Vie pratique

À l’heure où l’éducation se veut bienveillante, asseoir son autorité de parent n’est pas toujours facile. Être écouté et respecté sans verser dans les cris et menaces reste un challenge au quotidien.
« Je ne suis pas ta boniche », voilà ce que Maëlle, 4 ans, répond un soir lorsque sa maman lui demande de ranger ses jouets. Et quand c’est au tour de son grand frère Léo, 7 ans, de vider le lave-vaisselle, ça rouspète aussi : « Pourquoi ce serait toujours à moi de le faire ? ». Les enfants sont-ils moins obéissants aujourd’hui qu’hier ? À en croire certains grands-parents, oui.
Quand tout le monde a voix au chapitre
Laura Merla, professeure de sociologie à l’UCLouvain, confirme. « L’autorité parentale est moins légitime et plus difficile à imposer aujourd’hui, car le système normatif qui encadre la famille évolue. Nous sommes passés d’un modèle axé sur le pater familias dans lequel le père a l’autorité sur sa famille à un modèle de famille démocratique ».
Bonne nouvelle, les rapports hiérarchiques entre homme et femme s’estompent et l’autorité parentale se partage davantage. Mais ce qui est positif en matière d’égalité est aussi plus complexe. Fini, les sphères de pouvoir propres à papa et celles dévolues à maman. Aujourd’hui, chacun a son mot à dire sur tout et ce n’est pas toujours simple. Ça l’est encore moins quand les enfants ont aussi voix au chapitre. « L’enfant est à la fois un individu vulnérable qui doit être accompagné et cadré et un être à part entière qui doit pouvoir être entendu dans les décisions qui le concernent », complète Laura Merla.
Aujourd’hui, il faut savoir fixer le cadre d’une manière plus souple, se montrer à l’écoute, parfois même négocier, ce qui demande davantage de temps et d’investissement
Pour le parent, il est parfois difficile de jouer sur les deux tableaux. Revenons à l’exemple de Léo. Pour bien faire, il faudrait à la fois que son parent soit à son écoute et qu’il pose un cadre avec une phrase du style : « Je comprends que tu n’as pas envie de le faire, mais c’est ta tâche et on a besoin que chaque membre de la famille fasse sa part ». Et s’il rechigne ? Rester calme et tenir bon.
Cette approche éducative horizontale axée sur le dialogue se veut plus démocratique et respectueuse de l’enfant. Et c’est tant mieux. Révolues, les fessées et autres châtiments. Aujourd’hui, il faut savoir fixer le cadre d’une manière plus souple, se montrer à l’écoute, parfois même négocier, ce qui demande davantage de temps et d’investissement.
Ce jeu d’équilibriste est périlleux pour le parent qui doit doser son autorité à la juste mesure. S’il n’y en a pas assez, l’enfant marche sur les pieds de l’adulte et gagne du territoire jusqu’à devenir le petit tyran qui décide. S’il y en a trop, c’est le parent qui devient autoritaire et fait régner son pouvoir au risque de couper les ailes de son enfant. Tout est donc dans la mesure.
L’autorité, un bien nécessaire
« Ce qui se joue autour des questions d’autorité, ce sont le rôle et la place de chacun dans la famille. Tout se renégocie constamment au fur et à mesure que l’enfant grandit », explique Laura Merla. Mireille Pauluis, psychologue, confirme : « C’est l’enfant qui donne l’autorité au parent. Dès le plus jeune âge, le bébé teste et expérimente pour délimiter son périmètre de sécurité. Lorsque l’enfant teste les limites du parent, il enclenche une forme de rapport de force, il teste la solidité de la clôture et si celle-ci est bancale, il gagne du terrain ».
Lorsque ça touche à la sécurité, les règles sont claires et fermes : « Le couteau, c’est non », « On traverse la rue avec papa ou maman ». Mais quand il s’agit de la sphère domestique, de l’accès aux écrans, du dessert, le curseur est plus compliqué à placer et peut même être variable d’une fois à l’autre.
Dans ce flou, l’enfant teste les limites parentales et, de bonne guerre, tente de grapiller un peu plus à l’image de Léonie, 3 ans et demi. Après le barbecue, les parents proposent des marshmallows en guise de dessert. Laurence énonce la règle : deux pour tout le monde. Mais la petite veut du rab et se met à pleurer. Sa maman tient bon : « On a dit deux, c’est deux ». Et tant pis pour la crise.
« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est très structurant et sécurisant pour l’enfant d’être confronté aux limites. Il en a besoin pour se construire, explique Mireille Pauluis qui constate qu’on confond souvent un non ferme et définitif avec une rupture de lien. L’autorité, c’est quelque chose qui protège, elle est donnée par notre fonction et reconnue par les autres membres ». Bien qu’elle change de visage au fil du temps, l’autorité est un bien nécessaire dans le développement de l’enfant.
Il arrive aussi que ce soit le comportement de l’enfant qui induise la limite. Un dimanche, Virginie et Gaël décident de se promener en famille. Leur aînée, Jade, 10 ans, ne l’entend pas de cette oreille. Toute la balade, elle rechigne et se plaint.
