Société

L'insupportable instrumentalisation des familles en exil

COMMENTAIRE

Alors que la Belgique peine déjà à respecter ses obligations en matière d’accueil aux personnes demandeuses d’asile, la secrétaire d’État, Nicole de Moor vient de prendre une décision qui ne va pas dans le sens d’une amélioration. Tout cela sous le couvert de l’accueil à réserver aux familles et aux enfants.

Bien sûr, la secrétaire d’État expose un objectif louable, il faut « éviter absolument que des enfants ne se retrouvent à la rue en hiver ». Au Ligueur, nous sommes évidemment sensibles à cela, laisser des familles et des enfants sans toit à l’arrivée des mauvais jours, quoi de plus louable ! Cela dit, la façon d’atteindre cet objectif plein d’humanité a de quoi laisser perplexe.

Posons le cadre ou, plutôt, laissons Nicole de Moor, elle-même, le poser. « Le nombre élevé de demandeurs d’asile arrivés dans notre pays ces deux dernières années pèse encore sur le réseau d’accueil. Nous continuons à ouvrir de nouveaux centres, mais chacun a pu constater l’année dernière combien il est difficile de créer des places d’accueil. Je veux absolument éviter que des enfants se retrouvent à la rue ».

Pour régler le problème, la secrétaire d’État sort une idée miracle. La Belgique, temporairement, n’accueillera plus les demandeurs d’asile, dans le réseau FEDASIL, lorsqu’il s’agit d’hommes seuls. Voilà de quoi faire de la place pour les familles et les enfants.

Une certaine manipulation

Le problème, c’est que cette décision ne fait qu’enfoncer le gouvernement dans son non-respect de ses obligations. Même au sein de l’exécutif fédéral, ça rechigne. Le vice-premier Écolo Georges Gilkinet est déjà monté au créneau. « Des solutions doivent être trouvées pour mettre fin aux condamnations dont il (l’État Fédéral) est la cible et surtout pour faire en sorte qu’aucun demandeur d’asile ayant droit à l’accueil ne soit contraint à dormir dehors cet hiver ».

On ne peut s’empêcher de voir dans la décision de Nicole de Moor un fond de manipulation. En mettant un obstacle sur la route des « hommes seuls demandeurs d’asile », elle semble faire barrage à une « immigration » perçue par certains comme dangereuses au gré d’amalgames et de raccourcis un peu faciles. Elle brosse certains électeurs dans le sens du poil. Pour rendre acceptable sa mesure aux yeux des autres, elle brandit l’aide nécessaire à apporter à des familles et à des enfants. Qui pourrait s’élever contre cela ?

Une crise longue durée

Au Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), on ne décolère pas. L’instrumentalisation des familles et des enfants est pointée. Évidemment. Mais ce qui exaspère, c’est « la longueur de la crise et l’attitude coupable du gouvernement ». Sotieta Ngo, la directrice générale, ne mâche pas ses mots : « Il y a un cadre légal, des obligations, des droits, des condamnations, des aides sociales à apporter. Et la secrétaire d’État s’assied dessus. Tout simplement. J’y vois de l’instrumentalisation. Du cynisme électoral. »

L’argument des familles passe mal chez Sotieta Ngo. Elle replace les choses dans leur contexte. « Cette mesure ne fait que consacrer une situation de fait. Aujourd’hui, déjà, pour faire face au manque de places, on privilégie les familles, les enfants… Résultats, les hommes seuls restent déjà à la rue. Ici, on fait croire qu’on prend une mesure en urgence pour mettre à l’abri les plus fragilisés. Mais cela fait deux ans que ça dure. Une telle mesure pourrait se justifier pour faire face à une situation imprévisible, soudaine… Mais là, on est loin du compte. »

Le débat, on le voit, est explosif. « Sur le fond et sur la forme, rien ne va » renchérit Sotieta Ngo, juriste de formation. Au point de tendre les relations au sein d’un gouvernement qui tente, aujourd’hui, de se donner bonne conscience, en donnant l’illusion de renforcer son aide aux plus faibles, les familles et les enfants? Peut-être, mais ce n'est pas sûr. Cette crise semble perçue comme une fatalité par l'équipe fédérale qui affirme, notamment, que jamais on n'a déployé autant de moyens dans ce dossier. Pour mettre un terme à cette crise lancinante, ne serait-il pas temps de repenser les moyens de façon efficace pour faire face à une situation humanitaire qui demande un maximum de respect, tant au niveau des individus qu'à celui des obligations légales que se doit de respecter le gouvernement.    

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