Vie pratique

Au quotidien, nous sommes plongés dans ce bain sexiste, c’est d’ailleurs ce qui lui vaut d’être étiqueté d’ordinaire. Et chez vous, quelles résonances trouve ce terme ? Rien à signaler. Vraiment ?
Souvenez-vous du dernier repas familial, quand votre père s’est indigné de voir votre fils en justaucorps, lui demandant ce qui lui prenait de s’habiller ainsi. Et ce débat animé sur les couleurs avec vos enfants pour savoir si oui ou non le rose est une couleur de fille. Que dire aussi de ce goûter d’anniversaire organisé pour les 5 ans de votre fille quand toutes les mamans qui se chargeaient d’acheter le cadeau (tiens donc…) ont décrété que les licornes et paillettes devaient forcément être au goût de votre petite.
Rebondir, dialoguer et questionner les croyances
Pourtant, dans votre for intérieur, vous vous rassurez, convaincu·e que la nouvelle génération se démarquera de ces clichés. Jusqu’à ce que, votre fille assène à un copain venu jouer à la maison : « Ben, non, pas le déguisement princesse, t’as qu’à choisir pirate ou Spiderman ». Si vous en doutiez, cet exemple est la preuve que, malgré vos choix éducatifs, votre enfant baigne dans un monde où le sexisme ordinaire est de mise.
Alors, on fait quoi ? D’abord, on déculpabilise. « On fait déjà peser beaucoup de poids sur les épaules des parents, souligne Marie-France Zicot, formatrice aux Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) ». On dédramatise aussi. « Ce n’est pas parce que l’enfant rapporte un propos qu’il ou elle a entendu que c’est foutu. Au contraire, c’est à ce moment-là que le parent peut agir et questionner ses croyances et ses représentations ».
Les livres constituent d’excellents supports pour susciter le débat. « Il y a de belles collections qui proposent d’autres modèles d’identification. Un enfant se construit en prenant toutes les petites briques qu’il peut prendre. Si on ne lui propose que des briques d’une même couleur, son choix sera restreint. Si on lui en propose de toutes les couleurs, il pourra poser ses choix, actuels et à venir ».
Pour Noémie Kayaert, formatrice à l’ONG Le Monde selon les femmes, à partir de 5-6 ans, la question du sexisme peut aussi être abordée comme un problème social plus large. Par exemple, à partir d’un exemple qui peut parler comme le fait que les joueuses de foot professionnelles ont des salaires inférieurs aux hommes alors qu’elles exercent le même métier.
Quand l’enfant ne rentre pas dans les cases…
Sacha, 5 ans, est l’objet de moqueries à l’école. Il ne rentre pas dans le moule. Grand fan de la Reine des neiges, c’est le déguisement qu’il choisit pour se rendre au carnaval organisé dans son école. Les copains de classe se moquent aussi quand il chantonne le célèbre Libérée, délivrée en cour de récréation.
Dans ce cas, Marie-France Zicot recommande aux parents de ne pas se prendre la tête. « Évitez les drames en vous disant que votre enfant n’est pas normal. La société voudrait faire croire que c’est un problème, mais ce n’en est pas un ».
De son côté, Noémie Kayaert conseille aux parents d’ouvrir le dialogue avec l’enfant. « Il vaut mieux évoquer à la maison les représentations des autres enfants qui risquent de surgir plutôt que de faire comme si ça n’existait pas ». Même dans un univers très ouvert, il y a toujours des remarques qui fusent, prévient-elle. L’occasion pour le parent de préparer l’enfant à ce qui l’attend en expliquant, par exemple, ‘Pour moi, c’est O.K. que tu choisisses ce déguisement, mais je veux que tu saches que certains copains ou certaines copines vont peut-être se moquer. Est-ce que ça te va de gérer ça ?’.
Noémie Kayaert évoque l’exemple d’un papa allemand qui croyait à l’égalité des genres et dont le fils aimait porter des jupes. Pour le soutenir dans sa démarche, il décide d’en faire autant. « Le fait que le parent puisse accompagner son enfant et lui permettre de s’habiller d’une manière plus fluide, c’est un geste fort », souligne-t-elle.
… et que le parent s’inquiète
Au niveau des parents, Marie-France Zicot perçoit aussi parfois une inquiétude, comme si le fait de vouloir porter une robe était révélateur de l’orientation sexuelle future de l’enfant.
