Crèche et école

Contrôle C, contrôle V ou pomme C, pomme V, soit la gymnastique préférée de nos petits écoliers. Un exposé, une recherche, une dissert’… En un clic, les devoirs sont achevés, pliés, on peut passer à autre chose. S’agit-il d’un effondrement intellectuel ? D’un signe de fin des temps ? Ou a contrario, derrière le fléau, se cache-t-il un véritable potentiel pédagogique ? Des parents, des profs et Christophe Butstraen, auteur et médiateur scolaire, nous copient-collent leur version des faits.
Aux quelques lecteurs du XXe siècle ancrés dans un passé proche, petite leçon de rattrapage : un « copier-coller », kèsaco ? Le terme désigne l’action virtuelle de taper un bout de texte, de le sélectionner, de le copier et de le coller sur la copie que l’on va lire ou rendre à son professeur.
Une dissertation sur l’amour que portait Baudelaire au peuple belge, une narration sur la reproduction des lapins à Viroinval ? Pas de souci. On tape à peine astucieusement les mots clés dans le moteur de recherche. En moins de clics qu’il en faut pour le dire, l’exposé/rédaction/devoir/recherche est fait. L’élève peut vaquer peinard à ses occupations. Le parent peu attentif n’y voit que du feu.
Mais quoi ? Tous les petits sont donc contaminés ? Géraud, enseignant dans le secondaire, tente vainement de nuancer : « Allez, j’enseigne depuis un peu plus de dix ans. Disons qu’une fois l’an, un confrère évoque un élève qui a fait une fois des recherches exclusivement à la bibliothèque. Pas plus. Pour le reste, pour n’importe quel sujet, c’est du condensé de Google et compagnie. D’ailleurs, il se passe quelque chose d’intéressant : il y a une dizaine d’années, les élèves tentaient de camoufler leur acte. Aujourd’hui, ils n’en n’ont plus rien à caler. Ils copient-collent de façon flagrante ».
99,9 % de petits copieurs-colleurs
Allons donc à la rencontre de parents pour voir où ils se situent par rapport à ce mal mésestimé. Que leurs petits s’adonnent à de telles pratiques, qu’en pensent-ils ? Thierry, papa de deux garçons de 9 et 11 ans, s’emporte : « Je trouve presque ça absurde qu’on en soit encore à débattre autour de ce sujet. Comment peut-on aujourd’hui, en 2017, reprocher aux mômes de copier-coller leurs devoirs sur internet ? Il s’agit d’un espace de données infini. Le plus souvent gratuit, qui leur propose des milliards de résumés, de corrigés, d’informations, de pratiques en tout genre. On ne peut décemment pas leur dire de regarder ailleurs. Ils sont nés avec. Ce serait faire fi aussi d’un potentiel ultra-moderne et hyper-connecté ».
En revanche, aux parents de les guider pour ne pas piocher et recracher bêtement les informations. C’est justement ce que nous dit Tatiana, maman d’accueil d’une fille de 10 ans, qui nuance les propos de Thierry. « Je m’adresse à vous tant avec ma casquette de prof que celle de maman. Je suis d’accord avec Thierry sur le fait qu’essayer de contenir le copier-coller, c’est un combat d’un autre temps. Mais il faut être conscient des failles que cela comporte. Ce flot inépuisable de contenu que les gamins vont piocher a quelque chose de biaisé : il donne aux enfants l'illusion de compétences qu’ils ne possèdent pas. Qui n’a jamais vu des gamins (et pas que…) participer à un débat et brandir leurs smartphones pour recracher du contenu comme s’ils en étaient les auteurs. En classe, c’est le même problème. Il leur arrive de lire des choses qu’ils ne comprennent pas et que l’on a à peine le droit de réinterroger, vu que ça vient du précieux internet… C’est ça qui m’ennuie le plus ».
« Il faudrait dire aux gamins : ‘Vous prenez du contenu, on le sait, mais il y a des règles. Comprenez d’où vient votre texte’ »
On le voit bien, impossible d’évoquer le phénomène du plagiat sans évoquer le rapport des gamins au web. Il est alors grand temps de frapper à la porte de notre spécialiste, Christophe Butstraen, auteur de Internet, mes parents, mes profs et moi - Apprendre à surfer responsable, aux éditions De Boeck (voir encadré). Copier-coller et virtuel, destins croisés ? Sans hésiter, il répond : « Oui, c’est une évidence absolue. Mais il ne faut pas perdre de vue que le principe a toujours existé. Je me rappelle quand, gamin, j’allais dans une pharmacie pour un exposé sur les champignons et que je recopiais les documents affichés au mur. Je faisais ni plus ni moins du copier-coller. À la différence qu’à ma lointaine époque, il fallait tout lire, faire gaffe à l’écriture, à ce que l’on ramenait comme infos, etc. Aujourd’hui, non. Les gamins sont persuadés que tant que c’est du contenu internet, c’est du bon. Impossible donc de développer le moindre esprit critique, ça va vite. C’est d’ailleurs le premier argument : la rapidité. Avec le web, on est devenu une société où tout doit aller vite. Pour reprendre mon exemple de champignons, je mettais mon manteau, je bravais le froid, je me déplaçais… c’était toute une aventure. Et puis, il y a un bouleversement, peu évoqué à mon sens, c’est aussi celui de toute une société qui copie-colle. Des écrivains qui pompent des bouquins, des journalistes qui reprennent des communiqués à la ligne près, etc. Autant d’exemples qui, insidieusement, disent à nos gamins : ‘Allez-y, plagiez, vous ne serez pas punis’ ». Une sorte de copié-collé généralisé à toute une société, en somme. À propos, les enfants en retirent-ils quelque chose ?
