Développement de l'enfant

Consentement : les frontières de l’intimité

Le film Le Consentement met en exergue la relation malaisante entre une jeune fille et un écrivain célèbre, de plus de trente ans son aîné. Pour comprendre ce qui s’y joue, nous l’avons soumis à trois psychologues spécialisées. Décryptage.

Lors de sa sortie en 2020, le récit autobiographique de Vanessa Springora a créé l’émoi : Le Consentement révélait sa relation sous emprise avec l’auteur de trente-six ans son aîné, Gabriel Matzneff. Aujourd’hui, l’adaptation de Vanessa Filho risque de créer une nouvelle onde de choc, tant il dévoile le jeu d’influence exercé par l’écrivain sur cette jeune fille de 13 ans.
« Le film est intéressant, car il réussit à mettre en images à quel point les dynamiques peuvent être complexes. Le processus d’attachement, en début de relation, est toutefois traité de façon trop hâtive, souligne Sandrine Belenger, psychologue pour le CPVS (Centre de prise en charge des violences sexuelles) à l’Hôpital Saint-Pierre à Bruxelles. La violence sexuelle est rapide à l’écran, alors que dans la réalité, ce processus psychologique est bien plus lent. »
Comme tout prédateur, Matzneff rend d’abord Vanessa « spéciale » : il lui écrit des lettres d’amour où il lui dit toute son admiration. « Il joue sur son désir d’exister, d’être unique. Dans l’enfance, c’est un besoin de survie d’exister à travers le regard des autres, ça nous rend extrêmement fragile face à ce genre de dynamique. Dans le film, on comprend que Vanessa n’a pas une sécurité de base solide : elle a une maman exigeante, un père absent, ce qui la rend d’autant plus dans le besoin envers d’autres. Son agresseur joue là-dessus : il installe une dépendance affective. Il prétend qu’il est raide dingue d’elle. Puis devient possessif et l’isole petit à petit, explique la psychologue. La manipulation émotionnelle et affective est très complexe, elle se fait de manière graduelle. La victime dépasse ses limites et finit par se demander comment elle a pu en arriver là. Car lorsqu’on est dans ce type de relation, on est ébloui·e ».

La culpabilité des victimes

Cet éblouissement rend difficile la reconnaissance des signaux d’alerte qui devraient faire fuir une relation malsaine. Car souvent le corps parle, il somatise via des souvenirs répétitifs, des angoisses, des raideurs musculaires, dans le cou ou au niveau génital, avec des lancements dans les parties intimes.
« Le film met bien en lumière l’emprise : la patiente est incapable de détecter les red flags qui apparaissent chez elle, affirme Amélie De Brabandere, psychologue au CPVS également. Elle est triste mais ne sait pas pourquoi ; elle se rend compte qu’elle est isolée ; elle a du vaginisme et ne parvient pas à avoir une relation avec lui alors qu’elle sait qu’il attend… Son corps et ses émotions lui disent des choses, mais elle est incapable de les classifier. »

« Il est important de remettre les choses à leur juste place : une victime n’est JAMAIS responsable de l’agression qu’elle a subie »
Sandrine Belenger

Psychologue pour le CPVS (Centre de prise en charge des violences sexuelles) - Hôpital Saint-Pierre Bruxelles

Souvent, la victime reste, ou retourne, dans cette dynamique malsaine tout en sentant qu’il y a quelque chose qui ne va pas. « C’est délicat de parler de red flags, car ils sont très culpabilisants pour les victimes de violences sexuelles. Trop souvent, elles se sentent coupables, rappelle Sandrine Belenger. Lors d’une agression sexuelle, l’agresseur se défait de toute responsabilité et justifie son comportement en culpabilisant la victime, ce qu’elle internalise et rend la guérison compliquée. Il est important de remettre les choses à leur juste place : une victime n’est JAMAIS responsable de l’agression qu’elle a subie. Il y un mécanisme très complexe à comprendre : le freezing, le fait de rester figé·e. ‘On n’a peut-être pas dit non, on n’a pas dit stop’, c’est là qu’on s’en veut. Pourtant il y a une explication physiologique et biologique : c’est une réponse automatique du corps face à la peur, au danger et à la terreur ».
Dans cette relation mise à l’écran, on remarque l’état de fragilité de Vanessa et l’ambivalence de la relation : elle est dans l’angoisse permanente de le perdre, car elle est persuadée de ne plus être capable de vivre sans lui. « Elle s’accroche à cet homme comme à une bouée en plein mer. Il n’y a plus que lui. La relation sexuelle apparaît comme une apothéose, le summum de leur intimité », raconte Amélie De Brabandere. C’est le pouvoir que Matzneff a réussi à installer sur elle : il lui a donné l’illusion qu’elle avait le contrôle. « Il lui répète ‘Si tu veux que j’arrête’, ‘C’est toi qui décide’, mais en réalité, il lui met une énorme pression et elle ne décide rien ». Le piège du prédateur s’est refermé.
Sandrine Belenger aime rappeler la métaphore de la grenouille pour évoquer la normalisation graduelle : « Si on met une grenouille dans l’eau bouillante, elle saute et s’en va. Mais si on augmente petit à petit la température de l’eau, la grenouille s’y habitue jusqu’à mourir », insiste la psychologue. Matzneff a commencé par des contacts tactiles, puis a glissé progressivement la frontière autorisée.
« Au départ, ce ne sont que des caresses, et ça lui sert : elles sont agréables. Il joue un rôle de contenant, de protecteur. C’est valorisant. Mais on remarque très bien quand il a enfreint la limite (ndlr : quand il la sodomise) : là, elle est en état de sidération. On voit qu’elle ne prend plus de plaisir. C’est là qu’il n'y a plus consentement ». Dans 91% des viols et tentatives de viol, les agresseurs sont connus. Heureusement, depuis le 1er juin 2022, la question du consentement a été inscrite dans le code pénal.

