Développement de l'enfant

12 ans, 13 ans, 14 ans, reconnaissez-le : peu importe votre parcours ou votre histoire, ces âges-là évoquent pour la grande majorité d’entre vous une époque complexe, bouillonnante, éminemment riche. Peu d’entre vous sans doute rêvent de revivre cette révolution du corps, des idées et des valeurs. Pourtant, cet âge est vécu pleinement, intensément avec beaucoup de rêves et une multitude d’attentes. Tout est à faire, tout est à déconstruire et à reconstruire. Pleins feux sur nos jeunes rêveurs pour qui tout est possible.
Pour Michel Fize, sociologue, « on devient aujourd’hui adolescent beaucoup plus tôt que par le passé, pour certains cas, dès 8 ou 9 ans ». Selon l’expert, on y entre moins aujourd’hui par le corps que par la culture. Identification aux copains, aux idoles qui sont évidemment le symbole du « bien dans son époque ».
À 12 ans, les codes et les idoles de l’adolescence sont bien assimilés. Bye-bye, le modèle de papa-maman. Non à l’envie de goûter à l’âge adulte, trop longtemps resté comme âge de prestige. Mais alors, à quoi aspire-t-on ? Quid de l’identification ? À qui veut-on ressembler à tout prix ?
L’expert nous répond qu’à ce moment-là de sa vie, on cherche plutôt à être comme les autres, ceux plus âgés, ceux plus célèbres, ceux plus connus. Comme certaines stars à peine sorties de l’adolescence que l’on voit en abondance, des écrans jusqu’aux boîtes de céréales. Et pour tous ces rêves, la frontière n’a pas de genre : « On se projette aujourd’hui plus facilement dans un domaine longtemps supposé masculin quand on est une fille et inversement ».
L’illusion d’une soudaine notoriété en postant sur internet une vidéo dans laquelle on esquisse trois pas de danse et qui sera regardée bien au-delà du cercle de ses amis n’est pas affaire de sexe. C’est peut-être la grande nouveauté, cette génération 2.0 rêve de façon unisexe. Le flamboyant, le prestige, la gloire peuvent sembler aujourd’hui à portée de main. À tel point que cette jeunesse peut avoir tendance à ne pas percevoir ses limites, à rejeter jugements et critiques en se trouvant des excuses.
Les ados se racontent…
« Je voudrais être connu et continuer d'aller à l'école »
« Je crois que j'aimerais bien être acteur. Je suis assez timide, mais dès que l'on joue des pièces de théâtre à l'école, tout le monde hallucine sur mon niveau. J'ai même écrit des textes qui parlent de la vie des jeunes, si je pouvais monter un groupe, ce serait top. Je ne me pose pas la question de si ça ne marche pas. J’ai encore le temps. Je vis avec mes deux parents et ma grande sœur de 17 ans. Elle, elle veut être médecin, elle ne pense qu'aux études. J'ai de bonnes notes, mais je voudrais être connu et continuer d'aller à l'école. Mes parents veulent bien que je regarde des annonces pour des castings. Je me suis renseigné sur des forums sur internet. J'espère que ça va marcher. Et les filles dans tout ça ? Je n’y pense pas trop. J’ai des copines, mais rien de très sérieux ! »
Tristan, 12 ans
« Ma génération ne m’intéresse pas »
« C’est vrai qu’autour de moi, mes copains écoutent du R’n’B, ils s’habillent tous comme les people qu’on voit à la télé. Ils parlent pareil. Beaucoup aimeraient bien faire de la téléréalité. Mais moi, ça ne m’intéresse pas. D’ailleurs, les garçons et les filles de mon âge ne m’intéressent pas. Je n’ai pas de petit copain. Les adolescents autour de moi ne me plaisent pas du tout. Ni ceux de mon âge, ni les plus vieux. Ils parlent beaucoup de leur smartphone, de voitures, de marques en général. Mes parents sont agriculteurs, je vis à l’ancienne : je n’ai pas de GSM, pas de tablette et je n’ai le droit d’utiliser l’ordinateur que pour mes devoirs ! Mon rêve, c’est d’aller habiter à Bruxelles ou à Paris et d’être chef-coq. J’adore la cuisine végétarienne et je voudrais créer un restaurant de légumes avec de bons produits issus de l’agriculture. C’est la seule chose qui me plaît vraiment. Je regarde toutes les émissions de télé qui parlent de cuisine. Il y en a beaucoup et on apprend plein de choses. Je fais des ‘dîners presque parfaits’ avec ma famille. C’est les moments où je suis la plus heureuse. Ça me permet d’imaginer ce que sera ma vie plus tard. »
Justine, 13 ans
« Nous sommes un crew »
« Nous, on s’appelle les ‘Bolossos’ (ndlr : ‘Boloss’ signifie « trou du c… »). On est un crew, une famille. On vit dans le même quartier depuis tout petits. On a grandi ensemble et plus tard, on fera du business tous ensemble. On va monter un label de musique, on ne va faire signer que des potes à nous qui font de la street music. On est super soudés, personne ne peut nous ‘test’. L’école, c’est ‘à l’aise’. On s’aide pour les devoirs, on traîne ensemble en dehors des cours, on danse, on se vanne, on écoute de la musique, on fait de grosses fêtes avec tous nos amis d’enfance. On fait tout ensemble. Franchement, les potes sont plus importants que la famille, même si on respecte nos parents. Mais l’avenir, on l’envisage ensemble. On ne va pas changer le monde parce que tout est pourri et que tout sera toujours pourri. On ne va pas faire la révolution parce que l’on veut vite travailler et faire des affaires. Ça nous arrive d’avoir des histoires de cœur. Surtout Aisha qui change de mec toutes les semaines (rire collectif). »
