Développement de l'enfant

« C’est galère pour avoir une place dans une crèche, assure Lucie, la maman d’Émile. Finalement, tu imagines des combines parce qu’il te faut une place pour ton bébé, point barre. Tu bricoles des solutions d’attente ou des solutions qui n’étaient pas celles dont tu rêvais au départ, genre tu réserves quand même une place dans une crèche privée même si, pour toi, c’est hors de prix : tu as besoin de cette sécurité. Entre la crèche communale que tu veux et la crèche privée, les prix vont du simple au double. Alors, tu décides de ne mettre ton bébé que trois jours de la semaine sur cinq à la crèche et tu réquisitionnes les deux grands-mères pour les deux jours restants. Tu n’as pas vraiment le choix de faire autrement… » Ils sont très nombreux, les parents d’aujourd’hui qui, comme Lucie, bricolent des solutions…
En fin de congé de maternité, certaines mamans étouffent à la maison et sont impatientes de rouvrir leur horizon en retournant travailler. D’autres sont malades à l’idée de mettre leur tout-petit encore si petit à la crèche ou chez une accueillante et reportent le plus possible ce moment (tout en avouant parfois après coup qu’elles ont trop attendu, car la séparation devient alors trop dure). Pour Irina, par exemple, c’était à la fin de son congé de maternité que l’idée de le prolonger d’une manière ou d’une autre a germé « parce qu’il n’était pas pensable de me séparer si tôt de mon bébé ». Il n’est pas rare non plus de ressentir à la fois un besoin de sortir de sa bulle maman-bébé… et d’y rester. Des mamans disent vouloir attendre que leur bébé puisse davantage s’exprimer par lui-même avant de le confier à d’autres. Les travailleuses indépendantes, elles, n’ont pas franchement le choix et ont repris le chemin du boulot depuis un moment déjà. Pour compléter ce tableau de profils, il y a aussi des parents qui ne souhaitent tout simplement pas que leur enfant aille en crèche.
Un manque cruel de places
Au-delà de ces différences individuelles, une majorité de parents souhaitent mettre leur enfant à la crèche, notamment parce que cela contribue activement à sa socialisation (en plus de la famille et des proches). Mais il y a aussi la réalité, à savoir le manque cruel de places dans les milieux d’accueil.
Et là, comment présenter la situation en quelques mots ? Malgré le plan en cours prévoyant la création de 5243 nouvelles places (2100 à Bruxelles et 3143 en Wallonie) d’ici 2026, trouver une place d’accueil pour son enfant reste un défi particulièrement compliqué pour beaucoup de familles. Ainsi, selon Le Baromètre des parents 2024 de la Ligue des familles, 61 % des familles en Fédération Wallonie-Bruxelles estiment difficile à très difficile de trouver une place, et seulement 13 % des parents ont trouvé facilement (11 %) ou très facilement (2 %) une place. D’autres données du Baromètre interpellent. Par exemple, 33 % des parents n’ont pas trouvé de place au moment où ils en avaient besoin. Et 23 % des parents sont contraints de prendre un congé parental ou de réduire, voire d’interrompre, leur activité professionnelle faute d’une place en crèche pour leur enfant. Le tableau est sombre. Il l’est d’autant plus qu’entre 2019 et 2022, l’offre de places en crèche a chuté de 1284 places. Précisons – et ceci n’est pas surprenant – que ce contexte difficile impacte surtout les femmes. Toujours selon Le Baromètre des parents 2024, lorsqu’un enfant ne fréquente pas la crèche, dans 53 % des cas, c’est sa maman qui s’en occupe (en partie au moins), dans 31 % des cas, ce sont ses grands-parents ou un autre proche et, dans 20 % des cas, c’est son papa. Depuis plusieurs années, la Ligue des familles plaide donc ardemment pour une politique forte d’augmentation des places en crèche (plus d’infos sur www.liguedesfamilles.be).
À noter encore : suite à différentes réformes, les crèches qui appliquent la grille tarifaire de l’ONE sont plus accessibles pour les parents solos et elles sont gratuites pour les personnes ayant le statut BIM (bénéficiaire de l’intervention majorée). Pour les enfants inscrits à partir du 1er janvier 2025, une nouvelle grille, globalement plus favorable pour les petits et moyens revenus, est d’application. Toutes les infos (crèches, tarifs…) sur www.my.one.be.
