Développement de l'enfant

« La force d’En Terre 1 connue, c’est de sortir les jeunes de l’institutionnel »

En terre 1 connue, c’est le nom d’un projet d’accueil innovant pour les jeunes en déroute. À la croisée des secteurs de l’aide à la jeunesse, du handicap et de la santé mentale, cet outil taillé sur mesure a pris ses quartiers en Brabant wallon. Cela fait trois mois que Maëlle y goûte. Aujourd’hui, c’est son dernier jour.

Un vendredi de juin, le séjour En terre 1 connue de Maëlle, 16 ans, touche à sa fin. Trois mois déjà que l’adolescente a posé bagages dans une des cinq tiny houses installées en contrebas de la ferme Bella Terra de Loupoigne, en terre brabançonne. Une halte dans un parcours de vie chahuté. Maëlle a décroché de l’école il y a deux ans.
Depuis, elle en a fait des chapelles : service de pédiatrie, hôpitaux psychiatriques, internat, retour au bercail, service résidentiel d’urgence, service résidentiel général... Une errance dictée par un mal-être que la jeune fille ne parvient plus à contenir. Avec En terre 1 connue, Maëlle goûte pour la première fois à un lieu hors des institutions niché en pleine nature.

Les pensées noires prennent le vert

Difficile pour Maëlle d’identifier la source de son mal-être. Elle parle du harcèlement scolaire qu’elle a vécu de sa 2e à sa 6e primaire. Elle raconte aussi des relations familiales compliquées. Les signes, eux, ne trompent pas. Troubles alimentaires, idées noires, scarifications, dépression, autant de témoins de son mal-être. Maëlle s’en veut de faire du mal à ses proches. « Je rumine, je me dis que tout est de ma faute, que je me fous dans la merde toute seule, que ce serait mieux si je n’étais pas là ».
Avec En Terre 1 connue, Maëlle prend du recul. Elle lâche le béton des institutions et la grisaille de l’hôpital pour gagner la campagne. Aux côtés des poules, des ânes et des chèvres, elle souffle. Au poulailler ou sous la serre, elle met les mains dans la terre et ses pensées noires prennent le vert. Les après-midis sont panachées d’ateliers divers. Sport, groupe de parole, art... De quoi bien remplir le programme de la semaine.
Comme Maëlle, 33 jeunes ont déjà bénéficié de cet outil de répit. Sa spécificité ? Se situer au croisement de trois secteurs : l’aide à la jeunesse, le handicap et la santé mentale. Pour gagner la Terre 1 connue, il faut dépendre d’au moins deux des trois secteurs. Autre condition d’admission, être en lien avec la province du Brabant wallon, car c’est sur ce territoire que l’équipe a tissé son réseau. Impossible d’envisager des prises en charge de jeunes venant d’autres provinces qui demanderaient des déplacements trop importants pour le suivi médical ou la mise en projet du jeune. Les candidatꞏes doivent aussi être déscolariséꞏes pendant au moins un mois, ce qui permet de s’inscrire pleinement dans le programme d’activités proposé. Dernier critère, les jeunes doivent disposer d’un lieu de vie pour le week-end, le lieu d’accueil fermant ses portes le week-end.

« En institution, on compte parfois un éduc pour quinze enfants. Ici, on est deux éducs pour cinq jeunes, ça nous permet d’offrir un accompagnement beaucoup plus individualisé » Maxime, coordinateur d’En Terre 1 connue

Cela fait bientôt trois ans que ce dispositif innovant existe. Une première en Belgique. Parmi les encadrants, Thomas est là depuis le début. Laurent et Maxime ont rejoint l’aventure cette année. « Il faut rester humble, entame Thomas, éducateur. Les autres institutions par lesquelles sont passés les jeunes comme Maëlle ont déjà amorcé un travail, nous sommes une transition dans leur parcours. La force d’En Terre 1 connue, c’est de sortir les jeunes de l’institutionnel. Ici, on coupe avec la logique des horaires, de l’école, des sanctions. Notre lieu propose autre chose ».
Maxime, coordinateur, enchaîne. « Notre force, c’est l’encadrement. En institution, on compte parfois un éduc pour quinze enfants. Ici, on est deux éducs pour cinq jeunes, ça nous permet d’offrir un accompagnement beaucoup plus individualisé, de prendre le temps de discuter et de réfléchir au projet du jeune ». Laurent apprécie aussi le réseautage au cœur du projet. « Au-delà de notre équipe, il y a aussi les ambassadeurs et experts qui sont des intervenants de terrain, c’est hyper riche de pouvoir compter sur leur recul et leur expérience ».
Revers de la médaille, le fait de travailler en équipe réduite avec un nombre limité de bénéficiaires explique aussi les refus ou délais, parfois longs de plusieurs mois, quand une demande arrive.

