Développement de l'enfant

Misogynie, survalorisation de la performance des hommes, corps aux plastiques « zéro défaut », violence, voire abus et racisme… Des scènes de sexe caricaturales qui reproduisent à la perfection les modèles patriarcaux dont nous essayons éperdument de nous défaire pullulent sur les sites de pornographie mainstream. En pleine découverte d’eux-mêmes, de leur orientation sexuelle et de leurs modèles relationnels, les jeunes se retrouvent seuls face à des images complètement déconnectées de la réalité, des notions de respect de soi et des autres, ou de consentement.
Petit rappel historique : en 2003, plus besoin d’acheter des revues ou de louer des DVD. L’arrivée des PornTubes libère l’accès aux images pornographiques en ligne et gratuitement. À leurs débuts, les plateformes les plus consultées tentaient quand même de dissuader les plus jeunes en arborant un écran avec un gros bouton coloré pour confirmer leur majorité. Un obstacle plus simple à enjamber pour un enfant que n’importe quelle inscription sur un réseau social qui requiert, en plus d’un âge minimum, nom, prénom, adresse email et création d’un mot de passe. Interpellant, d’autant plus que les sites qui ont conservé ce seul garde-fou sont peu nombreux aujourd’hui.
Que dit la loi en matière d’accès à la pornographie pour les mineurs ? Dans certains pays ultra restrictifs comme la Corée du Nord ou l’Iran, la pornographie est tout simplement bannie. En Europe occidentale, nous sommes plutôt amateurs des limites d’âges. Si, en France, l’article 227-24 du Code pénal est clair et interdit l’accès au porno aux mineur·es, chez nous, le législateur est plus nébuleux. Aucune loi spécifique ne boycotte l’accès à la pornographie pour les jeunes. Les fournisseurs d'accès à internet en Belgique sont tenus de « prendre des mesures raisonnables pour restreindre l'accès des mineur·es aux sites web pornographiques », conformément à la loi du 13 juin 2005 sur les communications électroniques.
Pourtant, dans la pratique, avec ou sans loi, rien n’est véritablement mis en place pour prévenir le contact avec ces images parfois choquantes. Même si, le 5 février dernier, un peu à la manière des Britanniques il y a cinq ans, le gouvernement français annonçait sa volonté de faire respecter une bonne fois pour toutes l’article 227-24 du Code pénal. Objectif : empêcher les mineur·es d’accéder aux sites pornographiques grâce à la mise en place d’une sorte d’application que chaque citoyen·ne français·e devrait installer sur son smartphone afin d’y télécharger un certificat numérique prouvant sa majorité. Un projet qui élude la question de l’éducation par la censure pour plusieurs opposant·es.
Un premier contact avec le porno de plus en plus précoce
En 2016, un sondage réalisé auprès de jeunes britanniques révélait que l’âge moyen de la première exposition à la pornographie est de 11 ans. Un résultat que confirme une autre enquête menée en 2015 par Ennocence, une association française qui s’est donnée pour mission de protéger les enfants contre les risques d’exposition à la pornographie en ligne. Mais depuis la publication de leur livre Parlez du porno à vos enfants avant qu’Internet ne le fasse en 2019, Anne de Labouret et Christophe Butstraen observent que cet âge n’a pas reculé. Bien au contraire.
« Certains chercheurs avancent plutôt l’âge de 9 ans, explique l’autrice. Par contre, bien que le premier contact avec la pornographie se fasse de plus en plus jeune, l’âge des premières expériences sexuelles n’a pas vraiment bougé ». Selon l'Union Nationale des Mutualités Socialistes, l'âge moyen du premier rapport sexuel en Belgique est d’environ 17 ans. Mais le porno vient donc poser des jalons dans l’éducation à la sexualité des enfants de plus en plus tôt.
