Vie pratique

Comment faire quand les projections des un·es et des autres divergent ? Faut-il accorder les violons ou accepter l’option bande à part ? On en débat avec Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé à l’UCLouvain.
Vous rêvez de mer quand votre moitié ne jure que par la montagne. Vacances et sport constituent un duo indéboulonnable pour vous, mais vos ados ont la flemme. Pour que ce soient de vraies vacances pour tout le monde, il faut que chaque membre s’y retrouve.
Alors, on fait comment ? Première étape : on met les choses à plat. « Créez la discussion autour des vacances », préconise Olivier Luminet. L’occasion pour chacun·e d’exprimer ses attentes, ses besoins, voire ses craintes. Les plus jeunes auront peut-être un peu de mal à se prêter à l’exercice. On peut les y aider à partir de questions toutes simples : « Qu’as-tu préféré des vacances l’an dernier ? Pour toi, de bonnes vacances, c’est… ».
Le professeur de psychologie de la santé étaye son propos par un exemple personnel. Actuellement en année sabbatique, il a énormément voyagé. Cet été, il n’aspire qu’à une chose : ne plus bouger. Il craint d’être en décalage avec sa femme et ses enfants qui ont fortement apprécié le grand voyage de l’an dernier. Plutôt que de fantasmer sur les attentes des un·es et des autres, il lance une discussion sur le sujet. Contre toute attente, sa femme est partante pour rester en Belgique et suggère de séjourner à la côte belge. Les enfants valident.
« Quel soulagement ça a été. J’avais l’impression que toute la famille aspirait à un grand voyage alors qu’on était raccord sur l’envie de rester tout près et d’aller vers quelque chose de simple. Sans le savoir, nous nourrissions le même objectif. »
Le fait de donner l’occasion à chaque membre de s’exprimer offre aussi l’avantage d’organiser les choses dans la durée et de trouver des compromis. Par exemple, cet été, on opte pour des vacances à la mer, mais l’été prochain, on ira à la montagne.
Ce qui peut être source de tensions
Ne nous voilons pas la face, toutes les discussions familiales autour des vacances ne prennent pas la même tournure. Dans certaines familles, parler vacances peut être source de tensions. Pourquoi ? « Les vacances représentent un changement radical dans nos habitudes et modes de vie, explique Olivier Luminet. Elles peuvent mettre en évidence des fragilités ou des modes de fonctionnement très différents ».
Parlons organisation pour mieux s’en rendre compte. Si le fait de planifier peut être une source d’apaisement pour certain·es, d’autres se sentiront coincé·es et restreint·es dans leur liberté. « Au-delà de la question du besoin, cela soulève quelque chose de l’ordre d’une capacité mentale. Il y a des gens qui ne sont pas capables de se projeter mentalement et de programmer leurs vacances d’été plusieurs mois à l’avance. L’horizon temporel est très variable d’une personne à l’autre ».
Dans tous les cas, c’est en discutant qu’on peut mettre ces besoins divergents en évidence et trouver une formule qui permette de les prendre en compte. Pour les un·es, en cherchant un compromis à la belge. Pour les autres, en assumant de faire bande à part pour mieux se retrouver ensuite.
► Option 1 : le compromis à la belge
L’été dernier, Martial et Esther tombent d’accord pour voyager en mode zéro émission. Leur destination, ils la rejoindront à vélo. Si l’aînée, 11 ans, adhère au projet, la cadette, 7 ans, ne l’entend pas de cette oreille.
Olivier Luminet confirme « les sensibilités écologiques peuvent faire l’objet de désaccords ». Selon lui, la tendance est plutôt au décalage entre les parents et leurs ados. « Les jeunes voyagent de façon beaucoup plus raisonnable que leurs parents. Avant, si on avait les moyens financiers de voyager loin, on ne se posait pas d’autre question. Aujourd’hui, ça ne suffit plus. La question environnementale est plus prégnante ».
Revenons à Martial, Esther et Émeline. La famille s’en sort avec un bon vieux compromis à la belge. Pour obtenir l’adhésion de leur cadette, le couple cherche une destination relativement proche. C’est sur Walcourt, à 50 kilomètres de leur domicile, qu’ils jettent leur dévolu. L’itinéraire est même coupé en deux avec une halte à l’auberge de jeunesse de Charleroi pour mettre Émeline à l’aise.
« Heureusement, on a un vélo cargo dans lequel j’ai pu charger tout le matériel. Elle n’a rien eu à porter. Arrivée sur place, Émeline a pesté quand même un ‘Vous ne m’aurez plus jamais !’ ». La piscine, les chevaux et le jardin lui font vite oublier le trajet. Durant la semaine de vacances, la petite lâche du lest. Les courses et les excursions se font à vélo sans qu’elle n’y trouve à redire.
À l’approche de la date retour, Émeline campe sur ses positions. Pas question de refaire le trajet retour à vélo. Martial et Esther ne se braquent pas. Ils décident de profiter de la visite d’un proche le vendredi soir pour permettre à la petite de repartir en voiture.
► Option 2 : le combo bande à part et famille
Chez François aussi, les projets vacances ne font pas toujours l’unanimité. Le papa a bien envie de profiter de l’été pour passer du temps avec sa maman qui prend de l’âge, mais l’entente entre sa femme et sa belle-mère n’est pas au beau fixe. Qu’à cela ne tienne, le papa commencera les vacances d’été avec sa mère et une de ses filles pour les poursuivre ensuite avec femme et enfants.
C’est aussi l’option retenue par Christelle. L’été commencera en bande à part pour se terminer en famille. « On a pesté sur ces camps dont les dates ne coïncidaient pas et puis on a décidé de le voir comme une opportunité. Je ferai une rando avec mon fils pendant le camp de ma fille. Ce qui laissera aussi du temps libre à mon compagnon. Quand mon fils sera en camp, ma fille profitera des grands-parents. Tout le monde aura un peu l’occasion de se manquer pour mieux se retrouver ensuite ».
À l’inverse, Delphine et David profiteront des camps simultanés de leurs trois enfants pour se faire une petite virée à deux dans les Vosges. Vivre un rythme plus cool, juste à deux, sans obligation. Une manière pour le couple de recharger ses batteries pour mieux retrouver les enfants ensuite.
« Il y a des gens qui ne sont pas capables de se projeter mentalement et de programmer leurs vacances d’été plusieurs mois à l’avance. L’horizon temporel est très variable d’une personne à l’autre »
À GARDER EN TÊTE
Les vacances, une vraie fonction
Pour Olivier Luminet, peu importe le lieu ou la durée. Ce qui compte, c’est d’avoir la possibilité de se retrouver tous ensemble à un moment des vacances. À ce titre, il nous rappelle la vertu première des vacances. « Les vacances ont une fonction de coupure. Couper avec le rythme de l’année, le travail, l’école, les contraintes logistiques. Le fait de se couper de toutes ces choses est une opportunité de se reconnecter à soi et aux autres ».
Le professeur met toutefois en garde contre la menace que représentent les nouvelles technologies. « On peut être physiquement ensemble, dans le même lieu, la même maison, mais être pris dans des préoccupations très différentes si on ne coupe pas avec ce quotidien justement. Les réseaux sociaux, les appels, les mails peuvent venir faire barrière. Gage aux familles de s’en rendre compte et de fixer un cadre propice à cette déconnexion-reconnexion ».
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