Développement de l'enfant

Chacun son rythme, ah… Mais ça veut dire quoi au fait ?

Chacun son rythme, ah… Mais ça veut dire quoi au fait ?

Votre magazine préféré, le Ligueur (rappelons-le au cas où), est jalonné de quelques grands préceptes éducatifs. Comme des piliers fondateurs inébranlables. Parmi eux, celui que l’on assène le plus : « Chacun son rythme, un enfant n’est pas l’autre ». On oublie peut-être ce que cette phrase signifie et pourquoi il est important de la répéter encore et encore aux parents. Par ces temps incertains, rien n’est plus important que consolider les bases, pas vrai ?

Dans le Ligueur 6 du 23 mars, nous vous parlions de narcissisme, comme ode à soi, ode à la singularité dans ce monde très pluriel. Cette singularité commence très tôt. Dès le plus jeune âge, dès les premiers instants de la vie où l’on sait que les enfants font montre de traits de personnalité très différents. Ils ne réagissent pas à leur environnement de la même manière, s’expriment différemment, développent des relations de façon unique… oui, chacun·e est un être à part. On a parlé de tout cela avec une armée de puéricultrices autour d’un bon café et de quelques biberons au bon lait maternel.

Je bouge donc je suis

On a à peine le temps de poser la question que la plus jeune des puéricultrices de cette crèche bruxelloise attaque. « Là, vous voyez, Milo*, c’est une tempête. Niveau activité motrice, il turbine. On construit les journées comme ça avec les enfants, on observe la durée des périodes d’activité et d’inactivité. On part donc des rythmes de chacun·e. Et ils sont tous complètement différents ».
On le voit bien, cette petite faune est peuplée d’aventuriers et d’aventurières qui ne s’arrêtent pas une minute. D’autres qui jouent tranquillement dans un coin, là où certain·es sont collé·es aux basques des adultes
Après un long moment d’observation, la directrice prend la parole. « Pas étonnant que les enfants se développent différemment. Leur base, ce sont toutes ces disparités. On encourage les enfants les plus énergiques à se dépenser avant des moments plus calmes, genre sieste, repas, temps calme. Et on fait exactement l’inverse avec des gamins plus statiques, on les encourage à bien se dépenser, au moment où les activités redémarrent ». Et d’ailleurs, sont-ils tous égaux face à ces moments calmes, finalement très organiques ?

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Mon rythme est d’abord biologique

On pose la question, par exemple, de l’influence des repas sur l’activité ou non des petit·es. La puéricultrice en charge des repas reprend le flambeau. Là aussi, il existe une grande dissemblance. « Nous séparons les groupes pour nous adapter au mieux à chacun·e. Parce qu’on constate que si certain·es sont très prévisibles, s’endorment et veulent manger à des rythmes très réguliers, chez d’autres, c’est le grand huit ».

Avec l’approche cognitive, on acclimate l’enfant à la nouveauté ou à ses peurs étape par étape

De là découle toute l’organisation de la journée. Parce que plus on grandit, plus on oublie combien un enfant est éminemment dépendant de son rythme biologique et que tous les rituels et autres activités doivent se faire en fonction. La bande de puéricultrice rappelle l’importance de ces marqueurs quotidiens. Et précise même que pour quelques enfants, mieux vaut conserver toujours un minimum de routine, même en cas d’évènements exceptionnels, week-end chez tantine ou fête chez les voisin·es.
« L’entourage ne comprend pas toujours. Le parent a l’air de manquer de souplesse, mais pour certains jeunes enfants, le moindre décalage est très difficile à gérer ». Vous pourrez désormais l’expliquer à votre entourage, cet article en main. Tiens, puisqu’on évoque le rapport au groupe, parlons-en.

Des enfants en discussion
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Moi et les autres

En préambule, nous évoquions la façon dont les un·es et les autres agissent avec leur environnement. On entend souvent cette phrase à propos d’un enfant : « Ah, ton petit, on voit bien qu’il est ‘facile’ ». Sous-entendu, il est social. Sous-entendu, d’autres enfants le sont moins et ne seraient pas, eux, des enfants « faciles ». Qu’en pense notre joyeuse bande ?
« C’est vraiment une phrase à ne plus dire. Certain·es adorent voir de nouveaux visages. Ils sourient, veulent aller dans les bras. Là ou d’autres se méfient, expriment leur peur. Plus tard, on voit des enfants qui passent le pas de la porte sans regarder leurs parents au moment des au-revoir, et d’autres qui ont besoin qu’on les rassure pour ce passage de relais maison-école. »
Le rôle du parent ? Rassurer, sans toutefois surprotéger. Ce qui est en jeu concerne l’adaptabilité de l’enfant, faire en sorte qu’il se sente à l’aise face à une situation nouvelle. Vous avez le sentiment que votre enfant s’adapte plus lentement ? Redoublez d’enthousiasme. « C’est génial, tu vas passer une chouette journée et tout va bien se passer. Et après ton goûter, je viens te chercher ». Vous l’amenez à vivre progressivement le changement. C’est ce que l’on appelle l’approche cognitive. On acclimate l’enfant à la nouveauté ou à ses peurs étape par étape. Une question de bon sens, voire de sens tout court.