Une solution sécurisante pour vous
D'une façon générale, quel stress, la recherche d’une crèche ! Vous êtes nombreux, comme parents, à l’avoir vécu ou à le vivre. Si, depuis la grossesse ou peu de temps après la naissance de votre bébé, vous avez la certitude qu’une crèche ou une accueillante pourra l’accueillir (sans mettre en péril les finances du ménage…), vous voilà fameusement soulagés. Mais, trop souvent, le congé de maternité se termine, la reprise du travail se profile côté maman, et vous n’avez toujours pas l’assurance d’une place pour votre enfant. Vous devez alors fabriquer une solution qui risque de ne pas vous apparaître satisfaisante, et donc sécurisante. Cela crée de l’inquiétude, voire de l’angoisse. Certainement, du stress. Certains parents n’ont pas d’autre solution que d’arrêter de travailler.
Sans en arriver là, comme maman, vous voilà peut-être forcée de grappiller votre « capital » congés ? Idem pour le papa ? Et cela, pendant combien de temps ? Entrer à la crèche à 5 mois, c’est chouette pour le bébé ; autour de 8 mois, c’est plus difficile car, à ce moment de son évolution psychique, il devient inquiet devant les visages « inconnus », il risque alors de pleurer beaucoup à la crèche. Vous êtes dans l’obligation de faire appel aux grands-parents ? Ils s’occuperont de votre petit à leur façon : il faudra vous y faire ! Cela sera-t-il donnant-donnant ? Des points à discuter avant de se lancer dans l’aventure.
Le système d'accueil que vous mettez en place pour votre enfant est sans doute un mélange de solutions
Le système d’accueil que vous mettez en place pour votre enfant est sans doute un mélange de solutions. Vous êtes parfois obligés de trouver jusqu’à cinq formules différentes, et donc cinq référents différents, pour couvrir la semaine. Et cela, alors qu’« aujourd’hui, on est plus que jamais sensible à la continuité des figures d’attachement auprès des bébés », observe Reine Vander Linden, psychologue clinicienne.
Le jour J et les suivants
Une fois le souci de trouver un milieu d’accueil évacué, comment se prépare-t-on à la séparation côté maman et côté bébé ? Vous allez apprendre à faire confiance dans les professionnelles à qui vous allez confier votre trésor. Un t-shirt ou un foulard avec votre odeur va l’accompagner et le rassurer. Comme cela, le lien sera fait entre la maison et le milieu d’accueil. La période de familiarisation vécue à la crèche (pas toujours simple à suivre d’un point de vue organisationnel, côté parents) va, elle aussi, lui être bénéfique.
« Et le jour d’entrée à la crèche, qu’est-ce qui vous tranquillisera le plus ? demande Reine Vander Linden. De confier votre bébé à une puéricultrice qui vous dira : "Mais, madame, ne vous inquiétez pas, on a l’habitude, on est des professionnelles, cela va bien se passer" ou de le laisser à une puéricultrice qui aura ces mots : "Oh, je vous vois ébranlée de déposer votre petit pour la première fois à la crèche, c’est vrai que c’est difficile, on va faire ce qu’on peut" ? C’est le second accueil qui, sans doute, vous rassurera le mieux, car si la puéricultrice a de l’attention pour vous, la maman, vous vous dites qu'elle saura aussi bien s’occuper de votre bébé. » Pouvoir parler de ses émotions à ce moment si bousculant est précieux. Si votre intention est de poursuivre l’allaitement, abordez tout de suite ce point avec l’équipe de la crèche.
Les jours suivants, comment voyez-vous la transmission d’infos entre les puéricultrices et vous ? « Communiquer, ce n’est pas simplement dire : "Il a bien dormi, il a fait caca, il a eu 37 °C de température", c’est aussi pouvoir parler de ses états émotionnels. "Oh, j’ai passé un bon moment avec votre petit" ou "Aujourd’hui, c’était dur, il a beaucoup pleuré", du côté de la puéricultrice. Et du côté de la maman : "Au boulot, j’ai tout le temps mon bébé en tête, je ne parviens pas à travailler, il faudra bien que je m’y habitue", par exemple. Et la puéricultrice peut répondre : "Je comprends. Si vous voulez, téléphonez." »
ZOOM
Pourquoi une période de familiarisation ?
