Développement de l'enfant

Quels mots choisir ? Jusqu’où aller ? Être juste sans devancer. Répondre sans encombrer. Trois professionnelles livrent leurs conseils pour répondre à cette question que vos enfants ne manqueront pas de vous poser.
C’est l’heure bleue, la chambre de votre enfant est plongée dans la pénombre. Votre fille, 6 ans, est lovée contre vous. Dans ce moment d’intimité, elle vous questionne : « Comment papa a choisi la graine dans le magasin ? ». Vous répondez perplexe : « Quelle graine ? ». Votre mini précise : « Ma graine de quand j’étais dans ton ventre ». Votre franc tombe.
Quels mots choisir pour répondre à votre enfant ? Annick Faniel, responsable du CERE (centre d’expertise et de ressources pour l’enfance), Bénédicte Homerin et Marjolaine Girardot, coordinatrice et psychologue du planning familial de Genval, livrent leurs conseils pour avancer sur ce fil ténu sans se dérober.
Primo : s’en tenir à la question
Ne nous voilons pas la face, le terrain est glissant. Bon nombre de parents ont l’impression d’aller au casse-pipe quand il est question de graine et de bébé. « Une règle de base, c’est de ne jamais aller au-delà de la question de l’enfant, entame Bénédicte Homerin. Les questions des enfants sont souvent très concrètes et expriment leur besoin de comprendre d’où ils viennent ».
Deuxième piste à mettre en pratique, renvoyer la question : « Tu crois que papa achète des graines au magasin ? ». Une manière de prendre la température de ce qu’il ou elle sait déjà. Une fois cette température prise, vous pouvez répondre simplement qu’il n’y a pas de magasin et que les parents portent les graines en eux.
S’en tenir à la question. Pour ne pas aller plus vite que la musique. Pour respecter le rythme de l’enfant. « L’enfant peut tout aussi bien vous relancer directement ou se contenter de la réponse pendant des mois », prévient Marjolaine Girardot.
Admettons qu’il embraye et vous demande « Mais elles sont où, les graines ? ». Rebelote, vous lui renvoyez la question avant de lui fournir une réponse simple. Marjolaine Girardot se prête à l’exercice. « Papa a en dessous de son pénis deux petites poches qui s’appellent les testicules et dans lesquelles sont fabriquées les petites graines. Et maman a dans son ventre une graine qui se présente comme un œuf qui s’appelle l’ovule ».
Pour un enfant du début du primaire, cette réponse suffit. « Vers 6 ans, la question est d’ordre mécanique. Les notions de sexualité et de plaisir n’interfèrent pas à cet âge-là ». Pour que la réponse s’inscrive bien dans le cerveau de l’enfant, il faut penser chaque question-réponse en mini-séquence, conseille Annick Faniel.
Deuxio : y donner suite
Si le contexte s’y prête et que vous vous sentez à l’aise, les questions-réponses s’enchaîneront naturellement. Il se peut aussi que ce ne soit pas le bon moment, que la question génère de l’inconfort ou que le parent se sente dépourvu. « Ce qui compte, c’est de dire à l’enfant que sa question est importante et qu’on va y revenir, explique Bénédicte Homerin. Le parent peut alors renvoyer vers l’autre parent ou un proche ou se mettre en quête d’un livre en guise de support ».
« Les questions des enfants sont souvent très concrètes et expriment leur besoin de comprendre d’où ils viennent » Bénédicte Homerin, coordinatrice du planning familial de Genval
Si le parent est en droit de s’octroyer un délai de réflexion ou de renvoyer la question, il a en revanche le devoir d’y donner suite, ajoute Annick Faniel. « L’enfant qui questionne a besoin d’obtenir une information pour satisfaire son besoin de savoir. Son besoin doit pouvoir être entendu et reconnu ». L’écueil serait de laisser l’enfant seul avec sa question.
