Société

Conciliation travail-vie de famille : que réserve le prochain gouvernement fédéral aux parents ?

La Ligue des familles s’inquiète que les mesures de « flexibilisation » du marché du travail contraignent les parents

La Ligue des familles s’inquiète que les mesures de « flexibilisation » du marché du travail contraignent les parents à un exercice d’équilibriste accru entre travail et vie de famille. Et qu’elles en fassent basculer certains, au premier rang desquels les familles monoparentales, les femmes et les parents travailleurs précaires, dans une situation intenable entre le marteau des horaires atypiques quand on gère seul·e des enfants et l’enclume de la perte de revenus.

La conciliation entre travail et vie de famille est, comme vous nous le confiez régulièrement dans nos enquêtes, au cœur de vos préoccupations parentales. Depuis plusieurs mois, des mesures discutées par les partenaires du prochain gouvernement fédéral fuitent dans la presse. Certaines d’entre elles risquent d’avoir un impact important pour l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Comment ? Le service d’Études de la Ligue des familles a décrypté la note du formateur du gouvernement, Bart De Wever (N-VA).
Précisons au préalable que la prudence s’impose : à l’heure de boucler ce numéro du Ligueur, il n’y a pas encore d’accord de gouvernement fédéral. Les mesures évoquées ci-dessous, bien que sur la table depuis plusieurs mois et jamais abordées publiquement parmi les points de dissension (au contraire d’autres passages de cette note), n’ont donc pas encore été définitivement validées par les partenaires de la future majorité.

Une conciliation des temps plus compliquée pour les parents

Plusieurs modifications prévues au droit du travail compliqueraient l’organisation familiale, voire empêcheraient certains parents – en particulier, les familles monoparentales – de continuer à travailler ou d’accéder à l’emploi.
La note De Wever prévoit de supprimer l'interdiction du travail de nuit, du travail du dimanche et du travail les jours fériés (le travail pendant ces périodes existe actuellement, mais il est encadré par des règles strictes), favorisant le travail à ces moments où les écoles et crèches sont fermées et où les parents doivent s’occuper de leurs enfants.
Le temps de travail pourra également davantage varier selon les semaines ou les périodes de l’année en fonction des besoins de l’employeur. Dans le commerce, par exemple, il pourra être demandé aux parents de travailler de longues journées ou semaines au moment de Noël, période chargée, et moins à d’autres moments de l’année.

Familles monoparentales, femmes et parents travailleurs précaires particulièrement sous pression

Certains parents peuvent être séduits par une flexibilité accrue des horaires de travail. Mais tous ne disposent pas des mêmes soutiens familiaux pour la garde des enfants. Or, les horaires scolaires et les besoins des enfants ne sont pas flexibles, et la plupart des familles n’ont pas les moyens d’engager quelqu’un pour s’occuper de leurs enfants avant ou après l’école.
Les femmes, en particulier, risquent de pâtir de ces dispositions, elles qui continuent, dans la majorité des cas, à s’occuper des enfants et qui seront davantage conduites à rester à la maison ou à prester à temps partiel, si ces horaires de travail revus sont incompatibles avec la vie de famille. À noter que dans le même temps, le futur gouvernement entend supprimer le quotient conjugal, soutien fiscal aux ménages dans lesquels l’un des membres travaille peu ou pas, et la pension de survie (lire ci-dessous).
Les parents ne sont pas tous non plus dans la même position de négociation face à leur employeur. Celles et ceux qui cherchent désespérément du travail, qui occupent un emploi précaire, qui travaillent dans un secteur difficile, ne seront pas en mesure de négocier des horaires qui leur conviennent et devront s’ajuster à ceux de l’entreprise, si éloignés soient-ils de leurs besoins familiaux.
Ces mesures complexifiant la conciliation entre travail et vie de famille, d’une part, et l’accès à l’emploi pour les parents, d’autre part, sont d’autant plus problématiques dans un contexte où les allocations de chômage devraient devenir limitées dans le temps. Au terme d’une période maximale de deux ans, un parent sans emploi devra accepter une offre d’emploi qualifiée de « finale ».
Que feront les parents si cet emploi implique des horaires (de nuit, de week-end, ou simplement au-delà des heures d’école ou de crèche) incompatibles avec la vie de famille ? Cette difficulté concernera avant tout les familles monoparentales, mais aussi les parents dont les conjoint·es travaillent également à l’heure où il faut s’occuper des enfants.
Ce ne sont pas des situations marginales : de nombreuses familles font face à ces enjeux. Le travail à horaires atypiques concerne de nombreux secteurs : soins de santé, HoReCa, commerce, nettoyage, gardiennage, industrie... Et nombre d’entreprises ont des besoins de travail accrus à certaines périodes et moindres à d’autres. Le droit du travail fixe un cadre essentiel pour protéger les parents qui travaillent. Le détricoter de la sorte, en plus de compliquer davantage une conciliation déjà difficile entre vie professionnelle et familiale, réduira tout simplement les possibilités d’emploi pour de nombreux parents – au premier rang desquels les femmes et les travailleurs précaires.

