Adoption : « La mère d’origine est toujours là, quelque part… »

Longues démarches, coûts importants, accompagnement pré- et post-accueil… En quelques années, l’adoption a pris une dimension différente de ce qui se faisait depuis des lustres.

« Notre décision a été motivée lors d’un séjour avec ma filleule : on s’est dit, ma femme Jocelyne et moi, qu’avoir un troisième enfant nous plairait beaucoup. Vu que son dernier accouchement avait été assez difficile, nous avons imaginé adopter ». Quand Freddy remonte dans ses souvenirs, il doit laisser de côté trente-huit années pour revenir au moment où le couple a décidé de lancer les démarches d’adoption. À l’époque, ce n’était pas fort compliqué et après un an, ils accueillaient Vimala.
Depuis 2005, de nombreux changements sont venus modifier les lois concernant l’adoption. Par exemple, il est désormais interdit d’adopter sans passer par un Organisme d’Adoption Agréé (OAA) qui exige une préparation, une évaluation et un jugement avant d’accepter ou refuser la demande. En tout, cela peut prendre jusqu’à six ans.
« Et puis, aujourd’hui, il y a de moins en moins de bébés à adopter, mais plutôt des plus grands enfants, entre 4 et 10 ans, explique Françoise Hallet, coordinatrice de L’Envol, une clinique de l’adoption. Depuis les années 1980, les pays sous-développés d’où partaient de nombreux enfants ont évolué et la classe moyenne de ces pays adopte de plus en plus de bébés en bonne santé. »

« Il ne faut pas faire de différence entre les enfants, qu’ils soient naturels ou non, il faut considérer l’enfant adopté comme les autres. » Freddy, adoptant

Les bébés adoptés viennent donc majoritairement de Belgique où la demande a augmenté ces dernières années. « La grosse majorité des adoptions en Belgique est intrafamiliale : c’est, par exemple, un homme qui adopte les enfants de sa compagne, illustre Françoise Hallet. Chaque année, il y a également une cinquantaine de femmes qui prévoient de faire adopter leur enfant alors qu’elles sont encore enceintes ».
Pour officialiser une adoption, la mère biologique doit signer un document juste après la naissance de son enfant et confirmer son choix deux mois plus tard. En attendant, l’enfant est accueilli dans une pouponnière. « Après la confirmation, l’enfant est placé dans une famille d’accueil, mais il faut attendre encore un à deux ans avant que tout ne soit officialisé. C’est là qu’il y a un vide juridique : qui est responsable de l’enfant pendant cette période ? », souligne Françoise Hallet.

On ne choisit pas

Infirmière de formation, Anne-Sophie a tout d’abord envisagé avec son compagnon d’adopter un enfant belge, mais elle n’a pas trop apprécié l’accueil de l’OAA choisie. « On s’est senti jugés, pas écoutés et même rejetés dans un premier temps, regrette-t-elle encore. Ça nous a blessés et on s’est donc tournés vers l’international, où on a trouvé qu’il y avait plus d’expérience, d’écoute et d’accueil ».
Après près de quatre ans de démarches, Anne-Sophie et son compagnon se sont rendus en République Démocratique du Congo pour rencontre leur fille Julia. Si ce type de voyage peut durer jusqu’à quatre mois, le couple n’y est resté que quelques jours. « Le climat était instable, il y avait des militaires partout et l’adoption par des Blancs n’est pas toujours bien vue, on a donc dû rester à l’hôtel. Le voyage nous a quand même permis de régler les dernières formalités à l’ambassade belge sur place ».
Contrairement à ce que l’on voit souvent dans les films, on ne choisit pas l’enfant que l’on va adopter, c’est l’OAA ou l’orphelinat qui s’en charge. « On a cependant pu définir certains critères assez larges : la fourchette d’âge, l’acceptation ou non d’un handicap… mais pas si on préfère un garçon ou une fille », précise Anne-Sophie.

Accompagnement poussé

Tout au long du processus de demande d’adoption et dès l’arrivée de l’enfant dans sa nouvelle famille, des nombreux accompagnements sont prévus pour les parents. « La première étape permet de retourner les cartes, explique Françoise Hallet. Car si, pour les parents, l’arrivée de l’enfant s’apparente à un des plus beaux jours de leur vie, lui n’arrive pas toujours en disant ‘Je vous attendais !’. Il faut donc comprendre que l’enfant vit un grand deuil : un déchirement d’avec sa mère et sa culture, mais aussi un catapultage dans un pays qu’il ne connaît pas avec des gens en qui il n’a aucune raison d’avoir confiance ».
Une fois l’enfant arrivé dans sa nouvelle maison, d’autres temps de rencontres et d’échanges sont proposés : un accompagnement individuel avec une thérapie familiale possible, une séance de recherche des origines, une évaluation logopédique, des groupes de paroles, etc.
« Les cours sont vraiment bien faits pour se construire une boîte à outils qui nous permet de contrer tout le négatif, rapporte Anne-Sophie. Mais on s’est également basés sur des bouquins, sur l’expérience d’autres couples, sur des documentaires… et sur notre jugeote. »

