Apprendre à manger poliment, est-ce que c’est important ?

C’est la question que nous avons posée aux parents qui nous suivent sur Facebook. Au vu des nombreuses réactions reçues, le sujet est bien plus riche qu’il n’y paraît. Car, sous ses airs un peu futiles, la politesse peut être un point de départ très concret pour transmettre aux enfants certaines valeurs clés de la vie en société. Comme la convivialité, le respect… et la capacité de s’adapter.

Se tenir correctement à table, manger proprement, avec ses couverts et la bouche fermée, ne pas se lever à tout bout de champ… Ces règles de politesse citées par les parents vont de pair avec des valeurs qui leur tiennent à cœur : la « convivialité » du repas, qui est l’occasion d’échanger en famille à la fin de la journée, et le « respect » des autres, de soi et de la nourriture.

« La politesse, ce sont des codes propres à chaque culture qui permettent d’être confortables les un·es avec les autres », confirme Mireille Pauluis, psychologue. Aux parents qui cherchent à apprendre à leurs enfants à manger poliment, elle conseille non seulement de leur montrer l’exemple, mais aussi de leur expliquer à quoi servent les règles.
« De manière générale, les règles sont plus faciles à respecter quand elles ont du sens, rappelle-t-elle. On peut faire expérimenter aux enfants en disant : ‘On va essayer, on va tous mettre nos coudes à table’. Ils vont se rendre compte qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. Ils vont rigoler, mais ce sera intégré. Parce qu’ils auront compris. »
Cela dit, en « vieille routière » (ce sont ses mots !) de la parentalité, la psychologue est bien consciente que cet apprentissage prend du temps. Sur Facebook, des parents témoignent de leur galère. Laura, dont les enfants ont entre 2 ans et demi et 7 ans, écrit : « J’avais et j’ai toujours certaines règles en tête, mais au quotidien, dur, dur de savoir où mettre le curseur ». Entre les difficultés d’alimentation du premier, un souci au niveau du nez qui oblige la seconde à mâcher la bouche ouverte et les débordements d’énergie du dernier, pas évident de s’adapter. « Les règles, c’est bien, conclut-elle. Mais c’est parfois tellement dur de savoir lesquelles, pour qui, pourquoi et combien d’années il faudra les maintenir pour espérer que cela fonctionne… Bonne chance à tous les parents ! ».

En pratique, chaque famille fixe donc ses priorités, en fonction de l’âge, du tempérament et des besoins des enfants. Se servir de couverts, manger proprement, rester assis un certain temps… Tout cela s’acquiert graduellement. « On a dû lâcher prise sur certaines exigences, confie Élodie, une autre maman. On a observé une régression chez notre plus petit, qui a mangé tôt avec des couverts, mais mangeait peu et peu varié. On a alors mis l’accent sur la découverte progressive de nouveaux aliments. Maintenant, il mange un peu plus varié, il goûte, il prend du plaisir à manger, mais le fait davantage avec les mains. On a essayé d'être tolérant en se disant que ça faisait partie de la découverte sensorielle de l'alimentation. Et puis dans d'autres cultures, c'est poli de manger avec les mains ! ».

« Je pense qu’il faut éviter que le repas devienne un champ de bataille, estime Mireille Pauluis. Si on passe le repas à dire ‘Tiens-toi droit, rentre tes coudes, ferme ta bouche…’, on n’est plus dans la convivialité et le respect de l’autre ». La psychologue invite donc à faire preuve de bon sens et à ajuster ses attentes aux possibilités de chaque enfant : « Si un enfant n’est pas impliqué dans la conversation entre adultes ou entre grand·es, il s’embête. C’est normal. S’il le demande, on peut le laisser quitter la table, établir un tour de parole ou encore lui expliquer qu’il doit rester parce qu’il y a encore le dessert. La question à se poser est : est-ce que la règle que j’impose est juste, est-ce qu’elle a du sens ? ».

