Crèche et école

Bien dans sa langue, bien dans son école

D’un côté, les parents qui voudraient mais ne savent pas comment intégrer leurs homologues primo-arrivants. De l’autre, des non-francophones qui se sentent rejetés par l’établissement. Au milieu, les petits qui surmontent les problèmes de langue. Faisons dialoguer tout ce petit monde-là, avec le concours de Jean-Louis Auduc, auteur de nombreux ouvrages sur la relation famille-école.

Qui n’a jamais regardé autour de lui et remarqué à quel point la faune parentale pouvait être fractionnée ? Fanny, maman de deux enfants de 7 et 10 ans, ouvre le portique : « Le constat flagrant chez nous, c’est au moment des fancy-fairs qui se font autour de quelques verres d’alcool. L’école distribue même des petits portos ! Pour la majorité, c’est hyper convivial. Mais il y a quelques familles qui arrivent d’Afghanistan, d’Irak, elles sont vraisemblablement musulmanes, parlent à peine quelques mots de français. Et là, bien sûr, pour elles, le spectacle de parents tous copains, bière à la main, est un obstacle de plus à leur intégration ». Dilemme, en effet. Insurmontable ?

L’association de parents, le mot magique

Pour Christophe, papa de trois enfants de 6, 8 et 12 ans, président de l’association de parents, rien n’est infranchissable. Ni les différences culturelles, encore moins la barrière de la langue.« Notre société se façonne d’abord à l’école. En tant que parents et citoyens, il faut être clairs sur le monde que l’on veut. Un qui perpétue les inégalités, qui segmente, ou un où l’on fait des efforts et chacun veille sur l’autre. De l’alcool aux fancy-fairs ? On a le même problème chez nous. Du coup, ceux qui ne boivent pas participent autrement. Ils organisent des activités, servent les gâteaux, font des ateliers cuisine, thé, etc. Hors de question qu’ils restent les fesses vissées sur le banc à regarder une caste socialiser sous leurs yeux médusés. Et tout ça, ça s’organise autour de l’association de parents. »

Le maître mot ? « Absolument, soutient Jean-Louis Auduc. Avant tout, si on devait trouver un point commun chez toutes ces familles non-francophones, c’est qu’elles ont besoin d’être rassurées. L’association de parents, oui… à condition qu’elle soit polyglotte et s’adresse à tous. Et si ce n’est pas le cas, que les membres n’hésitent pas à voir si le personnel de l’école n’a pas la même origine que les primo-arrivants. Une école, ce n’est pas que les profs, ce sont plein de métiers. Ensemble, il est primordial de jouer le rôle de relais et de médiateur ».
Erwan, papa d’une petite fille de 9 ans, revient sur un épisode qui l’a marqué. « Je suis marié à une Vietnamienne qui parle un français très approximatif. Je suis donc bien placé pour faire attention à ce genre de problématique. Pourtant, alors que j’amène mon fils tous les matins à l’école, un épisode m’a permis de mesurer la fracture culturelle : j’ai demandé l’heure à une maman qui ne comprenait pas ce que je lui demandais. J’ai bien vu qu’elle s’est sentie très offensée de ne pouvoir communiquer avec moi. C’est là où j’ai saisi combien cette barrière pouvait être handicapante. Dès lors, j’ai proposé que l’on se réunisse à plusieurs parents pour donner des cours de langue en fin de journée, à l’école. On a même organisé des petits déjeuners, des tombolas pour financer ce projet. Une fois sur pied, ça n’a rien donné. Aucun parent ciblé n’est venu ».

Pourquoi un tel échec ? Est-ce propre à l’école d’Erwan ou pas ? Jean-Louis Auduc explique : « L’idée d’Erwan, si honorable soit elle, est très maladroite. Parce que ça oblige le parent à être élève dans l’école de son enfant. Ça fragilise donc son rapport à l’enfant. De plus, si pour une raison ou pour une autre, ça ne marche pas, on rentre davantage dans une spirale de l’échec par rapport à l’école. Apprendre le français, très bien, mais pas dans l’établissement du petit. Le point essentiel, c’est de parvenir à créer le contact. L’école d’aujourd’hui ne ressemble assurément pas à l’école que le parent à connu dans son pays natal. Les parents d’origine étrangère fonctionnent avec le système scolaire qu’ils ont connu. Il faut d’abord planter le décor et désacraliser ». Et pour cela, quoi de mieux que comprendre ce qui se passe dans la tête de chacun ?

La beauté de la communauté scolaire

Notre attention n’est pas d’ériger un cliché sur ce qu’est un parent non-francophone. Un cas n’est pas un autre. Chacun sa culture, son fonctionnement. Si toutefois il y avait une généralité chez les parents non-francophones, c’est qu’ils sont davantage centrés sur les problématiques de leurs enfants que sur le fait de socialiser. Ce que notre expert qualifie d’enjeu particulier contre intérêt général.

