Vie pratique

Valérie Renard : sa vie est un voyage

Rencontre avec Valérie Renard, une voyageuse pas comme les autres

Voici une mère voyageuse. Et quels voyages ! Car ceux dans lesquels elle s’est lancée avec son mari Frédéric ont une dimension existentielle. Ils sont une manière de saisir la vie à bras-le-corps, de dépasser les obstacles.

Lors de notre premier contact, elle propose de nous retrouver en Zélande où est amarré le tout petit voilier où elle élargit son horizon, notamment par l’écriture. Covid oblige, nous préférons la rencontrer chez elle, à Grande Enneille, près de Durbuy. Elle habite une petite maison traditionnelle qu’elle et son mari ont entièrement réhabilitée. Perchée sur une colline, elle donne sur la vallée de l’Ourthe, ondulée de vallonnements comme autant de vagues ardennaises. Elle nous reçoit dans ce qui était à l’origine une étable.

Des racines voyageuses

Si Valérie Renard s’est ancrée en Ardennes, elle a néanmoins le goût du voyage installé dans ses gènes depuis sa naissance. « Quand j’étais enfant, nous partions un mois en vacances, toujours à l’étranger. Nous habitions en Allemagne où mon père était caserné. Revenir en Belgique était chaque fois un voyage. On vivait dans une sorte de ghetto, la cité militaire belge, où tous les papas avaient le même métier. Un milieu assez uniforme, sourit-elle. Cela donne envie de découvrir d’autres horizons ».
Ses secondaires, elle les accomplit à l’internat à Rösrath (D), puis à Malmédy, suivies d’une année aux États-Unis. À son retour, elle se lance dans des études de… tourisme bien sûr ! « La section venait d’ouvrir au Rivageois (devenu Haute École Charlemagne) à Liège, explique-t-elle. Cette option correspondait à mes attentes car elle ouvrait aux langues, à la communication, aux rencontres et un peu aux voyages même s’ils n’étaient pas l’objectif principal à mes yeux ».
S’ensuit un séjour de six mois en Espagne avec Eurodyssée (programme d’échange de l’Assemblée des Régions d’Europe, qui offre des stages de trois à sept mois à l’étranger à de jeunes demandeurs d’emploi), puis une année dans un hôtel aux Pays-Bas. Entretemps, elle propose ses services comme bénévole à Eurodyssée. Elle sera finalement engagée et restera onze ans au service de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE) pour développer ce programme d’accueil en Wallonie et assurer le suivi des stagiaires dans les entreprises.

Un voyage pour naître parents 

Le couple veut prendre un nouveau cap : celui de la parentalité. Devant l’impossibilité de concevoir un enfant, il opte pour l’adoption. Un choix qui a pris du temps. « L’histoire de la maternité chez nous a été un voyage émotionnel intense, se souvient Valérie Renard, car il y a eu cette attente, ce désir d’enfant, la prise de conscience que je ne peux pas vivre sans enfant et que je ne peux pas enfanter, mais que je ne suis pas obligée de le porter. Il y a assez d’enfants sur la planète qui sont en attente d’amour. C’est la pression de la société et le regard des autres qui ont fait que je me suis sentie mal dans cette situation. Une thérapie m’a aidée à voir les choses différemment, se souvient celle qui a aujourd’hui deux enfants. Le processus nous a pris six ans avec les essais, l’acceptation, les démarches administratives, les échanges, et enfin l’arrivée de notre fils en 2001. On doit vraiment faire la preuve que l’on sera de bons parents ».
Les obstacles sont nombreux. Les critères pour l’adoption leur imposent d’occuper une maison plus grande, avec deux chambres, raison pour laquelle ils déménageront en 1999 pour les Ardennes. Un coup de foudre pour cette maisonnette délabrée, sans toilettes, sans salle de bain, acquise en quelques heures, puis rénovée.
Après une procédure qui aura duré deux ans, la bonne nouvelle : un petit garçon les attend en Thaïlande, à Chiang Mai. Mais du pays et de ses merveilles, le couple belge n’en verra quasi rien. Et pour cause : leur bébé est hospitalisé dès la première nuit et doit rester « confiné » à l’hôtel durant tout le séjour pour être soigné.
« Ce voyage, confie Valérie Renard, a été d’autant plus émotionnel que nous devions veiller sur ce petit bout que nous connaissions à peine. Nous n’étions pas préparés à ça, mais ça a eu pour effet de réveiller ma fibre maternelle en une fraction de seconde ! »
Valérie Renard a raconté ce parcours dans un livre, Le carnet vert (Maïa, 2020). Titre inspiré du carnet reçu lors des échanges avec l’organisme d’adoption. S’y trouvait une photo du bébé avec sa mère biologique, réfugiée birmane. « Je me suis posée plein de questions face à cette photo où le visage de la mère était marqué par la douleur. J’ai eu longtemps de la culpabilité ».
Le carnet vert a cependant été précédé en 2016 d’une autre publication, Et si on partait ?, journal de bord d’une année sabbatique en famille sur un voilier, sorti en autoédition (commande sur bateauplume.be). Le récit d’une autre aventure…