conciliation des temps, travail à la maison

Réforme des congés familiaux à budget constant : des familles y perdront

Une autre réforme pourrait mettre des familles en difficulté : celle des congés familiaux. Le projet d’accord de gouvernement envisage un système de « panier » fourre-tout, dans lequel on mettrait tous les congés : parental, pour soins palliatifs, pour aidants proches... Si les parents prennent un congé parental à 30 ans pour s’occuper de leur enfant, faute de place en crèche, ils risqueront de se retrouver sans congés restants à 60 ans pour aider leurs propres parents âgés ou si un membre de la famille tombe gravement malade.
La note De Wever annonce une réforme à budget constant, mais sans fixer de balises telles que le maintien du nombre de jours de congés familiaux ou de leur rémunération. Cela signifie donc que si certaines situations étaient améliorées, ce serait nécessairement au détriment d’autres. La Ligue des familles craint donc, pour certains parents, une réduction de la durée des congés familiaux ou de leur rémunération, qui mettent particulièrement en difficulté les personnes confrontées à plusieurs problèmes familiaux tout au long de leur carrière professionnelle : manque de places en crèche, difficultés de conciliation, nécessité de s’occuper d’un proche âgé, malade ou en situation de handicap... Les femmes, qui continuent à s’occuper davantage de leurs proches et recourent plus que les hommes à ces dispositifs aujourd’hui, risquent d’être à nouveau les premières touchées.

Une perte de revenus pour des parents qui travaillent

Enfin, d’autres mesures envisagées en matière de droit du travail mettraient à mal les budgets familiaux, directement ou indirectement, en réduisant les possibilités de travailler.
Les parents qui travaillent de nuit, avec toutes les difficultés d’organisation familiale que cela implique, ne seraient payés davantage qu’à partir de minuit, au lieu de 20h aujourd’hui.
La future majorité envisage aussi la suppression des heures de travail minimales : un employeur pourrait faire signer un contrat pour une seule heure par jour ou pour quelques heures fragmentées sur la journée. Ceci, en comptant le temps de trajet nécessaire, empêchera le parent concerné de compléter ailleurs son horaire de manière à travailler suffisamment et à faire vivre sa famille.
La Ligue des familles ne manquera pas d’analyser les autres aspects du prochain accord de gouvernement qui pourront avoir un impact sur les familles. Mais en ce qui concerne la conciliation entre travail et vie familiale en tout cas, non seulement aucune avancée n’est même esquissée, mais, on le voit, le recul risque d’être majeur pour de très nombreux ménages.

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Suppression de la pension de veuve : un appauvrissement des femmes sous couvert de modernisation

Outre les réformes envisagées en matière de droit du travail et de congés familiaux, une autre mesure sur la table du prochain gouvernement fédéral, passée inaperçue jusqu’à présent, inquiète la Ligue des familles : la suppression de la pension de veuve/veuf.
À partir de 50 ans, les personnes dont le conjoint ou la conjointe décède ont droit à une pension de survie si leurs revenus sont inférieurs à un certain plafond. Les négociateurs du gouvernement envisagent de supprimer ce dispositif jusqu’à l’âge de la pension. Il serait remplacé par une allocation de transition de maximum deux ans. 91% des personnes concernées sont des femmes.

  • Si une femme au foyer de 60 ans perd son conjoint, aujourd’hui, elle peut s’en sortir avec la pension de survie. Demain, elle recevrait l’allocation de transition jusqu’à ses 62 ans, puis serait sans ressource.
  • Si une femme de 55 ans, maman de deux enfants de 15 et 18 ans, arrêtait de travailler pendant un an pour s’occuper de son conjoint gravement malade, au décès de ce dernier, elle percevrait pendant deux ans l’allocation de transition. Retrouverait-elle du travail à 58 ans, après trois ans sans activité professionnelle ?

Retirer un revenu à des personnes de 50-60 ans ne va pas leur faire retrouver un emploi par miracle. De Wever appelle cette mesure « modernisation de la dimension de ménage ». Il est vrai qu’un mécanisme qui permet au conjoint ou à la conjointe survivant·e de bénéficier des droits à la pension constitués par son conjoint ou sa conjointe décédé·e paraît d’une autre époque. Mais il reste nécessaire dans une société où les femmes continuent à assumer la plus grande partie des tâches liées au ménage et aux enfants et n’ont ni les mêmes opportunités de carrière ni les mêmes droits à la pension que les hommes.
La Ligue des familles appelle à laisser le choix entre l’allocation de transition, limitée dans le temps, mais cumulable avec un revenu du travail, et la pension de survie.