Actu Parents

La semaine dernière, la chambre du conseil de Bruxelles a décidé de prolonger d’un mois la détention des deux personnes soupçonnées de faits de pédocriminalité dans la crèche de l’ULB. Il s’agit d’une ancienne puéricultrice du lieu d’accueil et de son ex-compagnon. Les faits remonteraient à 2020-2022, mais l’enquête n’a débuté que l’année dernière. En 2024, le parquet de Bruxelles a en effet été alerté de la diffusion de messages sur les réseaux sociaux évoquant des faits de mœurs survenus dans cette crèche. Le dossier a été mis à l’instruction à la mi-janvier. D’où des perquisitions menées chez le suspect et la suspecte, tous deux désormais derrière les verrous.
Au niveau de l’enquête, les parents d'au moins cinq bambins ont déjà été reçus par le parquet. Il est question d’atteintes à l’intégrité sexuelle de leurs enfants.
À ce stade, on ignore si d’autres familles sont concernées. Mais toutes celles qui pourraient l’être ont été contactées par l’Université libre de Bruxelles.
Au Ligueur, on a voulu savoir ce qui avait été mis en place pour concrètement accompagner ces parents. De l’information au suivi à plus long terme.
PREMIÈRE LIGNE
Communication et prise en charge
L’affaire a été médiatisée le mercredi 26 février. Dans les heures qui suivent, une ligne d’écoute est mise en place. Un centre d’accueil est ouvert dès le lendemain. Arnaud Destrebeckz est vice-recteur aux affaires étudiantes. Il est psychologue de formation. Un profil tout indiqué pour faire partie de la cellule qui a pris la situation de crise en charge. « L’accompagnement des parents de la crèche a évidemment été tout de suite la priorité de l’équipe ».
Dans un premier temps, un message a été envoyé aux familles. « Nous avons dirigé notre communication vers les parents ayant un enfant qui se trouvait à la crèche à cette période-là. » Le fait que les actes se soient déroulés entre 2020 et 2022 a complexifié la tâche. Des adresses communiquées à l’époque n’étaient plus valides. D’autres ont exigé recherches et recoupements. « Certains de ces parents ne travaillent plus à l'université aujourd'hui. Ce sont pour l'immense majorité des gens qui occupent une fonction à l'université. Mais certaines de ses fonctions sont temporaires (thèse de doctorat, post-doctorat). Dans des cas plus rares, cela peut aussi concerner des étudiants. Au total, nous avons contacté, je dirais, une centaine de personnes ».
Préoccupation principale, que cette réception de l’information, du côté des parents, s’accompagne tout de suite d’un soutien de l’institution. « C’est la raison de la mise en place de la ligne ouverte qui permet de recevoir des informations plus spécifiques concernant les dispositions qui ont été décidées par l'université. Les dispositions prises couvrent également l’accompagnement psychologique d'une part, mais aussi juridique puisque les parents se posent des questions et sont susceptibles d'avoir besoin d'aide dans ces deux domaines. »
« C'est évidemment une prise en charge individuelle, particulière et spécifique. Il n’y a pas de mode d'emploi qui puisse s'appliquer de manière identique à chaque situation »
Pour la cellule de crise, autre priorité, que la communication de l’info soit déjà une forme de prise en charge. « C'est une information qui s'accompagne de stupeur, de douleur, de tristesse et d'anxiété. Il s’agissait de transmettre les informations en notre possession tout en prenant en considération la diversité des sentiments qui traversent les parents dans une épreuve pareille ». La médiatisation des faits vient compliquer la tâche. Les parents sont à l’affût. La moindre info peut entraîner des craintes, de l’angoisse. « Tout cela peut susciter une inquiétude particulière de la part de parents dont la première préoccupation, c'est souvent de savoir si leur enfant se trouve parmi les victimes ». Cette délicate mission d’information va se poursuivre en fonction notamment de ce que révélera l’enquête au fur et à mesure.