Famille à voile sur 15 m²

Valérie Renard a appris à le découvrir : la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle peut également réserver de belles surprises. En l’occurrence, la naissance inattendue d’une petite fille, neuf ans après l’arrivée de leur aîné ! « Une nouvelle aventure qui a remis beaucoup de choses en question, car nous avions trouvé un équilibre à trois et qu’on lui a diagnostiqué une maladie orpheline », confie Valérie Renard.
D’autre part, une fois passé le cap de la trentaine, Valérie Renard a envie de changement. « Ayant appris que l’on cherchait quelqu’un pour créer un site touristique lié à la rivière à Hotton, je me suis présentée alors que je ne savais même pas ce qu’était un brochet, rit-elle. Je n’avais pas de piston, mais ils ont apprécié mon dynamisme et mon envie de me former. Je suis même la première femme monitrice de pêche en Belgique ! ».

« Trop souvent, on se met soi-même des obstacles pour ne pas partir. Il suffit d’un seul pas et ça, tout le monde en est capable »

Riveo est né. Elle en sera directrice pendant dix-huit ans et sera rejointe par son mari pour la logistique. « Gérer l’administratif, le financier, le personnel, ce n’était pas ma vocation », précise-t-elle. Vingt-sept ans de mariage ont aussi amené une routine qu’elle veut enrayer. « Qui n’a pas déjà rêvé de larguer les amarres, de tout plaquer, de changer d’air », écrit-elle en exergue à Et si on partait ?
Le couple opte pour une année sabbatique. Et part de rien. Sur un an, son mari suit des cours de navigation, ils achètent un petit voilier, organisent la scolarité des enfants et se lancent. « Je rêvais d’aller à Istanbul, mais on est royalement arrivé à Marseille. L’objectif, ce n’est pas la destination, mais bien le chemin. On a pris notre temps en fonction des rencontres, de la météo, des vents ». Le tout sur un espace de 9,50 m pour 15 m².
« Au premier confinement, on a eu l’impression de revivre la situation, les uns sur les autres, avec les moyens du bord. On devait mettre de l’eau dans son vin, être créatif au niveau des activités quand on était à l’ancre, etc. J’y ai appris la patience et le lâcher-prise, à vivre au rythme de la nature, de mon corps. J’ai aussi découvert mon mari et mes enfants comme je ne les aurais jamais connus sans ce voyage. »
Leur fils en a attrapé le goût du voyage. Parti au Danemark avec les Compagnons bâtisseurs, en Islande pour un journal insulaire, en Lituanie avec le Service volontaire européen, il vient de commencer des études en… histoire et géographie ! Mais avant cela, un autre voyage l’habitait secrètement.

Retour aux sources

À ses 18 ans, sans en avoir rien dit pendant dix ans, leur fils émet son souhait de retourner dans son pays natal et de consulter son dossier d’adoption. L’association Amarna, toujours présente à leurs côtés, le convainc de se laisser accompagner.
« On en a profité cette fois pour faire du tourisme, découvrir le pays, ses temples magnifiques, sa gastronomie, son architecture, la gentillesse des gens. J’ai renoué avec le goût de la découverte et des grands voyages comme on en avait fait plus jeunes en Malaisie, au Népal, en Alaska, au Maroc, en train dans le grand nord norvégien avec notre fils… »
À Chang Mai, ils ont rendez-vous avec l’ancienne directrice de l’orphelinat. Laquelle parvient à retrouver la mère et le père biologiques de leur fils ! Celui-ci découvre à cette occasion qu’il a une petite sœur de sang âgée de 10 ans ! « Tout le village était là. Cette rencontre était inattendue et émouvante, confie Valérie Renard. J’avais envie de leur dire plein de choses même si c’était par l’intermédiaire d’un interprète. En même temps, on était complètement décalés, à des années-lumière de nos réalités respectives. Je rêve qu’un jour la petite sœur viendra nous rendre visite ici. Aujourd’hui, c’est elle qui poursuit les contacts par des photos et vidéos via Facebook. Et notre fille essaie d’apprendre quelques mots de thaï… ».

Par mots et par vagues

En mars 2021, Valérie Renard démissionne de Riveo. « Grâce au covid et grâce au cancer, que je vois maintenant comme une chance, lâche-t-elle avec assurance en nous apprenant cette nouvelle épreuve. Il m’a permis de quitter mon boulot, de prendre conscience que j’avais perdu le contact avec mes vraies valeurs, mes motivations premières qui sont d’aller vers les autres, de communiquer. Je me suis lancée dans un voyage par l’écriture qui me tient fort à cœur. J’y trouve l’essence qui donne sens à ma vie. J’ai tout lâché pour l’écriture et l’accompagnement par l’écriture ».
Elle organise des ateliers d’écriture en Ardennes ou au bord de la mer, sur un nouveau voilier, encore plus petit que le précédent. Elle écrit ou aide à écrire des récits de vie à la demande, des sites, travaille à un recueil de témoignages de femmes atteintes d’un cancer, etc. Dernière idée en date : rédiger pour ceux et celles qui le souhaitent des louanges destinées à des personnes avant qu’elles ne décèdent… Le nom de sa nouvelle activité : Bateau-plume !