Société

[ Familles des campagnes ] Vivre ensemble : celles et ceux qui font vivre les villages

Rencontre avec trois acteurs et actrices de la vie des villages

COUP DE JEUNE

Éléanore, 22 ans, active au sein de clubs des jeunes

« Il faut arrêter avec ce stéréotype : la campagne, c’est dépassé, c’est nul. Il y a autant de liens sociaux que si t’es en ville ». Voilà, ça, c’est Éléanore, un engagement entier. De l’enthousiasme à tout crin. Pour ne rien vous cacher, c’est la fille d’Aurore qui intervient aussi dans ces pages. C’est en parlant du rôle des clubs des jeunes au cœur des villages que la directrice de l’ACRF en vient à évoquer sa fille. Cela nous parle. On a envie de discuter avec elle.
Aujourd’hui, Éléanore est en deuxième master à Bruxelles. Mais c’est à la campagne où elle se sent le mieux. Elle y a développé son réseau, sa communauté. Trésorière au club des jeunes de Courrière en province de Namur, elle donne aussi un coup de main à celui de Maillen, le patelin voisin. Sans oublier son implication au patro d’Assesse, cœur de la commune.
« Vers 15 ans, je ne connaissais pas vraiment les gens de mon village, j’avais très envie de les rencontrer, de créer des liens. À cet âge-là, ta vie sociale est limitée à l’école, à l’extrascolaire. Moi, j’avais envie de rencontrer des gens différents de moi. Et, en même temps, d’être impliquée dans un projet commun pour faire vivre le village, favoriser la rencontre entre jeunes des environs. »
Au sein des villages, les clubs des jeunes s’imposent souvent en acteurs incontournables de la vie sociale. « À Courrière, on participe à l’organisation de la fête du village ouverte à tout le monde. À Maillen, le club a toujours une attention particulière pour les aînés dans l’organisation de la kermesse, ce qui en fait un événement très intergénérationnel. À côté de cela, il y a les tournées de Saint-Nicolas, de père Noël ». Objectif avoué, mettre de l’animation au sein du village et, du coup, créer du lien social.
Ce sont aussi des contacts interfamiliaux très riches. « Si on se retrouve à la kermesse en manque d'effectifs, on demande aux parents de nous aider. Je ne connais pas beaucoup les parents de mes copains d’unif, en revanche, les copains de mon village, je sais qui sont leurs parents. C’est précieux de connaître la famille de ses amis. Les papas, les mamans, les frères, les sœurs ».
Reste à maintenir la flamme. Pas celle d’Éléanore, gageons que celle-là ne s’éteindra jamais. Mais plutôt celle du club des jeunes. Pour être pérenne, celui-ci doit se renouveler. Pas facile, concède notre interlocutrice. « On a du mal à trouver des nouvelles recrues. On a déposé des mots, fait du porte-à-porte pour rendre visite à tous ceux qui avaient plus de 15, 16 ans. On a expliqué nos projets, expliqué le sens. Mais, c’est dur. Il y a la peur d’aller dans une association où on ne connaît personne. Souvent, c'est le bouche-à-oreille qui fonctionne le mieux. On compte aussi sur les événements organisés pour créer un déclic chez certains ».