« L’objectif consiste à lui montrer qu’il fait partie d’une communauté scolaire et à lui faire comprendre que c’est le meilleur rempart contre l’échec scolaire de son môme et le communautarisme aussi. Pourquoi c’est si difficile ? D’abord, parce que le système éducatif étranger paraît toujours compliqué. Il y a cette première difficulté à franchir. À l’heure de l’individualisme-roi, ça ne paraît pas viable, alors que la solution n’est que collective ». Alors que l’on pédale en pleine choucroute, sympathiser avec ses homologues passe donc en second plan.

On retrouve Christophe, président de l’association de parents. « Cela fait quelques années que je suis très impliqué dans l’école de mes gosses. Et j’ai remarqué que dès qu’un parent d’origine étrangère commence à se sentir bien, son enfant s’épanouit. Nous, on met un point d’honneur à rassembler autour de thèmes universels : les rencontres sportives, la pâtisserie à travers le monde, la construction de cabanes, etc. On organise des spectacles dans lesquels on intègre plusieurs langues, sous forme de comptines et autres. La Belgique n’a jamais été aussi multiculturelle, il faut s’en servir. Essayez, c’est un cercle vertueux, vous verrez. Tout le monde fraternise très vite. Profs et parents s’échangent des petits mots, c’est génial ».
Autre solution possible, envisagée par notre expert : « J’ai vu dans un collège français des petites capsules vidéo explicatives sur ce qu’est l’école, son fonctionnement. ‘Le secondaire dure tant’. ‘La maternelle, c’est ça’. Traduit en plusieurs langues. Un parent sait alors quand et pour combien de temps il épaule son enfant ».

Bogdan, papa de trois garçons, revient sur ses premières années en tant que papa étranger et complètement largué : « Que les parents ‘normaux’ en soient conscients, arriver dans un établissement où l’on ne comprend rien et l’on ne parle pas un mot, c’est comme arriver sur une nouvelle planète. Le pire, c’est que les gamins, eux, s’en sortent très vite. Au bout de quelques semaines, ils communiquent avec tout le monde, alors que nous, on ressent le jugement de l’enseignant, des autres parents. On s’inquiète de ne pas être à la hauteur, de ne pas pouvoir aider scolairement nos gosses. En gros, on a le sentiment de ne pas être de vrais parents ».

Bogdan partage l’avis de notre expert : les parents veulent être avant tout rassurés. Ça passe par des relations peut-être un peu plus ajustées au sein de l’école. « On aimait bien faire des rencontres en petit comité, se souvient Bogdan. Notre fils aîné avait des problèmes de discipline, on n’a pas rencontré dix personnes, ça nous aurait fait peur. Le directeur, un traducteur et on a pu dire tous ce qu’on avait sur le cœur, dialoguer à trois : enfant, professionnel et parent. C’était facile. Il suffisait de quelques mots et tout s’est arrangé ».

Construire la confiance

Et pourquoi ne pas faire de l’élève le traducteur de ce genre de rencontres ? Jean-Louis Auduc bondit : « Surtout pas ! C’est la pire des choses à faire. D’abord parce qu’on ne sait pas s’il traduit bien. L’idée, c’est soit de se servir des forces de l’école comme je l’ai dit plus haut, voir si un membre du personnel peut aider ou pourquoi pas demander de l’aide à des étudiants de même nationalité. C’est aussi une manière de montrer que l’on peut venir de telle région et accéder aux études supérieures. Ils peuvent même organiser des cours destinés à apprendre la langue française aux adultes. Cette pratique me paraît intéressante car elle permet aux parents d’échapper au sentiment de culpabilité liée à l’incapacité qu’ils peuvent ressentir de ne pouvoir aider leur enfant dans sa scolarité ».

Rongée par cette problématique, Fanny a eu l’idée d’organiser des rencontres entre parents non-francophones. Elle revient sur ses difficultés. « Des amis de l’école m’ont tourné le dos sous prétexte que je ghettoïse. Pourtant, les non-francophones que je rassemble sont contents d’apprendre qu’il existe une association de parents, un mail pour communiquer entre nous, un blog avec des photos de leurs gamins. Ils ne connaissent pas l’existence des centres PMS, par exemple. Ils sont tout simplement heureux de mieux comprendre et de voir qu’on fait un peu attention à eux. Ne rien faire parce qu’on a peur des ségrégations, c’est ça qui conduit à l’immobilisme ».

Jean-Louis Auduc abonde : « C’est une très bonne chose d’organiser des rencontres. C’est précieux pour les parents de voir que d’autres qu’eux sont confrontés aux mêmes difficultés, sont dans des situations similaires. Ça aide. Chacun ses outils, ses idées pour que tout le monde (enfant et parents compris), puisse se sentir bien dans sa communauté scolaire. Il ne faut jamais sombrer dans le tout noir ou tout blanc, c’est là tout l’enjeu : construire la confiance entre la famille et l’école ». Et ceux qui prétendent le contraire sont de mauvaises langues.

À lire

Familles-école : construire une confiance réciproque ?

À peine sorti du four, le dernier opus de Jean-Louis Auduc aux éditions Canopé est un manuel parfait pour bâtir une école sans laisser personne sur le bord du chemin. Il y emploie des gros mots comme réussite, bienveillance, rassurant et ambition.

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