupent pleinement l’espace. « Surtout l’aînée », précise la maman. Ici, un piano ouvert sur sa dernière partition. À côté, deux ballons dorés en forme de chiffres, reliquat de son dix-huitième anniversaire fêté juste avant les vacances d’hiver. Un peu plus loin, un puzzle de trois mille pièces occupe une bonne partie de l’espace de travail. La présence de la seconde se fait plus discrète. « Elle investit plus sa chambre », relève Céline. Et la dernière ? Elle oscille entre les deux tendances.
À la question « Comment décririez-vous la place qu’occupent vos filles », Céline répond tout de go : toute la place. « Quand je me suis séparée, j’ai décidé de garder la maison pour elles. Parce que la dernière est née dans le salon, que les deux grandes y ont fait leurs premiers pas. C’était une manière de leur offrir une certaine stabilité malgré la séparation ». Dix ans plus tard, les filles ont toutes les trois leur chambre, qu’elles ont décorée à leur goût. La maman, elle, campe encore dans un coin du grenier.
Céline aborde aussi la place qu’occupent ses filles dans ses pensées. « Même quand elles ne sont pas là, je pense à elles. Un rendez-vous médical à fixer pour l’une, une rencontre avec le PMS pour réfléchir à l’orientation de l’autre, les activités du mercredi après-midi de la dernière, les menus de la semaine, le programme du week-end. Elles sont tout le temps dans mes pensées. Ce qui est moins naturel et sur quoi je travaille, c’est plutôt la place que je m’octroie à moi ».
Côté projet, Céline envisage aussi tout sous le prisme familial. Près de son agenda, elle a toujours un petit calendrier papier avec les congés scolaires. La maman a déjà « fluoté » en rose ses week-ends de garde et en bleu ceux du papa. Même code couleur pour la répartition des congés. Vacances d’été ou fêtes de famille, tout sera planifié en fonction des filles.

LE REGARD DE...

Sarah Parisel, psychologue à la maison des parents solos

« Ce témoignage reflète la difficulté qu’éprouvent les parents solos à prendre soin d’eux. Parce que les attentes sociétales à l’égard des parents sont énormes, c’est du boulot de parvenir à cocher toutes les cases. Mais la charge est toute différente selon que l’on soit un ou deux parents.
L’exemple de Céline est aussi emblématique d’une autre réalité : malgré l’hébergement alterné, le parent séparé est en état de veille, il reste connecté en permanence à son enfant. C’est encore plus vrai pour les mères à qui il revient encore le rôle de prendre soin. C’est toute la question genrée de la charge mentale. »

CE QU'ELLES EN DISENT...

Les deux filles aînées de Céline ont aussi exposé leur point de vue sur la place qu’elles ont le sentiment d’occuper.

  • Inès, 18 ans : « Chez maman, peu de choses ont changé. Mes parents se sont séparés quand j’avais 8 ans et ma plus jeune sœur 1 an et demi. Au début, j’ai clairement joué un rôle de petite maman pour elle quand on était chez notre père. D’ailleurs, là-bas, on dort toujours ensemble. Au début parce qu’elle faisait des cauchemars et finalement elle n’est jamais repartie. Je me souviens aussi que j’étais stressée qu’on arrive en retard à l’école, je réveillais mes sœurs, faisais en sorte que tout soit prêt pour quand on devait partir. Chez maman, je n’ai pas ce rôle, c’est elle qui l’endosse. »
  • Anabel, 15 ans : « Me retrouver du jour au lendemain avec une belle-mère et un demi-frère de mon âge a été compliqué. J’avais du mal à concevoir que je pouvais avoir une place bien à moi et pas au second plan. Encore aujourd’hui, j’ai l’impression que mon frère passe en priorité. Chez papa, je n’ai pas d’endroit à moi auquel me référer. Ma chambre, ça tient à deux matelas posés au sol et à une armoire, ça me fait plus penser à une grande coloc. »

► Quand le conflit prend toute la place, l’expérience terrain d’une intervenante familiale

