Vie pratique

Quand on est fille ou fils de parents allophones, on peut vite se sentir seul·e sur les bancs de l’école. Comment faire pour suivre les cours malgré tout, participer aux activités de la classe et se faire des ami·e·s quand on ne maîtrise pas la langue ? Le défi est loin d’être simple.
Anna Maria est une fillette de 7 ans d’origine roumaine, elle est en 2e primaire à l’école fondamentale de Tillet, en Province de Luxembourg. Enfant unique de parents allophones, elle est née en Belgique, mais n’a pas l’occasion de parler le français à la maison. Ce qui n’est pas sans conséquence à l’école.
Anna Maria doit se débrouiller toute seule pour suivre les cours, faire ses devoirs et se faire des ami·e·s. C’est un fameux challenge pour une fillette de 7 ans. Son institutrice aimerait l’aider, mais manque malheureusement de temps. Dans ce genre de petite école de village, les enseignant·e·s ne sont pas légion. Ici, à Tillet, elles sont deux pour gérer les six années primaires.
Au fil du temps, Anna Maria a accumulé du retard dans son apprentissage, compromettant son maintien dans l’enseignement général. Inquiets, ses parents ne savaient pas quoi faire. C’est alors qu’ils ont appris par hasard que la maman de Sarah, la gérante du magasin voisin de leur maison, est une ancienne institutrice. Ils ont fait appel à elle pour aider leur fille dans sa scolarité. Viviane a immédiatement accepté.
« Je la vois deux à trois fois par semaine, bénévolement. Nous travaillons principalement ses compétences en lecture. Plus j’avance, plus je réalise qu’elle sait déchiffrer un texte, mais qu’elle ne comprend pas ce qu’elle lit. Je me focalise donc sur la compréhension du vocabulaire plutôt que sur la lecture. Anna est partante, elle a envie d’apprendre. Peu à peu, je sens qu’elle s’ouvre de plus en plus aux autres. »
Une aide exceptionnelle
Avant que Viviane n’intervienne auprès d’Anna Maria, celle-ci se recroquevillait de plus en plus au sein de la classe. « Quand j’ai rencontré l’institutrice, elle m’a directement demandé : ‘Et avec toi, Anna Maria sourit ?’. Je lui ai répondu que oui ».
Aujourd’hui, grâce à l’aide de Viviane, cette jolie petite fille retrouve une certaine sérénité, une certaine confiance. « Je suis contente, car j’ai appris qu’elle avait participé hier à la soirée Halloween de l’école. C’est une première. La semaine dernière, elle m’avait dit que son papa et sa maman ne voulait pas qu’elle y aille ».
La situation commence donc tout doucement à se débloquer. Viviane fait très attention à ne pas trop interférer dans les relations que tissent les parents d’Anna Maria avec son école, mais elle intervient en soutien en cas de besoin. Elle a par exemple sollicité le centre PMS pour qu’il évalue la pertinence du maintien d’Anna Maria dans l’enseignement général. Depuis lors, les parents sont plus confiants et parviennent à se faire entendre sur les questions qui concernent leur fille auprès des enseignant·e·s et de la direction de l’école.
Anna Maria a eu beaucoup de chance. Sans Viviane, elle n’aurait peut-être pas atteint le niveau de français nécessaire à son maintien dans l’enseignement général. Bien qu’elle ait veillé à ne pas être intrusive dans l’histoire de la scolarité de cette fillette, Viviane a été d’un précieux soutien. Elle a joué, en quelque sorte, le rôle de médiatrice au moment où Anna Maria en avait besoin.
La grande majorité des autres élèves de parents allophones n’ont pas cette chance. Certains n’ont pas d’autre choix que de s’en sortir par eux-mêmes. D’autres, primo-arrivants, bénéficient de meilleures conditions via des structures bien en place : les dispositifs d'accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants et assimilés (Daspa).
Les Daspa : le parcours habituel des enfants primo-arrivants
Créés en 1999 par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), les Daspa ont pour principale mission de préparer les enfants primo-arrivants à l’intégration dans le système scolaire ordinaire. Ils étaient 151 en 2020 organisés en FWB, dans l’enseignement fondamental et secondaire, et en faisaient profiter 2 050 élèves.