« Se mettre des projets, ça aide à s’en sortir »

Maëlle a décidé de ne pas jouer les prolongations. Elle s’en tiendra à un séjour de trois mois. L’adolescente a repris du poil de la bête avec En Terre 1 connue. Ce moment de répit lui a permis de prendre conscience de son goût pour le sport et le mouvement. Aller promener le chien, monter à cheval, faire un tour à vélo, elle sait désormais que bouger lui fait du bien et peut s’avérer une ressource.
Aux côtés des éducateurs et de Sophie, la psychologue, Maëlle a aussi compris qu’elle accordait trop rapidement sa confiance. « Je sais maintenant qu’une confiance, ça se gagne pour ne pas retomber dans le piège des mauvaises fréquentations. Ici, j’ai aussi appris à accepter l’aide qu’on me proposait alors qu’avant, je voulais tout gérer toute seule. J’aime bien la phrase ‘Seul, on va plus vite ; ensemble, on va plus loin’ ».
Un exemple ? Voyant que les relations avec sa maman devenaient de plus en plus tendues, Maëlle demande à Sophie, la psy, de faire médiation. « J’ai proposé de partir d’un jeu de cartes sur les besoins pour qu’elles verbalisent ceux qui étaient assouvis et ceux qui étaient en souffrance ». Sophie est aussi intervenue à la demande de la maman pour écouter la petite sœur qui avait aussi des difficultés par rapport au comportement de Maëlle. « Mon travail, c’est surtout d’être traductrice », résume Sophie avec humour. Pour le soutien psychologique aussi, le travail s’opère sur le terrain en fonction des demandes des jeunes. En récoltant les œufs, en arrachant les mauvaises herbes, ils se livrent.
Au fil des jours, Maëlle se sent plus légère, comme si ses problèmes avaient moins prise sur elle. L’adolescente va mieux. Elle se remet en projet. « Avant, je ne voyais pas de sens à m’investir dans un projet puisque je voulais en finir. L’envie est revenue. Se mettre des projets, ça aide à s’en sortir ».
Au pied de son lit, le manuel Feu vert atteste de ses dires. Bientôt, Maëlle passera son permis théorique moto. L’adolescente nourrit aussi un projet de mise en autonomie pour apprendre à vivre seule qu’elle entamera fin juillet. Dans l’immédiat, elle est déjà dans les starting-blocks pour prendre part au projet Sac ados de l’AMO Carrefour J. Pendant deux semaines, aux côtés d’autres jeunes en décrochage, Maëlle apprendra à mieux se connaître et à reprendre confiance en elle. Avec en ligne de mire, un retour à l’école en septembre. Elle a opté pour une formation en soins animaliers. Un ou deux jours par semaine elle sera à l’école, mais, pour le reste, elle regoûtera au travail dans la nature aux côtés des animaux. Une mise en projet concrète au terme des trois mois de répit.

EN SAVOIR +

En terre 1 connue, mode d’emploi

En terre 1 connue accueille des jeunes de 12 à 23 ans pour une durée de trois à six mois du lundi au vendredi. L’équipe est composée de quatre éducateurs et d’une psychologue, elle peut accompagner maximum cinq jeunes simultanément. Les demandes de prise en charge peuvent venir des institutions, des services d’aide à la jeunesse ou des parents.
À quel coût ? Si la demande émane d’une institution, cela revient à 15€ par jour, c’est-à-dire le montant reçu par l’institution pour le jeune. Si elle vient des parents, c’est 10€/jour.

En savoir + sur En terre 1 connue

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