Éléanore fait partie de ces jeunes qui se bougent pour leur village

COUP DE NEUF

Aurélie, 37 ans, maman de deux enfants

Ragnies. Son label de « plus beau village de Wallonie ». Ses maisons de pierre et de briques. Sa place. Ses champs. Son église. Si l’école a été menacée à une époque, aujourd’hui, elle continue à accueillir les élèves en son sein. C’est un des lieux de socialisation du village. À côté de cela, des comités voient le jour pour dynamiser la vie ragnicole. En 2022, le village a lancé sa marche napoléonienne dédiée à saint Véron. Celle-ci s’inscrit désormais dans l’éventail des marches propres à l’Entre-Sambre-et-Meuse. Ce moment festif et folklorique est éminemment familial, les marcheurs et marcheuses se recrutant dans toutes les tranches d’âge.
Dans ce contexte déjà riche, Aurélie et d’autres ont lancé l’association Ragnies Ensemble en septembre dernier. Une pierre supplémentaire à l’édifice de la cohésion sociale. Point d’attention, les enfants.
« On s’est rendu compte que, dans la vie du village, des choses étaient organisées, mais pas forcément en priorité pour les enfants. Avec plusieurs voisins, également parents, on a donc décidé de se mettre ensemble pour créer des activités. À la base pour les enfants du village, mais on ouvre aussi à l’extérieur. Notamment aux élèves de l’école de Ragnies qui n’habitent pas forcément la localité. Notre ambition, à travers ça, c’est aussi de créer du lien entre les parents en créant des activités pour les enfants. »
Pour l’instant, l’association pense ses animations en fonction d’un calendrier assez classique. « La toute première activité était centrée autour d’Halloween. On a rassemblé plus de 300 personnes, adultes et enfants confondus. La prochaine se déroulera à Pâques ». En se posant comme organisateur de moments de rencontre, Ragnies Ensemble veut participer au décloisonnement.
« Dans notre village, ce sont souvent les mêmes noyaux de personnes qui se côtoient parce qu’elles habitent dans un certain périmètre. Parfois, des familles qui habitent cinq rues plus loin restent des inconnues. On l’a vu pendant Halloween, des parents qui ne vivaient pas loin l’un de l’autre ne se connaissaient pas alors que leurs enfants étaient dans la même école. Cela renforce les liens ». Et à terme, peut-être, la solidarité.
Dans ce projet, Aurélie met en avant deux éléments importants qui relèvent de l’implication. Celle de la commune d’abord. « La Ville de Thuin est vraiment à l'écoute de ce qu'on veut faire. Elle nous conseille, nous encadre. Ça montre que les petits villages excentrés comme le nôtre comptent aussi ».
Autre implication, celle des plus jeunes. « Nous sommes sept adultes à avoir lancé l’association, mais pour vraiment garantir la place des plus jeunes dans nos activités, nous impliquons nos enfants. Ils nous amènent plein de bonnes idées. C’est fédérateur, d’autant qu’ils embarquent leurs copains et copines qui nous aident lors de l’événement, mais aussi lors de sa préparation ».

Aurélie et d’autres ont lancé une association pour notamment les activités destinées aux enfants

COUP DE PIED DE BUT

Daniel, 66 ans, papa de deux fils et cinq fois grand-père

Daniel est né à Compogne (commune de Bastogne). Aujourd’hui, il y est incontournable. Notamment par son rôle au sein du Royal Football Club de Compogne où il cumule les fonctions de trésorier et de président. Le club est un acteur majeur de la vie de village, entre autres grâce à une salle bordant le terrain, qui a été rénovée et fortement agrandie. Au point, de devenir le couteau suisse de la socialisation au cœur de ce patelin de 400 habitant·es.
« Le club est incontournable pour les nouveaux arrivants, les nouvelles familles qui s’installent. C’est le meilleur moyen de rencontrer les autres habitants du village. Si les parents ont des jeunes enfants, ils les inscrivent dans les équipes d'âge et ils rencontrent d’autres parents. Bref, ils s'intègrent dans le village grâce au foot ». Daniel parle avec ferveur et conviction de son club qu’il présente comme un ciment social nécessaire.
Le club, donc, mais aussi son écrin. Une salle multifonctionnelle repensée il y a quelques années. À l’époque, le dossier de rénovation est accepté par Infrasport, dont la mission est d’octroyer les subventions wallonnes destinées à encourager la réalisation d’investissements d’intérêt public en matière d’infrastructures sportives. Ce sont deux tiers de la somme nécessaire qui sont pris en charge.
Le reste, c’est le club qui l’assume, il fait un emprunt de 120 000€ sur vingt ans. « C’est pas banal, explique Daniel. D’habitude la commune intervient aussi. Ici, elle ne l’a pas fait. C’est dommage quand on sait tout ce que la salle apporte au niveau de l’animation du village ».
Pour paraphraser la devise du Ligueur, dans la salle du RFC Compogne, toutes les familles s’y retrouvent. Et pour cause. « On va même jusqu'à y faire les cours de gym parce qu'il n’y a pas de grande salle dans l'école du village. On travaille avec le comité de parents parce qu’il n’a pas de locaux. S’y organisent aussi les événements qui émaillent les vies des familles : repas de baptême, de mariage, tasses de café d’après enterrement, soupers d’école, soupers de la kermesse ». On confirme, il nous a été donné de voir le déroulement de cette fameuse kermesse de Compogne. Toutes les générations y étaient présentes dans une ambiance des grands jours.
Intergénérationnel, c’est un mot qui revient souvent dans la bouche de Daniel, singulièrement lorsqu’il évoque les matches du dimanche. Face au manque de lieux de socialisation, les gens se retrouvent dans la salle. Les jeunes qui jouent. Leurs familles. Les ancien·nes du village. Collaboration et solidarité autour du ballon. C’est vrai à Compogne, mais aussi dans d’autres entités. Le sport n’est pas seulement bon pour la santé, il l’est aussi souvent pour la cohésion sociale.

Daniel, incontournable à Compogne