Hélène Soyeur est intervenante familiale à l’Espace parents dans la séparation de Charleroi. Les parents qui font appel à son service sont souvent pris dans des séparations conflictuelles.
« Quand le conflit prend toute la place, il n’y en a plus pour l’enfant et ses besoins », explique Hélène Soyeur, qui relate un exemple pour illustrer cette réalité. Un enfant est pris entre ses deux parents qui ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le choix d’une activité extrascolaire. Il est inscrit à deux activités différentes et les pratique en alternance. Le conflit est tel que les parents refusent même que les vêtements transitent chez l’autre. L’enfant doit donc se changer sur un parking au moment du changement de garde.
« À ce niveau de conflit, les parents sont dans l’incapacité de prendre en compte les besoins de leur enfant et de concevoir l'inconfort que cela génère pour lui. Notre mission, c’est d’aider, sans jugement, ces parents à restaurer une communication constructive pour leur permettre a minima de tenir une position parentale commune et cohérente et ne pas laisser l’enfant dans une situation où il porte tout. »

► Quand la famille se recompose et que chacun doit retrouver une place

Samuel est séparé depuis dix ans de la maman de ses deux fils qui ont 13 et 16 ans. Cela fait deux ans qu’il s’est remis en couple. Sa compagne est enceinte et déjà maman d’une adolescente de 14 ans.
Dans cette maison, les configurations sont multiples. Un week-end sur deux, le couple vit en duo. Le reste du temps, il y a une semaine à trois avec la fille de sa compagne, des bouts de semaine à quatre avec ses deux fils et d’autres jours où la famille est au grand complet.
« Quand je me suis séparé et qu’on s’est retrouvé à trois, cela m’a permis d’avoir une relation plus intense et forte avec mes fils. J’avais l’impression d’être plus présent et de reconstruire quelque chose avec eux. Dans la nouvelle configuration familiale, je suis attentif à avoir des moments avec chacun. Que ce soit pour aider l’aîné dans son travail à l’école, pour accompagner le cadet à l’académie. Le week-end passé, on s’est fait une sortie ciné à trois. Ces moments sont importants. C’est pareil pour ma compagne et sa fille. Un soir par semaine, je vais au sport et elles se font une soirée sushi-papote. Les repas du soir sont en revanche des moments où on se retrouve tous ensemble. »
Samuel identifie deux clés à l’équilibre de sa famille recomposée : garder des moments pour chaque relation et faire en sorte que chaque enfant se sente accueilli et qu’il puisse aussi se retirer dans sa bulle quand il en éprouve le besoin. Pour le papa, accueillir ses enfants, c’est se montrer disponible quand ils reviennent de chez leur maman, prendre de leurs nouvelles sans pour autant imposer sa présence.

Entre insertion et modulation

Autre exemple avec Théa, 21 ans, qui vit en hébergement alterné : dix jours chez sa maman, quatre jours chez son papa. D’un côté, elle vit seule avec sa mère. De l’autre, elle est l’aînée d’une fratrie de trois filles. « Chez maman, tout se calque beaucoup sur mon rythme, alors que chez papa, j’ai plus le sentiment de m’insérer dans une vie de famille plutôt que de la moduler ».
Théa a 6 ans quand sa petite sœur naît. Dans la famille, pas question de parler de demi-sœur. Un vocable qui a son importance à ses yeux. « Pour moi, ce sont mes sœurs à part entière. Même si on ne se voit pas tout le temps, on a des relations très fortes. Ce que j’aime, c’est tous les moments que j’ai avec chacun·e : les papotes du soir avec la sœur qui me suit, la mise au lit de la plus jeune, le marché le samedi matin avec papa, les repas de midi avec Sandrine ». Théa fait toujours en sorte d’arriver avant le souper et de repartir après le repas, ce qui lui permet aussi de vivre des moments tous ensemble.
Bien sûr, tout n’a pas toujours été facile. Même si elle ne s’en souvient plus bien, elle sait que la naissance de sa sœur a été un moment charnière qui a redéfini sa place. Tout à coup, elle n’était plus enfant unique des deux côtés. « Je pense que le fait de vivre des choses très différentes des deux côtés a été une force aussi. J’ai développé une bonne capacité d’adaptation ».

LE REGARD DE...

Mario Alu, psychologue au département Enfants-Famille au service de santé mentale Chapelle-aux-Champs et au planning familial Les Bureaux de Quartiers à Schaerbeek

« La recomposition familiale redéfinit les liens entre les membres de la famille. La place de l’enfant va être requestionnée et prendre une nouvelle teinte. Pour pouvoir vivre et faire famille ensemble, il faut que chaque membre puisse se sentir reconnu·e et accepté·e, c’est une condition sine qua non. »