Selon le code de qualité de l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) qui supervise les crèches, il est nécessaire, avant l’entrée des bébés, d’y organiser une période de familiarisation. À quoi sert-elle ? Et à qui ? Réponses de la psychologue en périnatalité Reine Vander Linden.
« Le sens de cette démarche n’est pas toujours compris. Elle n’est pas destinée aux parents (même si, bien sûr, ils sont plus à l’aise de confier leur bébé à des personnes qu’ils ont déjà rencontrées), elle concerne d’abord l’enfant.
Il s’agit de permettre au bébé – qui a eu les mêmes repères pendant ses premiers mois de vie : même environnement, même ambiance, même entourage… – de se construire de nouveaux repères dans la structure crèche qui lui est inconnue (autre ambiance de vie, nouveaux visages, nouveaux bruits et odeurs…) et où il va devoir désormais passer ses journées.
Demander à un bébé de s’habituer à une nouvelle ambiance, à de nouvelles personnes est terriblement énergivore. Quand on le change d’environnement, on le met en situation étrange. C’est pour diminuer le stress lié à ce changement et aux adaptations qu’il a à faire qu’on propose la familiarisation.
Des parents qui ont un deuxième ou un troisième enfant disent que la période de familiarisation leur est inutile car "on connaît la crèche". Mais ce n’est pas pour eux, la familiarisation, c’est pour l’enfant : la maman connaît le lieu d’accueil, pas le bébé ! »
Les procédures de familiarisation varient d’une crèche à l’autre. Y en a-t-il une qui est meilleure ? « En tant que psychologue, je trouve qu’une familiarisation concentrée sur une semaine avec la maman (ça peut bien sûr aussi être le papa…) qui vient tous les jours avec son bébé pour y rester une petite heure a plus de sens qu’une familiarisation sur quinze jours avec la maman et le bébé présents de façon irrégulière, répond Reine Vander Linden. Par exemple, le premier jour, la maman tient son bébé contre elle ; le deuxième jour, elle le dépose sur le tapis et, le troisième, dans le relax au milieu des autres petits ; le quatrième jour, la puéricultrice prend le bébé ; le cinquième jour, si c’est l’heure de la panade, la puéricultrice la lui donne. Chaque jour, la maman est un peu plus à distance… »
LES PARENTS EN PARLENT…
Contente et inquiète à la fois
« Après le congé de maternité, j’ai pris un mois de congé parental. On a commencé l’adaptation à la crèche quand Lila a eu 3 mois. J’étais à la fois contente pour moi et inquiète de la laisser à la crèche. Jusque-là, elle passait tout son temps avec moi, très souvent dans mes bras d’ailleurs. Alors, je me demandais vraiment comment ses journées à la crèche allaient se passer. L’adaptation a duré trois semaines. Au bout de cette période, elle y est allée à temps plein : elle avait 4 mois pile. La transition s’est faite en douceur. Même si, par moments, elle semblait terrorisée dans ce nouvel environnement… Pour nous, parents, la crèche, c’était du connu, vu que Théo, notre grand, y était allé, mais la puéricultrice de référence de Lila était nouvelle, on a donc dû faire connaissance. »
Céline, maman de Théo et de Lila
Du temps pour soi
« J’ai une terrible envie de reprendre le boulot. Après tous ces jours passés à être en permanence disponible pour mon bébé… J’ai besoin de renouer avec mon côté femme et mon côté indépendant. Je veux retrouver du temps pour moi. J’aime mon travail, il me nourrit. Mon retour au travail, c’est peut-être un retour à celle que j’étais avant. J’ai un fils facile, curieux, ça aide. Je pense qu’il aimera la crèche. En même temps, bizarrement, ça tiraille en moi, parce que quand je pense à la séparation et au premier jour où je le déposerai à la crèche, je suis malade. »
Amandine, maman de William
EN BREF
Pensez-y…
… cela peut aider votre bébé (bientôt) accueilli en crèche et cela peut vous tranquilliser aussi.
- La période de familiarisation l’aide à diminuer le stress lié à ce nouvel environnement.
- Laissez-lui un t-shirt ou un foulard avec votre odeur.
- Poursuivre l’allaitement est possible, parlez-en avec l’équipe qui a en charge votre petit.
- De même, n’hésitez surtout pas à parler de toutes les émotions que cette nouvelle réalité fait naître en vous.
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