Protéger les mineurs

« Cette question de consentement est vraiment centrale, explique Isabelle Guébenne, psychologue au planning familial le Blé en Herbe à Namur. Dorénavant, pour consentir au niveau juridique, il faut un oui formulé de façon explicite. En matière de consentement, il faut distinguer la liberté de l’égalité. Qu’est-ce qu’une relation amoureuse égalitaire ? Il ne peut pas y avoir de liberté à consentir quand la personne est prise dans un rapport de pouvoir, par définition inégalitaire ».
En cela, le film est représentatif : Vanessa est clairement sous emprise. « Mais l’ambiguïté de la relation est bien démontrée : elle était ‘intéressée’ par cet homme, poursuit la psychologue. Dans les relations abusives d’adultes par rapport à un enfant, il y a souvent cette ambivalence du désir. Certains enfants peuvent être terriblement séducteurs : ils ont ce désir, très narcissisé, de plaire. Mais on en parle peu ».
Pourtant, le nier amplifie encore la culpabilité de la victime. Alors qu’en réalité, les pulsions sexuelles existent déjà chez les tout-petits. Mais le degré de maturité sexuelle diffère. « Sandor Ferenczi parlait à ce sujet de ‘la confusion des langues’ : l’enfant n’attend pas une relation génitalisée d’adulte, mais de la tendresse, de la reconnaissance. Vanessa voulait être sa muse, mais Mazneff impose sa sexualité d’adulte qui est une effraction sexuelle, affirme Isabelle Guébenne. La sexualité est présente depuis le plus jeune âge, et surtout à l’adolescence, l’âge de l’ébullition des pulsions et des émois sexuels. Mais le jeune n’est pas sur la même fréquence qu’un adulte. Il y a une dissymétrie dans les attentes ».
Cette ambivalence est travaillée dans l’accompagnement des victimes : « Les jeunes ont tendance à dissocier toutes ces parties en eux, remarque Sandrine Belenger, une partie croit ne plus pouvoir vivre sans cet homme, ‘c’est comme une drogue’, une autre se sent importante et indispensable dans la vie de l’autre, une autre encore se dit que quelque chose cloche… En thérapie, on aborde et on accueille toutes ces parties sans jugement, on les considère et on leur donne leur juste place. Le but en tant que thérapeute n’est pas de pousser la personne dans une direction, mais qu’elle en prenne conscience et puisse mettre des mots dessus ». Dans le cercle vicieux de la violence intrafamilial, il faut en moyenne six à sept fois avant que la personne ne sache réellement couper les ponts. Prendre conscience des dynamiques est un premier pas. 

Éducation au consentement

Selon une récente étude du CPVS de Bruxelles, parmi les victimes de violences sexuelles, 11% ont entre 0 et 12 ans, 12% ont de 13 à 17 ans. « Mais on sait qu’on est dans un ‘dark number’ : la plupart des jeunes concerné·es ont peur des représailles, souligne la psychologue. Il y a en réalité beaucoup plus de jeunes touchés qu’on ne le croit ».
Comment prévenir ces abus ? « Plutôt que de stigmatiser les potentiels agresseurs, il faut aborder la découverte des corps avec les enfants, affirme Amélie De Brabandere. Les aider à définir quand ils sont d’accord ou non. Ça peut être l’envie ou non de faire un câlin, voire de partager son goûter. C’est apprendre à poser ses limites. C’est parler de la sphère de l’intime autour du respect du corps de chacun : ‘Je n’ai pas envie que tu m’écrases en me sautant dessus’ ; ‘Je n’ai pas envie que tu viennes quand je suis à la toilette’. Ne cherchons pas d’emblée une victime et un agresseur. Il est plus utile de donner aux enfants des équipements pour reconnaître les red flags et les outils pour se mettre en sécurité que de leur dire ‘Attention, y’a des méchants’ ».
Même son de cloche du côté namurois : « On devrait aborder le respect des corps déjà en maternelle. Quand on oblige les enfants à donner des bisous, c’est tout un rapport au corps qu’on instaure en famille et au-delà. Comment on se débrouille plus tard si on n’a pas appris à poser des limites dans l’enfance ? ». Aider nos enfants à gérer les frontières de leurs corps, comme celui des autres, et à faire respecter leurs limites, dès le plus jeune âge, est essentiel et indispensable.

EN SAVOIR +

Le cadre légal

En Belgique, la majorité sexuelle est fixée à l’âge de 16 ans. « Cela signifie qu’avant cet âge, le jeune n’est pas en mesure de consentir de manière éclairée, insiste Isabelle Guébenne. Toutefois à partir de 14 ans révolus, le ou la mineure d’âge peut consentir librement si la différence d’âge avec l’autre n’est pas supérieure à trois ans. En revanche, si le ou la partenaire est plus âgé·e, il y a infraction. Tout rapport en-dessous de 14 ans est considéré comme viol. C’est le cadre légal pour protéger les jeunes adolescents des relations inégalitaires ». Rappelons que l’âge moyen du premier rapport sexuel reste stable depuis des années : il tourne autour des 17 ans.

POUR ALLER + LOIN

  •  Le Consentement de Vanessa Springora (Grasset)
  • Céder n’est pas consentir. Une approche clinique et politique du consentement de Clothilde Leguil (PUF)
  • La conversation des sexes. Philosophie du consentement de Manon Garcia (Flammarion)

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