Mes sens et moi

Autres grandes dissimilitudes, nous apprend l’équipe de puéricultrices : le rapport lié aux odeurs, au toucher, au ressenti des températures même. De cette sensibilité naissent différentes aptitudes. Différentes stimulations. Là encore, le parent peut jouer un rôle, mais d’abord il doit comprendre à quel point toutes ces perceptions sont importantes pour l’enfant. Une des puéricultrices nous donne un exemple concret.
« Nous avons un tout petit bout de tapis en coco. Certain·es adorent et s’amusent de la matière. Mais pour Zia*, impossible d’y mettre un pied. Elle pleure dès qu’elle le voit. Ce que d’autres éprouvent avec tel type de vêtement ou tel type d’aliment. Dans ces cas, il faut toujours y aller graduellement. L’exemple du tapis coco est parlant. Le contact leur permet d’intégrer et de s’acclimater. Le parent peut, par exemple, permettre à l’enfant de maîtriser ses réactions. Cela prend trois minutes à Milo, trois semaines à Zia, ça n’a aucune importance. »
Les puéricultrices nous expliquent que l’enjeu est de permettre à l’enfant de valoriser le dépassement de soi et, plus tard, de mettre des mots sur ces sensations. Ce qui est finalement le seul enjeu. En réalité, tout tourne autour de l’idée d’aider votre enfant à dompter ses réactions.

La plaine de jeux lieu d'éveil et de socialisation
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La façon dont je réagis

Ce que l’on ne savait pas et c’est le point sur lequel insistent les puéricultrices, c’est que toutes ces émotions qu’éprouvent et manifestent ces tout-petits les mobilisent. Elles leur coûtent en énergie.
« Comme si elles consommaient du carburant. Cela nous arrive aussi à nous autres, adultes, explique la directrice. Vous ressentez une colère qui va vous plonger dans une intense fatigue. Tout cela est décuplé chez les enfants. Celles et ceux très sensibles ressentent intensément les émotions et sont donc très mobilisé·es. D’où l’importance d’aider à apprivoiser tous ces ressentis en tant que parents. »
En cela, les conseils du psychologue Elgide Altenloh pour que les parents puissent s’exercer à analyser les sentiments de leurs enfants de façon plus fine sont intéressants. Par exemple, votre enfant est en colère. Vous pouvez lui dire : « Tiens, j’ai l’impression que ça ne va pas super, là. Où est-ce que ça se situe physiquement ? Dans la tête ? Dans la gorge ? Dans le ventre ? Décris-moi où ça ne va pas ». Vous pouvez partir d’une image. « Qu’est-ce que tu vois ? Un petit personnage tyrannique à l’intérieur de toi ? Comment s'appelle-t-il ? Qu’est-ce qu’il fait ? Tu viens, on va le sortir ».
Vous l’aurez compris, le principe consiste à mettre des mots, et pour votre enfant et pour vous, et grâce à cela de développer vos propres stratégies éducatives. Ce qui rejoint un autre grand mantra du Ligueur : à enfant singulier, éducation sur mesure.

*prénoms modifiés

ZOOM

Le mot de la psy

Nous soumettons cet entretien à propos des rythmes différents de l’enfant à la psychologue Annie Vanderen. Pourquoi est-ce important de rappeler toutes ces différences entre les enfants ? Elle nous rappelle combien il est nécessaire de rassurer les parents. Les articles éducatifs sont très calibrés, de plus en plus formatés. Dès que ça ne va pas, un parent s’y réfère. Il interroge les évolutions quasi mois par mois pour voir si son enfant est dans la norme. Ce qui est bien humain, mais peut induire en erreur.
« Prenons l’exemple de la marche. Comme viennent de vous expliquer ces puéricultrices, un enfant qui se mobilise à observer, ressentir, analyser, ne va pas partir à la conquête du monde. Vous vous retrouvez donc avec des enfants qui marchent parfois à 20 mois, là où d’autres galopent à 10 mois. Insistons sur l’idée qu’en matière éducative, il n’existe pas une façon de faire. Si les parents cessaient de comparer les évolutions d’un enfant comme ces puéricultrices le font au quotidien, on s’éviterait une grosse pression ».
Parents, appuyez-vous donc sur cette façon de faire très unique de votre enfant. Pourquoi ne pas apprendre à éduquer à travers lui ? Ce qui ne veut pas dire tout lui céder, mais bien vous adapter. Et si le petit copain de la crèche ou la petite copine du parc a telle compétence, tant mieux pour elle, votre enfant a les siennes qui méritent d’être tout autant valorisées. La prochaine fois, quand un parent cultive une forme de perfection illusoire et ponctue de ce très agaçant ’Oui, nous, on a beaucoup de chance’, complétez avec malice d’un très vrai : « Mais on a toutes et tous beaucoup de chance ».