Le copier-coller et ses vertus ?
On pose la question à Thierry qui y voit un phénomène à réenchanter : « Bon, le terme n’aide pas, d’abord. ‘Copier’. Hop, je vole. ‘Coller’. Hop, je m’approprie. On pourrait peut-être voir les choses autrement. Je ne sais pas, moi. On pourrait l’envisager comme une sorte de média. Du coup, pourquoi ne pas y ajouter des valeurs de l’ordre de la transmission ? ».
Pour Tatiana, le raisonnement n’est pas éloigné de celui de Thierry : « On peut se poser légitimement la question : pourquoi l’école continue de se perdre en dissertations, en exposés ou autre auprès des petits si elle sait qu’au final, tout son petit monde va se ruer sur son moteur de recherche préféré ? Peut-être parce que les enseignants - et j’en suis - ont conscience de la vertu pédagogique que cache cette pratique. Mais il faut la cadrer ».
Partir d’un acte répréhensible pour s’en servir comme outil d’apprentissage. Ce serait trop beau. Mais comment ? On retrouve Géraud, enseignant, qui réfléchit à voix haute : « Je crois que l’école n’encourage pas assez les profs à partir du plagiat comme potentiel. Il y a tout un tas de petits enseignements que l’on pourrait apprendre dès le secondaire, inspirés de cette pratique. D’abord expliquer pourquoi on ne peut pas tout recopier bêtement. Et puis apprendre aux élèves à paraphraser, à s’approprier, à digérer et à reformuler une idée avec son propre langage. Ça passe par des petits trucs idiots, comme insérer une citation, utiliser des guillemets, endiguer la longueur de l’extrait et même évoquer le principe de références bibliographiques… pas mal ! ».
Loin de nous l’idée de faire l’éloge du plagiat, mais voyons ce qu’en pense notre expert, Christophe Butstraen : « Je suis entièrement d’accord avec ce qui est dit plus haut. On ne peut pas le contourner. Dès lors que faire ? Expliquer qu’il y a des règles. J’étais prof de sciences il y a une petite dizaine d’années. J’ai demandé à mes élèves de faire un exposé sur les grenouilles. Et, bien sûr, toute la classe me fait un copier-coller de la même page. Par manque de maîtrise bibliographique. Il faudrait dire aux gamins : ‘Vous prenez du contenu, on le sait, mais il y a des règles. Comprenez d’où vient votre texte’. Comment ? Plutôt que de demander un bête exposé, je devrais demander à chacun de me ramener trois textes sur les grenouilles. Un sur la respiration, l’autre sur la reproduction et un sur l’écosystème, par exemple. On arrive en classe, on lit les informations, on les confronte. Ainsi, on utilise ce qu’ils maîtrisent. On développe l’esprit critique et, ainsi, on arrive petit à petit à hiérarchiser l’information. Cela pourrait servir d’éducation aux médias : toujours citer les sources et voir d’où elles proviennent ».
Les parents ont-ils un rôle à jouer là-dedans ? Les points de vue sont partagés. On redonne la parole à Christophe Butstraen pour qui la question est plus large : « Qu’on contrôle la navigation de son enfant sur le web, oui. Mais pour la question du copier-coller, à qui on s’adresse ? Aux parents soucieux ? Pas de problème, ils n’auront pas attendu cet article pour vérifier d’où les enfants prennent leurs sources. Et les autres ? Ceux qui manquent de temps ? Mon avis est que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, avec le web, il y a un accès à la connaissance identique pour tout le monde. Alors, faisons en sorte que l’école mette tous les élèves sur un même pied d’égalité. Car cette histoire de plagiat, c’est avant tout une problématique sociétale. C’est à l’enseignant, à l’école, de s’accaparer ce sujet. Les familles sont trop disparates pour qu’on les laisse se débrouiller avec. Le seul rôle du parent est d’appliquer cet aspect égalitaire ».
Propos partagés par les enseignants, mais qui ne sont pas du goût de Thierry : « Je suis au contraire persuadé que c’est aux parents d’orienter les recherches de l’enfant. Pour la simple raison qu’elles ont lieu à la maison, le plus souvent. Si mon fils aîné travaille sur la Deuxième Guerre mondiale et qu’il plagie du contenu de négationnistes, se disant qu’il s’agit d’une version avérée des faits, c’est de mon ressort d’en parler avec lui. Je ne peux pas le laisser partir avec à l’école… Bon, je prends un cas extrême, mais au final, le travers de tout prendre pour argent comptant, c’est ça ».
Au final, la question du copier-coller soulève un tas de questions. Les pratiques d'évaluation, le fonctionnement du modèle scolaire, la nature même de l’exposé ou des recherches. Alors que l’on pensait partir d’un simple sujet anodin, on constate une fois de plus combien le potentiel web invite l’école, les parents et même les élèves à remettre en question les coutumes scolaires.
À dire à vos enfants
On insiste : hors de question de faire l’éloge du copier-coller. Nous décrivons juste un phénomène que l’on peut exploiter - en tant que parent ou prof - en potentiel pédagogique. Si les professeurs et experts dans l’article se montrent compréhensifs, tous ne le seront pas durant le parcours scolaire de votre enfant. Et certains professeurs peuvent se montrer moins souple et sanctionner votre petit « copieur-colleur ». À garder en tête pour le moment… et aussi pour ses années en supérieur !
À lire
Nous nous référons souvent au livre de Christophe Butstraen Internet, mes parents, mes profs et moi - Apprendre à surfer responsable, aux éditions De Boeck. Il s’agit d’une ouvrage de référence, très complet sur la problématique des enfants et du numérique. Elle va bientôt connaître sa troisième version agrémentée et mise à jour.