« L’éducation sexuelle participe à leur équilibre de vie, poursuit Anne de Labouret. Leur protection face à la facilité d’accès à la pornographie sur le web reste donc un enjeu plus qu’actuel pour prévenir toute addiction à la pornographie qui, à l’adolescence ou à l’âge adulte, peut poser de sérieux problèmes, notamment interpersonnels ». Sans oublier que le caractère hyper accessible de la pornographie a aussi engendré l’envie chez certain·es jeunes de devenir auteurs, autrices d’images pornographiques, de les poster sur n’importe quelle plateforme, voire d’adopter des comportements de vengeance ou de chantage en envoyant des images de copains/copines.

« Lorsqu’un enfant voit du porno, sa première réaction reste de l’ordre de l’incompréhension. Il ne comprend pas ces images, sans parler du fait qu’elles peuvent être violentes »
Un âge moyen de 9 ans signifie que d’autres enfants ne sont pas plus hauts que trois pommes lorsqu’ils tombent sur du porno pour la première fois. Pas si étonnant, les enfants étant outillés numériquement de plus en plus tôt. Le premier téléphone qu’ils reçoivent n’est plus un Nokia à neuf touches, mais bien un vrai smartphone doté d’un accès à internet. Les possibilités d’accès à la pornographie pour un enfant sont donc multiples : que ce soit accidentellement sur le web avec une fenêtre dite « pop-up » qui s’ouvre sur du contenu pornographique ou en recherchant volontairement du porno car, même très jeunes, les enfants ont pris l’habitude de poser toutes leurs questions à Google. La sexualité n’échappe pas à leur curiosité.
Une fois que les enfants sont en contact avec du contenu pornographique, ils y retournent plus ou moins régulièrement, explique Anne de Labouret. Pourquoi ? Car il s’agit parfois du seul forum sur lequel ils/elles sont autorisé·es à aborder la sexualité. Et puis, il y a le phénomène de contagion. « Lorsqu’un enfant voit du porno, sa première réaction reste de l’ordre de l’incompréhension. Il ne comprend pas ces images, sans parler du fait qu’elles peuvent être violentes. Il a alors besoin de partager son vécu avec les autres et de se décharger, mais s’il ne sent pas une ouverture naturelle avec un parent pour aborder des sujets sensibles, il va d’abord en parler à ses copains et copines de classe. Et, le plus souvent, leur montrer la vidéo porno ».
Parler pour prévenir et pour guérir
Confrontée à cette question avec ses propres enfants, l’autrice qui intervient aussi dans quelques écoles pour faire de la prévention à la pornographie appuie sur le fait qu’il est du ressort de chaque parent de considérer le porno le plus tôt possible. À la fois pour savoir comment mettre des barrières techniques sur les moteurs de recherche, mais aussi pour ouvrir un dialogue riche et sécurisant. Mais pour cela, les parents doivent peut-être accepter d’être bousculés.
« Beaucoup de parents sont très mal à l’aise pour parler de sexualité avec leur enfant. Ils auront plus de facilité à poser des injonctions négatives comme ‘La pornographie, c’est mal’ plutôt que de se positionner de manière positive sur une sexualité épanouie et respectueuse. Ce que je conseillerais, c’est d’éviter de mettre en garde contre le porno sans savoir si l’enfant est déjà tombé sur de telles images. On peut plutôt lui demander s’il a déjà vu des vidéos qui l’ont choqué sur internet, ou bien s’il a vu des gens déshabillés qu’il ne connaissait pas faire des choses bizarres ensemble, sans perdre de vue que la prévention en la matière ne concerne malheureusement pas que la pornographie, mais aussi les images violentes. On sait que des vidéos de décapitation peuvent trainer sur le web pendant des heures. On peut également lui dire : ‘Tu sais, sur internet, il y a beaucoup de choses intéressantes, mais aussi des images qui peuvent te choquer et qui ne sont pas destinées aux enfants’. »
En somme, l’idée est de rassurer l’enfant sur le fait qu’il n’est pas responsable de la survenue de ces images et de lui demander de venir vous trouver s’il se retrouve confronté à ce genre d’images.
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