Vie pratique

3 pistes de solutions pour éviter que l’enfant ne joue l’interprète

On l’a lu dans les témoignages : les rôles peuvent s’inverser entre le parent qui ne maîtrise pas la langue pratiqué dans l'école et l’enfant quand ce dernier doit traduire tous les rendez-vous. Voici donc trois pistes de solution qui peuvent rétablir un certain équilibre.

► Des ateliers parentalité scolaire

Les ateliers sociolinguistiques (ASL) sont des ateliers pour communiquer dans une situation bien spécifique. À l’école par exemple : qu’est-il écrit sur ce courrier envoyé aux parents ? Où se trouvent les rubriques importantes dans le journal de classe ? Qui sont les différent·e·s intervenant·e·s dans la scolarité de mon enfant ?
Des situations du quotidien dont les animateurs et animatrices de ce type d’ateliers s’emparent pour appuyer leur travail avec les parents. Jonathan Szajman fait partie de l’asbl Proforal qui donne ce genre d’animation dans les écoles à Molenbeek. « Nous travaillons avec le personnel de l’établissement pour décrypter des documents auxquels les parents ont affaire. Par exemple, celui d’une sortie scolaire ou le menu de la cantine ».
L’idée est d’aider les parents en partant de leur propre expérience. « On va aller au plus urgent, continue Jonathan Szajman. Par exemple, si on voit qu’un parent a un niveau de français débutant, on va d’abord lui apprendre à savoir dire dans quelle classe se trouve son enfant, savoir lire les formulaires et le journal de classe. Ensuite, on pourra lui apprendre comment faire passer une communication à un·e professeur·e, à un éducateur ou une éducatrice ». Si les niveaux de maîtrise de la langue des parents sont différents, les besoins sont similaires, ce qui, finalement, permet de former un groupe où chacun s’y retrouve.
Les ateliers sont donnés à raison de neuf heures par semaine, étalées sur trois matinées, pendant quatre mois. De quoi apprendre les mots et phrases utiles à l’école pour ensuite s’ouvrir sur d’autres champs lexicaux, avec pour objectif final l'autonomie sociale et communicative dans d'autres espaces fréquentés au quotidien (centre de soins, administration, etc.). « Nous avons, par exemple, appris qu’un groupe de mamans s’étaient investies dans une autre association après nos ateliers », explique Jonathan Szajman. La preuve que si on donne les outils aux parents, ils peuvent jouer leur rôle pleinement.

  • En savoir + : l’asbl Proforal espère bien faire tache d’huile ailleurs qu’à Molenbeek, à Bruxelles comme en Wallonie. Des ateliers sont aussi proposés dans d’autres contextes que le milieu scolaire, comme à la maternité de l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles pour le suivi de grossesse des futures mamans non-francophones. C’est également possible dans des CPAS ou encore dans des lieux de loisirs.
Découvrir les ateliers parentalité scolaire et leur fonctionnement

