Développement de l'enfant

3/4 des séparations sont voulues par les femmes

Ce sont les femmes qui, le plus souvent, demandent le divorce. Dans Séparée. Vivre l’expérience de la rupture (Éd. Armand Colin, 2011), une petite centaine d’entre elles racontent au sociologue français François de Singly pourquoi et comment elles ont rompu. Leurs récits suggèrent à ce spécialiste du couple et de la famille qu’on se sépare comme on a vécu ensemble. Rencontre.

François de Singly : « Les femmes sont déçues par le faible engagement de leur conjoint dans la vie commune et par le peu d’attention qu’elles reçoivent de lui. Une autre raison, historique celle-là, explique pourquoi la plupart des ruptures sont voulues par elles. Au début du 20e siècle, la restauration du divorce par consentement mutuel était une exigence féminine. Les hommes, eux, n’avaient pas cette demande puisqu’ils avaient inventé un type d’union qui les arrangeait, le mariage bourgeois : d’un côté, ils bénéficiaient de la stabilité conjugale et familiale avec une épouse qui assurait la fonction de représentation et était la mère de leurs enfants ; de l’autre, ils pouvaient avoir la satisfaction d’une liaison extraconjugale. »

On se quitte… comme on a vécu

Le Ligueur : Votre thèse est qu’on se sépare comme on a vécu. C’est-à-dire ?
F. de S. : « Les motifs du divorce et la manière dont la femme se sépare renvoient à sa conception de la vie conjugale. Et là, je vois trois styles, en lien avec trois façons de pondérer le 'je' et le 'nous'.
Dans le premier modèle, le plus classique, les femmes privilégient la construction d’un monde commun, elles investissent d’abord le 'nous' qui est à la fois conjugal et familial. Progressivement, leur mari ne va les voir que comme des épouses et des mères, oubliant qu’elles ont aussi une identité personnelle et que la fonction de l’amour, c’est justement la reconnaissance de cette identité personnelle. Ces femmes vont reprocher à leur mari de les réduire à l’épouse et à la mère, et de ne rien faire pour le 'nous' : elles sont responsables du 'nous', leur homme les enferme dans ce 'nous', alors que lui n’hésite pas à jouer 'perso' ! Au début, elles acceptent cette vie, au nom du 'nous'. Mais, à un moment (quand elles découvrent l’infidélité de leur mari, par exemple), cela explose. Cela donne des séparations difficiles, vécues sur le mode du regret : 'En fin de compte, je me suis trompée…'. Ce modèle est en train de s’effacer : il correspond à la façon de vivre de ma grand-mère ou de ma mère.
À l’opposé, on trouve un nouveau type de séparation en lien avec le développement personnel. Ici, les femmes insistent avant tout sur leur réalisation personnelle et elles vont soudain découvrir que leur partenaire a un regard décalé sur elles. Pas un regard indifférent comme dans le premier modèle, un regard décalé : 'Il m’apprécie pour ce que je suis, sauf que ce que je suis aujourd’hui n’est pas ce que j’étais hier. Je me suis transformée et j’ai besoin de quelqu’un qui m’accompagne pour ce que je suis désormais.' Ces femmes n’ont pas grand-chose à reprocher à leur partenaire. Elles ne vivent pas la rupture comme un échec, mais comme une étape leur permettant de grandir. Ce type de séparation est surtout présent chez les 25-35 ans. »

L. L. : Et le troisième type de séparation ?
F. de S. : « Il concerne des femmes qui approuvent à la fois l’autonomie de chacun et le fait de tout partager dans le couple. Elles sont engagées dans la vie professionnelle, ont des copines et, en même temps, elles veulent créer un 'nous' fort avec leur conjoint et croient qu’il recherche la même chose. Elles vont peu à peu être déçues pour deux raisons. D’abord, elles vont comprendre que leur partenaire joue peu 'collectif'. Ensuite, elles vont s’apercevoir d’un malentendu. Elles veulent que leur partenaire les reconnaisse en entier et elles souhaitent faire de même avec lui. Mais lui ne demande pas une reconnaissance totale, unique, exclusive. Il a tendance à cloisonner son existence en sous-mondes : travail, vie de famille, vie sexuelle… Il estime qu’il y a des morceaux de sa vie qui n’ont pas nécessairement à être connus, en tous cas pas par une seule personne. Les femmes de ce groupe vont prendre conscience d’un tel cloisonnement parce que leur conjoint ne leur parle jamais de son travail, par exemple. Alors, si, en plus, elles découvrent l’existence d’une autre femme dans un de ses sous-mondes, la confiance sera rompue et la vie à deux deviendra intolérable pour elles. »

Redevenir maitre de son temps

L. L. : Un point commun entre ces ruptures, c’est la libération qui en résulte pour les femmes…
F. de S. : « Oui. Même si la séparation a été difficile, elles ont toujours un sentiment de reconquête d’elles-mêmes, elles savourent le fait de redevenir maîtresses de leur temps. Cela est révélateur des rapports hommes/femmes en général: ce sont quand même toujours les femmes qui supportent le plus les compromis autour du temps, ne serait-ce que parce qu’elles se consacrent davantage au travail domestique. Tant qu’elles sont en couple, elles ne s’en plaignent pas. L’inégalité face au travail domestique apparaît en creux : 'Avec la séparation, j’échappe au moins à ça…' »

L. L. : Au moment de la séparation, le soutien d’une amie, d’un professionnel à l’écoute semble précieux…
F. de S. : « Voilà un paradoxe de l’individualisme : il est très difficile de se reconstruire tout seul ! Dans le processus de rupture et de reconstruction de soi, on a besoin de mobiliser des aides. Et celles-ci ne viennent pas obligatoirement de la meilleure amie ! Ce fut une des surprises du livre : vous pouvez prendre des forces dans le 'camp d’en face'. Par exemple, auprès de l’ex-belle-sœur qui a vécu une expérience similaire. »

L. L. : La présence d’enfants joue-t-elle dans la décision de se séparer ou pas ?
F. de S. : « J’estime que non ! Avant, c’était un facteur ralentisseur; aujourd’hui, non. Sans doute, cela l’est encore un peu dans le modèle 1, ce qui est normal car il est très ancré dans le 'nous', mais pas dans les modèles 2 et 3. Cela va peut-être choquer, mais la question des enfants est secondaire par rapport à la revendication de reconnaissance. D’ailleurs, une partie des femmes du groupe 1 racontent qu’au moment de leur divorce, leurs enfants leur ont dit : 'Tu en as mis du temps !'. Parce que les enfants, eux, sont modernes ! Ils veulent être eux-mêmes. Ils ne comprennent pas qu’une femme, même si elle est une bonne mère, ne soit pas elle-même. »



Propos recueillis par Martine Gayda

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