« Un enfant de 3, 4 ou 5 ans ne sait pas toujours s’il est une fille ou un garçon et c’est tout à fait normal. Il ou elle joue, teste et expérimente à travers le jeu. C’est aussi important de rappeler aux parents qu’il n’y a aucun lien entre l’expression de genre et l’orientation sexuelle ». Cette confusion a d’ailleurs poussé des associations à créer un outil pour clarifier les choses à l’aide du « Perso-genre » (voir encadré).
Il arrive aussi que l’expression de genre trouve une autre utilité, comme celle de profiter des privilèges assignés à un genre. Une petite fille qui se met torse nu ou adopte des attitudes de garçon désire peut-être plus de liberté sans se sentir pour autant garçon.
Comment ne pas alimenter cette grande machine du sexisme ordinaire ?
Dans la vie de tous les jours, Marie-France Zicot recommande d’observer et d’écouter ses enfants. « Cela permet de partir de ce qu’ils et elles sont, de leurs envies, sans que le parent ne projette ce que, lui, pense qui est bien pour l’enfant ». Si l’on revient à l’exemple classique du magasin de jouets, c’est de laisser déambuler les enfants librement dans les rayons sans les orienter vers tel jeu ou tel jouet.
« La place des papas est une question importante aussi. Ils sont sous-représentés dans les livres ou dessins animés et trop peu pris en compte de façon plus globale dans la société », constate Noémie Kayaert. Pourquoi est-ce l’heure des mamans quand la cloche sonne à l’école ? En quoi le mercredi devrait-il être la petite journée des mamans ? Et quand l’enfant a de la fièvre, pourquoi est-ce elles qu’on appelle généralement en premier ? « Ça binarise la société et clive les rôles. Il faut sortir du classique papa-jeu, papa-activité pour que les pères prennent et disposent de davantage de place ».
Marie-France Zicot constate également une tendance à ne pas reconnaître suffisamment les compétences parentales des pères. C’est le classique « Vous direz à votre femme » qui l’assigne à un rôle de messager, alors que le papa est aussi capable de prendre soin de l’enfant. Dans la sphère familiale aussi, les rôles peuvent être rapidement assignés.
Autre enjeu soulevé par Noémie Kayaert, le fait de projeter très tôt sur les enfants des considérations sentimentales d’amoureux ou amoureuse qui ne correspondent pas forcément à ce que l’enfant vit. « Je ne dis pas qu’il faut nier la question de l’amour chez les petit·e·s, elle peut exister. Mais on constate surtout chez les filles une quête de l’amour romantique, comme si leur destin tenait au fait de trouver un amoureux qui comblera leurs besoins. Tenter de ne pas renforcer cela, c’est aussi une manière de ne pas assigner les petites filles à un rôle passif et dépendant ».
EN PRATIQUE
Le « Perso-genre »
Voilà un chouette outil* pour clarifier les dimensions qui composent l’identité d’un individu. On vous en livre quelques éléments :
► Identité de genre = le genre auquel s’identifie une personne, comment elle se voit, se pense...
► Expression de genre = la manière dont la personne exprime son identité de genre aux autres, ce qu’elle a envie que l’on perçoive d’elle (vêtements, coiffure, attitudes, langage, etc.).
► Identité sexuelle = le sexe biologique avec lequel la personne est née (femelle, intersexué·e, mâle).
► Orientation sexuelle = l’attirance (physique, sexuelle, affective...) éprouvée envers des individus de même sexe ou de sexe opposé.
* Développé par l’asbl Les Cheff et retravaillé par les Ceméa.
À LIRE
La sélection du Monde selon les femmes
Le Monde selon les femmes a constitué une liste de livres jeunesse non sexistes. Elle comporte, entre autres, les titres suivants :
- Princesse Kevin, Michaël Escoffier et Roland Garrigue (P’tit Glénat),
- Tu peux, Élise Gravel, un livre à télécharger gratuitement,
- Je suis une fille, Yasmine Ismail (Pilotis),
- Hector, l’homme extraordinairement fort, Magali Le Huche (Didier Jeunesse),
- Petit Paul, Ashley Spires (Scholastic),
- Marre du rose, Nathalie Hense et Ilya Green (Albin Michel jeunesse).
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