La blessure

« La première phrase que Julia a entendue a été ‘Bienvenue dans notre famille !’, se souvient Anne-Sophie. On lui a raconté notre histoire, qu’elle a intégrée dans son inconscient vu qu’elle était encore toute petite. On lui a fait comprendre qu’elle était notre premier choix et je pense que ça a été bénéfique. »
Bébés, les enfants ne se rendent évidemment pas encore compte de ce qui leur arrive. Mais avec l’âge, les questions sur leur passé commencent à affluer… « Il ne faut certainement pas leur mentir, insiste Françoise Hallet. On n’est pas non plus obligé de tout dire directement, cela se fait en fonction de l’âge et de la maturité de l’enfant ».
Quand ils sont petits, il est ainsi conseillé d’utiliser des métaphores en racontant leur propre histoire, mais avec des animaux, par exemple. « Plus tard, vers 6 ans, on peut se montrer plus précis. Mais c’est surtout au moment où l’enfant/l’ado commence à poser des questions que les parents peuvent passer le cap de raconter l’histoire avec ses détails ».

Les clés de la réussite : conviction, réflexion, patience, confiance, courage… et un peu d’argent de côté !

C’est ce que Freddy et sa femme ont fait quand Vimala, alors âgée de 12 ans, a voulu en savoir plus sur son passé. « On lui a dit la vérité : elle a été retrouvée dans les bras d’une jeune Indienne décédée dans la rue. Elle a réagi en étant très heureuse d’avoir pu survivre ». Cependant, tous les enfants ne réagissent pas aussi bien que Vimala et beaucoup conservent une blessure en eux qu’il faut accepter et panser du mieux que l’on peut.
« La blessure primitive accompagne l’enfant toute la vie, on ne peut pas effacer la réalité de l’abandon, théorise Françoise Hallet. La mère d’origine est toujours là, quelque part, vu qu’elle a accompagné son enfant au minimum neuf mois, il ne faut donc ni l’ignorer, ni lui donner trop d’importance. »
Quand Julia affirme ainsi à ses parents qu’elle n’a été dans le ventre de personne, ils répondent du tac au tac : « ‘Si, tu as été dans le ventre de ta maman qui a dû t’abandonner - on ne sait pas pourquoi -, mais tu resteras toujours liée à elle’. Je pense que ça l’aide à se sentir humaine », ajoute Anne-Sophie.
Mais comment réellement panser cette blessure ? « Les enfants naturels disposent de racines avec la couleur de leur peau, leur arbre généalogique… On a donc offert une boîte à racines à Julia, reprend Anne-Sophie. On y a placé les petits vêtements datant de son arrivée, tout son dossier, des photos, ses premiers jouets, etc. Ça doit lui permettre de se sentir accueillie et acceptée. Le dialogue est évidemment tout aussi important, mais ça viendra progressivement ».
La blessure est-elle plus facilement guérissable quand l’enfant adopté arrive bébé ? « C’est vrai que l’enfant plus âgé a plus de souvenirs clairs et se souvient des éventuelles difficultés qu’il a vécues, explique Françoise Hallet. Mais les plus jeunes ont des souvenirs plus sensoriels qu’ils complètent avec leur imaginaire ».



Émilien Hofman

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Congés et budget

C’est un des gros soucis de l’adoption, des groupes de mères mécontentes manifestent notamment sur les réseaux sociaux pour demander plus de considération. « Nous avons eu six semaines chacun, témoigne Anne-Sophie. Mais j’ai pris trois mois supplémentaires qui m’ont permis de cimenter les bases de la famille : j’ai pu entendre ses premiers mots, voir ses premiers pas… ».
Au niveau du budget pour une adoption internationale, les cours d’accompagnement coûtent 500 €, le forfait de dossier se situe lui entre 2 500 et 3 000 €. « Et sur place, je pense qu’on a déboursé 19 000 €, ce qui fait un total d’environ 22 000 € en tout », précise Anne-Sophie. Selon le site adoptions.be, le coût d’une adoption en Belgique s’élèverait quant à lui à environ 5 000 euros.

La blessure de l’abandon

La blessure de l’abandon existe aussi chez les adultes. « Certains ont encore des questions, un malaise, et veulent faire un travail sur eux-mêmes, assure Françoise Hallet. Le plus âgé que j’ai rencontré avait 50 ans. Cette question de l’abandon tracasse un peut tout le monde au moins à une période de la vie. Mais dans les cas les plus graves, ça peut aller jusqu’aux problèmes psychiatriques. »

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