À l’heure de plier bagage, la troupe croise un marchand de glace et Jade tente un « On peut avoir une glace ? » à l’adresse de son père, connu pour être plus coulant. « Pour moi, c’était clair que ça devait être non », raconte Virginie qui guettait la répartie de son homme. Et la réponse attendue arriva : « Est-ce que tu penses qu’on a envie de t’offrir une glace après la manière dont tu t’es conduite ? Je serai heureux de t’en offrir une lors d’une prochaine balade où tu montreras une meilleure attitude, mais aujourd’hui, c’est non ».
Pour recadrer efficacement
Si la première difficulté pour asseoir son autorité est de rester calme et tenir bon, une autre est de prendre des mesures efficaces lorsque celle-ci n’est pas respectée. Et c’est là que le bât blesse souvent ! « Les parents manquent d’outils alternatifs et se sentent démunis puisqu’ils ne peuvent plus déployer les mêmes outils ou sanctions que les générations précédentes », constate Laura Merla. Que faire alors lorsque l’enfant dépasse les bornes ?
Nous avons posé la question à Catherine Schwennick, auteure du livre L’autorité parentale … autrement ! (Mardaga). Selon elle, « le gros problème au sujet de l’autorité parentale, ce sont les freins des parents qui craignent de frustrer leurs enfants et se culpabilisent très vite de jouer le rôle cadrant ».
Formée à l’approche neurocognitive et comportementale (ANC), elle considère l’ordre ou la menace comme des outils inefficaces qui placent l’enfant en victime et conduise le parent à culpabiliser. Pour saisir son approche, nous l’avons fait réagir aux exemples repris dans l’article.
Revenons à Maëlle qui ne voulait pas ranger ses jouets en se disant que ses parents finiraient par le faire à sa place. L’auteure conseille de reprendre la main efficacement en exposant l’enfant aux conséquences négatives de son refus. « Si tu traînes pour ranger les jouets, il y a moins de temps pour l’histoire du soir ». Pas de menace directe, donc, mais plutôt une responsabilisation. C’est elle qui a les cartes en mains pour la suite de la soirée.
Et Léo qui voulait resquiller en invoquant que c’est toujours lui qui s’y colle. « Si l’enfant se victimise et se plaint de faire plus, il ne faut pas le convaincre du contraire et se justifier. Mieux vaut prendre le contrepied, explique Catherine Schwennick. Par exemple, à base d’un ‘Je suis inquiète que tu aies l’impression de faire plus que les autres. Pour que ta perception corresponde à la réalité, dorénavant ce sera toujours toi qui videras le lave-vaisselle ainsi tu verras vraiment ce que c’est de faire plus que les autres’ ». Malin, non ?
Et Jade qui sciait ses parents pour rebrousser chemin. « Dans ce cas-ci, le parent peut nouer un contrat, mais aussi confronter l’enfant s’il ne joue pas le jeu. ‘Je m’engage à ce qu’on marche une heure. Mais si de ton côté, tu cherches à écourter alors je rajoute à chaque fois quinze minutes de plus’. On est loin de la punition bête et méchante. Ici, l’enfant est mis devant les conséquences de ses actes.
À partir de 5-6 ans, Mireille Pauluis suggère de ménager des temps de discussion en famille sur les questions éducatives épineuses et d’associer les enfants. « Quand le débat est possible, cela crée du lien. Plus l’enfant grandit, plus il pourra prendre des responsabilités et se sentir important dans l’équilibre familial : ‘Si je ne suis pas là, qui s’occupera des croquettes du chat ?’ ».
Une manière aussi de responsabiliser et valoriser l’enfant. Mais sans oublier le cadre, les règles et limites. Et sur ce plan, c’est aux seuls parents, détenteurs de l’autorité, de décider. « Pour bien fonctionner ensemble, il faut des règles, c’est comme dans les jeux », conclut Mireille Pauluis.
EN PRATIQUE
Conseils à garder en tête
Retour avec Catherine Schwennick, auteure de L’autorité parentale… autrement ! (Mardaga), sur quelques conseils et notions à garder en tête :
- L’enfant qui désobéit ne le fait pas pour contrarier le parent, mais bien pour tester les limites.
- Éduquer, c’est aussi frustrer. Les frustrations font partie de la vie et plus un enfant y est confronté, mieux il les gère.
- Mieux vaut retirer un privilège que de donner une punition.
- En cas de sanction, fixez quelque chose de réaliste que vous tenez plutôt qu’une menace trop forte que vous ne tiendrez pas et mettez la directement à exécution.
- Que ce soit pour les règles ou les sanctions, ne vous justifiez pas.
- Après l’incident, discutez de ce qui s’est passé pour que l’enfant comprenne.
À LIRE
- Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, Adèle Faber et Elaine Mazlich (Phare).
- Il est permis d’obéir, Daniel Marcelli (Livre de poche).
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