« On sait que plus les questions sont précises, plus elles mettent mal à l’aise les adultes. L’enfant qui n’obtient pas de réponse va continuer à chercher l’information auprès d’un copain, d’une copine, d’internet ou des réseaux sociaux. Des sources moins fiables, ce qui serait dommage », prévient Annick Faniel.
Tertio : l’importance du mot juste
Pour des enfants plus grands, dès la 4e primaire, les professionnelles insistent sur l’importance de recourir systématiquement aux mots justes. « On peut nommer les petits mots familiers donnés aux parties intimes comme zizi et zézette, mais préciser que dans le dictionnaire ou chez le docteur, on utilise les mots pénis pour le sexe mâle et vulve pour le sexe femelle », propose Bénédicte Homerin.
L’expérience a démontré à Annick Faniel l’importance de l’usage des termes exacts. Lors d’une formation sur la maltraitance infantile qu’elle dispense aux professionnel·les de la petite enfance, une institutrice lui rapporte n’avoir pas compris une élève qui se plaignait du fait que son papa lui mangeait toujours son bonbon. « Dans les cas d’inceste ou de violence sexuelle, les mots sont souvent détournés. Apprendre les mots justes à l’enfant, c’est l’outiller dans la vie ».
EN SAVOIR +
Quand la question s’invite en classe
Bénédicte Homerin et Marjolaine Girardot du planning familial de Genval animent régulièrement des séances Évras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) dans les écoles. Autour des émotions ou de l’intimité pour les élèves de maternelle ou début primaire et sur la puberté pour les élèves de 6e primaire.
Si la question de la conception n’arrive (presque) jamais chez les petit·es, la notion de consentement, elle, est systématiquement abordée par les animatrices. La raison : des chiffres révélateurs. En Europe, un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles. Entre janvier et mai 2022, 13,5% des victimes qui ont fait appel aux centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS) avaient moins de 12 ans. « La notion de consentement est très importante. C’est notre rôle d’expliquer aux enfants qu’ils ont leur mot à dire, qu’ils ont le droit de dire non si quelque chose ne leur convient pas », poursuit Marjolaine Girardot.
Lors des animations sur la puberté en 6e primaire, les questions des élèves peuvent être très différentes. Certain·es élèves ont un niveau de connaissance basique alors que d’autres sont déjà tombé·es sur des contenus pornographiques. Cette hétérogénéité n’est pas évidente à gérer.
« Pour éviter que l’enfant qui questionne ne soit stigmatisé, on propose aux élèves d’écrire leurs questions de manière anonyme sur des petits papiers. On ne les lit jamais tels quels, on dit souvent qu’on a reçu des questions sur tel thème », explique Bénédicte Homerin. Le plus souvent, les élèves les mieux informé·es répondent tandis que les professionnelles du planning appuient, confortent ou corrigent. Ce système d’explication par les pairs encadré par les professionnelles fonctionne bien. « Je suis agréablement surprise de la manière dont celles et ceux qui savent expliquent aux autres. Je n’ai jamais eu affaire à des moqueries malgré les écarts parfois très importants dans lesquels se trouvent les enfants ».
DES LIVRES POUR EN PARLER
POUR LES ENFANTS
Dès 5 ans
- Le petit guide de la foufoune sexuelle, Julia Pietri et Victoire Doux (Better call J)
- Éléphantine veut tout savoir sur sa zézette et Renardeau veut tout savoir sur son zizi, Natacha de Locht et Laurent Carpentier (Les nez-à-nez)
- L’amour et les bébés, Pascale Hédelin (Milan jeunesse - coll. Mes p’tites questions)
Dès 8 ans
- Les petits illustrés de l’intimité, Mathilde Baudy et Tiphaine Dieumegard (Atelier belle)
Dès 9 ans
- Le guide du zizi sexuel, Zep et Hélène Bruller (Glénat)
POUR LES PARENTS
- Corps, amour, sexualité. Les 120 questions que vos enfants vont vous poser, Charline Vermont (Albin Michel)
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