Nino, Joao, Aisha et Mike, 14 ans
Des pères et des mères nous disent…
« Je ne sais pas quoi lui dire »
« J’envisage mon rôle de père comme une base. Un socle parfois stable, parfois chaotique. Simon essuie actuellement une tempête dont moi-même, à mon âge avancé, je n’ai pas réussi à me remettre. Mon père travaillait dur, il venait d’une famille très simple et son objectif a été que l’on ne manque de rien. Il a réussi. Il est un modèle de stabilité. Moi pas. Je me suis séparé de ma copine. Je n’ai pas réussi à reconstruire une relation saine. Je mange mal. Je travaille chez moi, je vais à des concerts, je rentre parfois tard dans la nuit. Et je suis loin d’être le seul dans ce cas. Alors, qu’est-ce que l’on peut dire à un enfant qui rêve de célébrité, de paillettes, d’ailleurs ? Qu’il doit renoncer à ses rêves ? Rentrer dans une voie, maintenir un cap et penser son avenir avec sérieux ? »
Vincent, 46 ans, père de Simon, 13 ans
« Pas dire ce qu’ils veulent entendre »
« J’ai reçu une éducation très stricte et j’en suis fière. J’ai tout à fait conscience que nos ados ne vivent pas dans le même monde. Je n’interdis pas l’accès aux réseaux sociaux, aux nouvelles technologies. Mais je ne permets pas de dérives non plus. Je suis très choquée par le monde que l’on prépare à nos enfants et je veux les armer le mieux possible. Si Marie venait me dire qu’elle voulait devenir chanteuse ou actrice, par exemple, je ne l’encouragerais pas dans cette voie-là. Je veux ce qu’il y a de meilleur pour elle, et je ne suis pas certaine que soutenir des lubies de petite fille l’aide à préparer son avenir au mieux. Nous ne sommes pas là pour dire à nos enfants ce qu’ils veulent entendre ! »
Thérèsa, 56 ans, quatre enfants dont Marie, 14 ans
Parents, autant savoir !
Aboude Adhami, psychologue :
« Une soif de reconnaissance »
Je suis d’accord avec l’analyse de Michel Fize, il y a aujourd’hui une véritable soif de reconnaissance chez les adolescents. À cela, j’ajouterai que, à cet âge, ils voient en la star, la célébrité, le moyen de ne pas être commun, alors que, paradoxalement, ils veulent tous se fondre dans la masse. Mais attention, autant prévenir les parents : s’ils leur font remarquer ce besoin d’appartenance et donc un certain manque d’originalité, c’est insupportable pour eux.
Développer leur faculté d’adaptation
La grande nouveauté pour nos adolescents de maintenant réside dans la possibilité de changer totalement de mode de vie en seulement une génération. Avant, ce changement s’opérait en trois générations (grands-parents, parents, enfants). Aujourd’hui, l’accélération du temps et les bouleversements qui l’accompagnent vont toujours plus vite. Le modèle papa/maman ne tient pas toujours la route, il n’est plus le symbole du socle immuable : papa ne fera pas carrière dans la même boîte, maman changera plusieurs fois de métier. La référence n’est plus figée. Ce qui est paradoxal, là encore, c’est que souvent les parents rêvent que le parcours de leur enfant soit le plus stable possible, alors que ce n’est plus le cas pour personne. La solution pour les parents consiste à les aider à se préparer et à s’adapter au changement. La valeur la plus importante, selon moi, c’est la faculté d’adaptation.
Une différence entre filles et garçons !
À cet âge-là, les filles sont d’avantage préoccupées par les idées de célébrité que les jeunes garçons. Elles s’identifient au corps hypersexualisé des « stars » qu’elles admirent. Les jeunes hommes, eux, sont beaucoup plus discrets. Cette grande différence de comportement s’explique par la puberté qui n’arrive pas au même âge. Encore une fois, tout passe par le corps. L’entrée de toutes ces phases de changements, c’est la transformation physique. En cela, je ne rejoins pas Michel Fize qui envisage cette mue par la culture. Les physionomies que l’on voit dans tous les médias inspirent la puissance : ils sont beaux, soignés, rutilants. Ce qui parle aux jeunes garçons très complexés et permet aux jeunes filles en pleine révolution corporelle de s’identifier.
Le clan : un sauve-qui-peut
La tribu est le symbole du changement physique. On quitte le corps familial pour aller vers le corps social. Je pense que le terme le plus important, c’est le mot « sortir ». On « sort » avec quelqu’un quand est couple. On « sort » avec les copains pour appartenir à un clan. Tout cela gravite autour de cette notion. À qui j’appartiens ? Et si je n’appartiens pas, je suis confronté à des difficultés terribles. Et comme on le voit dans le témoignage de Nino, Joao et Aisha, on se sent fort en clan. Le seuil par rapport à la morale diminue. On est invincible, mais plus que tout, on éprouve une invulnérabilité face à l’adulte.
Yves-Marie Vilain-Lepage, avec la collaboration de Denis Quenneville