Concrètement, les Daspa proposent aux élèves de suivre des cours de français, de se remettre à niveau en maths et sciences et de suivre des cours de gym et d’arts plastiques. Chaque école peut mettre en place ce type de dispositif. Une seule condition : compter un minimum de huit élèves primo-arrivants. C’est ainsi qu’on peut parfois retrouver des Daspa dans des petits villages reculés de Wallonie, car ils se trouvent aux alentours d’un centre Fedasil (l’agence fédérale pour l’accueil des demandeur·se·s d’asile), comme en pleine capitale.
Une fois les subventions obtenues, les écoles sont libres d’organiser le Daspa comme elles le souhaitent. Jean-Gauthier Heymans est l’un des premiers instituteurs à en avoir créé un, au campus Saint-Jean à Molenbeek. « Certains Daspa prendront la forme de classes spécifiques, d’autres feront intervenir un accompagnement professoral dans les classes de l’enseignement ordinaire, d’autres encore mettront en place des soutiens individuels pour les enfants concernés. Dans notre établissement, nous avons la chance d’avoir deux classes de niveaux différents. Nous avons une classe de 1re primaire et une classe de 2e primaire. Cela nous permet de mieux suivre les élèves et de les préparer davantage à leur entrée dans l’enseignement ordinaire ».
Quand ils sont inscrits, les enfants peuvent bénéficier de ce dispositif pendant quelques mois jusqu’à maximum un an et demi avant de réintégrer les classes des élèves dits « natifs ».
Pour ces enfants de 7 à 12 ans, l’apprentissage de la langue française se fait sur base de leur vécu. Contrairement aux classes standard, le programme de cours n’est pas imposé par les pouvoirs publics.
« Nous nous adaptons à l’histoire de chaque élève. Par exemple, si nous accueillons des Afghan·ne·s, nous changerons la méthode en fonction du moment de l’arrivée de l’enfant, du fait qu’il ait des origines citadines ou rurales, du fait qu’il ait ou non subi un traumatisme », précise Jean-Gauthier Heymans.
Cette manière d’enseigner le français permet aux élèves de se rapprocher, d’éprouver de l’empathie les uns envers les autres et ainsi de s’entraider. « Ils sont ultra solidaires entre eux. On peut d’ailleurs remarquer que les enfants ‘anciens’, même s’ils baragouinent ou parlent à peine le français, se sentent investis d’une mission pour les nouveaux. On les verra vite se balader dans la cour de récré bras dessus-bras dessous ».
« Nous sommes les premières personnes de contact entre la Belgique et le pays d’origine »
Jean-Gauthier Heymans est passionné par son métier. « C’est valorisant de voir à quel point l’enfant apprend vite ». Plus que tout, il apprécie le lien qui se tisse entre les élèves primo-arrivants et lui. « Nous sommes les premières personnes de contact entre la Belgique et le pays d’origine ».
Quant aux parents, ils sont également intégrés par les professeur·e·s dans le Daspa. « Nous nous amusons beaucoup à les inviter à venir en classe pour faire des jeux de société. On a déjà fêté le carnaval ensemble, entrepris une action zéro déchet à Molenbeek ou invité deux papas à nous apprendre à coudre. Les parents ne parlent souvent pas du tout français, mais ce n’est pas un problème. Tout dépend de la posture de l’enseignant·e· et de l’école ».
Les parents d’Anna Maria ont eu la chance de pouvoir renouer avec l’école de leur fille grâce à Viviane, qui leur a donné confiance. Les parents des élèves primo-arrivants des Daspa ont également cet avantage. Quant aux autres, ceux dont les enfants n’ont pas la possibilité d’être accompagnés par des acteurs externes dans leur apprentissage, c’est beaucoup plus compliqué. Leurs enfants deviennent souvent les interprètes familiaux, ils doivent alors assumer des responsabilités qui ne sont pas censées leur incomber.
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