Développement de l'enfant

Un·e élève sur trois est victime de harcèlement. C’est la conclusion d’une étude réalisée par l’UCLouvain en 2014. La plupart de ces actes malveillants ont lieu dans les cours de récréation. Certains parents s’inquiètent donc de l’encadrement mis en place pour les temps de midi dans les écoles primaires. Celui-ci ne semble pas toujours adapté pour lutter contre les violences scolaires.
« La cour de récréation est un haut-lieu de la violence scolaire visible et invisible, un véritable terrain d’expression des rapports de domination entre élèves ». C’est l’un des constats établis depuis plusieurs années par Bruno Humbeeck, psychopédagogue et auteur de nombreuses publications dans le domaine de la prévention des violences scolaires. Depuis cette prise de conscience, de plus en plus d’écoles primaires et secondaires aménagent leur cour de récréation, en zones de jeu notamment, de sorte que celle-ci devienne un espace où il fait bon vivre.
Une question reste néanmoins en suspens pour les parents : celle de l’encadrement du temps de midi dans les écoles primaires. Isabelle a deux enfants de 5 et 8 ans dans une école primaire de Namur. Elle est interpellée par les surveillant·e·s de la cour : « Ce personnel encadrant est souvent différent d’une journée à l’autre. Et puis, il n’a pas de formation. Donc, dès qu’il y a des accidents, des petits ennuis ou même du harcèlement, il ne sait pas toujours comment réagir. Certain·e·s crient. D’autres parlent très peu le français… comment régler un conflit entre deux enfants sans parler leur langue ? Cela me pose question ! ».
Marianne est la maman de deux enfants de 5 et 7 ans, qui vont dans une autre école namuroise. Elle explique : « Mon fils est déjà revenu de l’école avec des coups et des morsures, je demandais aux instituteurs ce qu’il s’était passé et ces derniers me répondaient : ‘Ah, mais, à midi, ce sont les ALE, donc on ne sait pas, cela ne nous regarde pas’. C’est interpellant ! ».
Des écoles en manque de moyens
De manière générale, les écoles primaires font appel au personnel des agences locales pour l’emploi (ALE) pour surveiller les temps de midi, car elles n’ont pas les moyens d’engager des employé·e·s formé·e·s. « Historiquement, il y a trente ou quarante ans, les enfants avaient pour habitude de rentrer chez eux à midi. Les écoles primaires n’avaient donc pas besoin d’engager du personnel spécifique », explique Bernard Hubien, secrétaire général de l’Ufapec (Union francophone des associations de parents de l'enseignement catholique).
Mais, aujourd’hui, les choses ont bien changé. La grande majorité des enfants reste toute la journée et les écoles n’ont pas plus de fonds pour les encadrer. Elles se tournent donc vers les solutions les moins chères : engager du personnel inscrit dans les ALE. Ce sont des demandeurs et demandeuses d’emploi qui, muni·e·s d’un certificat de bonne vie et mœurs, sont prêt·e·s à accepter des contrats précaires qui les rémunèrent par un chèque à l’heure. Ces personnes ne s’engagent donc pas sur la durée vis-à-vis de l’école. Elles peuvent partir à tout moment, d’où une rotation importante qui peut poser problème pour la surveillance des cours de récréation. Certaines d’entre elles sont motivées et de bonne volonté, d’autres ont plus de difficulté et ne renouvellent pas leur contrat.
Madame Paul est directrice à l’école communale du Moulin à Vent, à Bouge. Elle explique : « J’ai la chance, moi, d’avoir une équipe ALE qui reste sensiblement la même depuis plusieurs années. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Et quand ces personnes trouvent du travail, elles partent du jour au lendemain. C’est ensuite la croix et la bannière pour en retrouver ».
« Je t’emmerde, tu n’es pas enseignante »
Au-delà de l’instabilité de leur contrat, ces personnes ne sont pas non plus formées. La garde d’enfants peut donc parfois se révéler compliquée. D’une part, parce qu’elles n’ont pas les outils pour communiquer efficacement avec les enfants et gérer leurs conflits. D’autre part, parce qu’elles manquent parfois elles-mêmes d’autorité. Bruno Humbeeck relate le témoignage d’une accueillante ALE insultée par un enfant : « Cet enfant courait dans une zone non autorisée de la cour de récréation, l’accueillante a donc dû lui faire une remarque. L’enfant lui a rétorqué ‘Toi, je t’emmerde, je ne dois pas t’obéir, tu n’es pas une enseignante, tu fais partie du CPAS’. Un épisode qui n’est absolument pas normal et qui doit impérativement être traité par la direction de l’école ».