« Et si tu étais invité à manger chez le roi et la reine , tu aurais l’air de quoi ? ». Derrière cette boutade se cache une réalité : la maîtrise des « bonnes manières » peut prendre une dimension sociale. Plusieurs parents nous ont expliqué vouloir permettre à leurs enfants de se sentir à l’aise à n’importe quelle table. « Si tu connais les règles strictes, tu peux t’adapter partout », résume une maman. Qui nous confie son tiraillement : « Moi, j’ai été drillée par mes parents, mais mon compagnon, pas du tout. Or, c’est compliqué, dans un couple, quand on vient d’horizons familiaux différents. Comment savoir quel exemple on donne aux enfants ? Au début, ça me rendait folle. Mais ça m’a aidé à relativiser. Aujourd’hui, je trouve que c’est aussi important de savoir bien se tenir que d’apprendre à ne pas juger. Je ne veux pas que les règles de politesse deviennent quelque chose de clivant dans leur éducation ».
D’où l’intérêt, pour Mireille Pauluis, d’apprendre aux enfants « l’esprit de la règle », qui est de créer de la convivialité, pas du malaise, ce qui implique de pouvoir s’adapter. Quitte à laisser dès à présent tomber aux oubliettes certains codes devenus « vieux-jeu », car dénués de sens. Comme « On ne coupe pas sa salade » (pour ne pas ternir l’argenterie avec la vinaigrette…) ou « Ce n’est pas poli de se souhaiter ‘Bon appétit’ » (parce que ça ferait référence à la digestion… so shocking). Et à en inventer d’autres, adaptés à notre époque, comme « Pas de téléphone à table », qui a fait plusieurs apparitions dans les commentaires de parents !

Les règles sont bien plus faciles à respecter quand on les comprend. Nous avons fait l’exercice de chercher des mots simples pour expliquer à de jeunes enfants la raison d’être des règles qui sont revenues le plus souvent dans les témoignages de parents. N’hésitez pas à vous en inspirer !

• Pourquoi est-ce qu’on respecte certaines règles à table ? Pour que chaque « convive » autour de la table se sente bien. On appelle ça la convivialité. Cela permet aussi de se respecter soi, et de respecter la nourriture et ceux ou celles qui l’ont préparée.
• Pourquoi est-ce qu’on se tient correctement ? Si on reste assis·e sur sa chaise sans mettre le nez dans son assiette ni les pieds sur la table, c’est parce que c’est bien plus agréable pour tout le monde. Ça permet par exemple à chacun·e d’avoir assez de place à table. Ça aide aussi à manger proprement et à bien digérer ensuite.
• Pourquoi est-ce qu’on mange avec ses couverts ? C’est une bonne question ! Ce n’est pas comme ça partout dans le monde, mais, ici, c’est une règle de politesse importante, qui permet de garder les mains propres et de montrer son respect. Il y a des exceptions bien sûr, pour certains aliments (comme les frites !) et selon les cultures.
•  Pourquoi est-ce qu’on mange la bouche fermée ? Parce que ce n’est vraiment pas appétissant pour celui ou celle qui est en face de voir la nourriture qu’on est en train de mâcher. Pour parler (ou rigoler), on peut attendre d’avoir avalé ou mettre sa main devant sa bouche si on est trop pressé·e.
• Pourquoi est-ce qu’on mange proprement ? Pour éviter de devoir se laver, se changer et nettoyer le sol après chaque repas ! Et puis parce que ce n’est pas non plus très appétissant pour les autres quand il y a de la nourriture partout. Une serviette, c’est bien pratique pour s’essuyer la bouche ou pour protéger ses vêtements.
• Pourquoi est-ce qu’on demande de pouvoir quitter la table ? Pour que le repas puisse être un moment de partage, où on est ensemble. Si tout le monde arrive ou s’en va sans prévenir, c’est compliqué. Le fait d’attendre ou de demander avant de commencer à manger ou de se resservir permet aussi à chacun·e de manger à son rythme et à sa faim.

« La politesse n’est pas une fin (faim ?) en soi… Pour moi, elle doit être au service de la convivialité, du plaisir d’être à table ensemble et de profiter du moment présent pour se retrouver ».
Amandine, sur Facebook