► Des interprètes sociaux pour faciliter le dialogue parents/école

Plusieurs asbl mettent à disposition des interprètes sociaux chargés de faire les médiateurs entre l’école et les parents d’enfants quand la situation le demande.
Simon de Brouwer, le directeur de SeTIS Bruxelles, une ASBL qui agit dans tous les types d’enseignement, soit le général, le technique ou le spécialisé, partage deux témoignages forts qui prouvent l’utilité de ces services.
« L’un de nos interprètes a été sollicité par l’école pour traiter le cas du parcours scolaire d’un garçon tchétchène de 8 ans. L’école voulait éviter de demander à la grande sœur de 14 ans de traduire les propos à la maman. Elle voulait expliquer à la maman que son enfant a un retard scolaire et intellectuel qui nécessite le passage en enseignement spécialisé. La prestation se passe sans difficulté et, à la fin de l'entretien, la psychologue demande à la maman comment va sa fille. Elle signale que tout va bien, mais que l'école a perdu le bulletin et qu'elle ne connaît pas les résultats des examens de sa fille. Non satisfaite de cette réponse, la psychologue demande à la maman et à l'interprète de prendre rendez-vous avec la titulaire. Il s'avère en fait que la jeune fille avait trois échecs et qu'elle avait transformé cette mauvaise nouvelle en bulletin perdu. Sans présence d'un interprète, qui travaille de façon objective, la maman aurait continué à être menée en bateau par sa fille qui lui racontait et lui faisait signer ce qu'elle voulait. »
Le deuxième témoignage illustre la prestation d’un interprète pour une fillette de 12 ans. « Cette jeune fille a perdu sa maman très jeune. Elle a alors été élevée par sa grand-mère qui est repartie au Maroc avec elle, à la campagne, avec très peu de fréquentation scolaire. Un jour, son père, vivant en Belgique, a décidé de faire revenir sa fille à Bruxelles et l'a inscrite dans une école. Vu les mauvais résultats scolaires (l'enfant ne parlait pas le français et avait été peu scolarisée), le père a demandé à mettre l'enfant en enseignement spécialisé. La psychologue de l'école a fait appel à un interprète social pour les tests de psychomotricité et les tests de quotient intellectuel. Lorsque l'interprète a fait connaissance avec la petite fille, celle-ci a éclaté en sanglots en entendant parler sa langue maternelle. Elle pleurait en disant ‘Tu es comme moi’ ». Cette histoire montre que ce type d’accompagnement peut aider à mieux comprendre l’enfant, en identifiant les manques et les failles, en découvrant parfois d’autres aspects qui vont au-delà de la simple relation famille-école. L’important étant au bout du compte d’améliorer la sociabilité de l’enfant, de l’aider à mieux trouver sa place dans un monde complexe.
Comme ce sont aux écoles de faire appel au service des interprètes sociaux, que dire d’autre qu’elles ne doivent pas hésiter à le faire. De leur côté, les parents peuvent, eux aussi, suggérer à l’école d’en faire la demande. D’autant plus que la ministre de l’Enseignement a dégagé une enveloppe budgétaire - encore trop maigre aux yeux de Simon de Brouwer mais qui a le mérite d’exister - pour éviter d’imposer aux écoles des frais d’interprétariat trop importants.

► Des écoles impliquées pour mieux communiquer

Au niveau local, certaines écoles sont particulièrement engagées pour faciliter l’intégration de leurs élèves étrangers. Annick Moureau est directrice de l’institut Saint-Ambroise à Liège. Son école à discrimination positive accueille des enfants de dix-huit nationalités différentes.
Pour permettre aux parents de rester impliqués dans le parcours scolaire de leur enfant, elle demande aux enseignant·e·s de soigner de manière proactive les liens. « Si l’enseignant remarque qu’un papa ou une maman n’a pas été présent·e à la réunion de parents, on ira le trouver individuellement et nous tenterons de lui expliquer par la gestuelle l’avancée du parcours scolaire de son enfant. Nous veillerons toujours à mettre l’accent sur son évolution positive ».
Elle n’hésitera pas non plus à faire intervenir en amont le centre PMS de l’école pour éviter d’envoyer l’enfant dans le spécialisé. « On va essayer d’aider l’enfant au mieux pour qu’il ait confiance en nous, qu’il soit motivé à l’idée d’apprendre ».
Sur le campus Saint-Jean à Molenbeek (Bruxelles), on veille aussi à ménager les contacts avec les parents d’élèves. Jean-Gauthier Heymans est instituteur dans cette école. Au-delà du Dispositif d'accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants et assimilés (Daspa) qu’il organise (voir p.16-17), il utilise d’autres moyens pour privilégier le lien entre adultes.
« Nous tentons d’abord de communiquer dans d’autres langues, comme l’anglais, le portugais ou l’arabe. Pour cela, nous faisons souvent appel aux compétences linguistiques d’autres collègues de l’école, issus d’autres cultures, qui peuvent traduire. Si cela ne fonctionne pas, nous ferons appel à des interprètes. Enfin, nous organisons des moments de rencontre avec les parents pour aborder ensemble certains thèmes liés à l’éducation. Parfois, nous invitons des experts. La prochaine rencontre concernera, par exemple, l’apprentissage de la lecture. Nous avons proposé aux parents d’apporter des livres pour encourager leur participation. »

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