La problématique de la gestion et du respect des ALE dans les cours de récréation des écoles primaires est donc bien présente. Face à ces difficultés, des écoles tentent de trouver des solutions « bricolage ». L’une d’entre elles consiste à désigner des « stewards » parmi des enfants de 6e primaire. L’école les munit d’un gilet et leur demande d’observer si les autres élèves respectent les règles de la cour de récréation. Si ce n’est pas le cas, a priori, ces enfants ne peuvent pas gronder les autres, mais doivent en faire état auprès des enseignant·e·s.
Cette solution est marginale et très peu exercée. Néanmoins, elle existe et « fait partie des ‘bricolages’ que j’ai tendance à dénoncer. Tout ce qui est bricolage introduit chez l’enfant de la désespérance. Il faut des dispositifs consistants pour améliorer l’ambiance dans les cours de récréation », précise Bruno Humbeeck.
Impliquer les ALE dans les projets éducatifs
Patricia Grandchamps est échevine en charge de l’éducation à la ville de Namur. Selon elle, la difficulté vient surtout du fait qu’il n’y a pas de continuité professionnelle du métier. « Les ALE, par définition, bougent tout le temps puisqu’ils sont en recherche d’emploi. Nous aimerions faire en sorte, dans les écoles de la ville de Namur, que ces personnes soient accompagnées, soutenues par une autre personne formée, qui a un contrat stable et qui serait la colonne vertébrale de l’extrascolaire. Si beaucoup des ALE sont formidables et font du mieux qu’ils peuvent, il faut un référent, une personne qui a un pied dans l’école toute la journée et qui est là jusqu’à la fin ».
Pour ce faire, compte-tenu du fait que la Fédération Wallonie-Bruxelles ne subsidie pas (encore) suffisamment les écoles primaires pour encadrer les temps de midi, les pouvoirs organisateurs doivent trouver les fonds nécessaires par eux-mêmes. Ce qui n’est pas toujours évident et varie énormément d’une école à l’autre, et d’un réseau à l’autre.
À ce propos, Bruno Humbeeck propose deux recommandations beaucoup moins coûteuses pour les écoles : « La problématique des ALE n’est pas tant que ces personnes ne sont pas formées. C’est davantage qu’elles ne sont pas intégrées dans les équipes éducatives de manière complète. Les écoles se doivent de les tenir au courant des projets d’organisation des cours de récréation comme si elles faisaient partie intégrante de l’équipe éducative. Ces ALE doivent connaître le dispositif mis en place. Je vous donne l’exemple des espaces de paroles : il s’agit d’espaces qui permettent la discussion entre élèves qui se chamaillent. Ces ALE doivent être au courant de leur existence pour pouvoir orienter les élèves s’ils en ont besoin. Deuxièmement, ces accueillantes doivent également être protégées par la structure. On dénonce le fait que ces surveillant·e·s n’ont pas d’autorité, mais c’est aussi parce qu’ils et elles ne sont pas investi·e·s d’autorité. Dans le cas de l’exemple que je vous ai donné de l’enfant qui insulte l’ALE, un conseil d’éducation disciplinaire a été mis en place, une sanction a été donnée à l’enfant et les parents ont été prévenus. Si l’enfant venait à recommencer, la sanction serait encore bien plus importante. En Fédération Wallonie-Bruxelles, il y a de plus en plus d’écoles équipées contre le harcèlement scolaire, comme les cours de récréation régulées en zones. Le chaînon manquant, c’est d’impliquer les accueillantes dans le projet ».
Alix Dehin
En pratique
Une solution contre le harcèlement scolaire : les enfants parrains
Dans une école primaire de Nivelles, madame Françoise, en seignante en 3e maternelle, a mis en place le projet d’enfants « parrains », qui améliore aussi l’ambiance dans les cours de récré.
« Quand les enfants quittent la maternelle, ils arrivent en primaire et sont souvent perdus. Ceux qui ont des grands frères et sœurs sont pris en charge, mais pas les autres. Nous avons donc mis en place les ‘parrains’ pour protéger les petit·e·s. Concrètement, en fin d’année, chaque enfant de 5e devient parrain/marraine d’un enfant de futur 1re année. Pour les grand·e·s, devenir parrains et marraines, ça a du sens. Ils aiment ce rôle. Cette année, avec le Covid-19, les grand.e.s de 5e ont envoyé leurs photos aux petit·e·s pour leur montrer qu’ils seraient leurs parrains/marraines. Cette année, ces grand·e·s avaient un cadeau pour les petit·e·s de 1re le jour de la rentrée. Ainsi, grâce à cela, les petit·e·s ont quelqu’un vers qui se tourner en cas de violence ou de problème comme perdre sa gourde, son manteau, etc. »