Sur le contenu des appels, Arnaud Destrebeckz n’en dira pas plus. La confidentialité est évidemment de mise. Mais, en tant que psychologue, il souligne que « face à une situation aussi scandaleuse, chaque famille réagit à sa façon. Ma préoccupation, c'est que l'université puisse apporter à tous ces parents l'aide dont ils ont besoin pour le moment. C'est évidemment une prise en charge individuelle, particulière et spécifique. Il n’y a pas de mode d'emploi qui puisse s'appliquer de manière identique à chaque situation ».
Dans l’accompagnement psychologique des parents, le vice-recteur aux affaires étudiantes évoque la possibilité, pour les parents, de recourir également aux équipes de SOS Enfants spécialement formées pour ce type d’intervention. Ce sont les familles qui décident ou pas de rentrer en contact avec elles.

INTERVIEW
SOS enfants au service des parents
Au bout du téléphone, Sophie Gouder de Beauregard et Melissa Hermand. Toutes deux sont psychologues cliniciennes et font partie de l’équipe SOS Enfant ULB CHU Saint- Pierre. Elles évoquent leur place dans le dispositif.
« Dans ce cas précis, nous ne sommes pas directement en première ligne. C’est un peu inhabituel pour nous en tant qu’équipe SOS Enfants. En effet, dans ce cas précis, une cellule d’urgence a été créée au niveau de l'ULB. Là, il y a un accueil des parents et une réorientation. C’est là que nous sommes cités comme personnel de référence. Dans le cheminement, comme pour toute personne qui souhaite contacter les équipes SOS enfants, ça débute par un entretien via une permanence téléphonique accessible l’après-midi.
Un binôme d’intervenants prend en considération la demande des parents pour voir si ça rentre bien dans le cadre du travail de notre équipe. Dans un second temps, un entretien en face-à-face va être fixé. Ici, vu l’âge des enfants, étant donné que ce sont des faits qui se sont déroulés il y a quelques années, il y aura une proposition de rencontrer les parents seuls. L’entretien se déroule dans les locaux de l’équipes SOS enfants au CHU Saint-Pierre. Il existe trois équipes SOS enfants à Bruxelles. Les parents ont le choix de faire appel à l’une de ces équipes en fonction de l’endroit où ils résident et de leurs besoins. »
Quelle est la priorité dans ces premiers contacts avec les parents ?
« L’important, c'est d'avoir un lieu où les parents peuvent déposer leur état émotionnel, leurs inquiétudes, leurs angoisses. Les sentiments sont nombreux. Il y a le doute. On ne sait pas ce qui s’est réellement passé. Il y a tout un imaginaire qui peut s’enclencher, provoquer des réflexions en sens divers. Il peut y avoir de la culpabilité chez des parents qui se reprochent de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su protéger. Il y a beaucoup de colère. Il est primordial de pouvoir partager toutes ces inquiétudes, toutes ces angoisses très personnelles auprès d’intervenants aguerris.
« C’est là, où ça va être très compliqué, gérer cette distance entre les faits et leur révélation. L’enjeu de notre travail sera d’identifier les éléments sur lesquels les inquiétudes des parents se basent »
Dans un deuxième temps vont arriver toutes les questions par rapport aux enfants. 'Est-ce que le mien a été abusé ? Pourquoi lui ?'. Il y a un sentiment d’injustice qui s’impose. Après, ça sera l’étape du 'Qu'est-ce qu'on fait ? Comment prendre en charge ?'. Tout cela se déroule au fur et à mesure. Il faut pouvoir temporiser les choses, évoquer les points d’attention à avoir par rapport à un enfant qui aurait potentiellement été victime. Certains parents ne voudront pas aborder ce sujet au premier entretien. Il faut respecter la temporalité de chacun et c’est la raison pour laquelle l’accompagnement doit se penser dans le temps afin de créer un processus de prise en charge. Ces parents sont dans un état de torpeur, de sidération, de colère qui s'apparente très fort au trauma. L'urgence, ici, c'est de pouvoir offrir un espace de parole. Plutôt que de vouloir rencontrer les enfants tout de suite, l’urgence réside dans le fait de s'appuyer sur les parents, sur leurs observations. »
Qu’est-ce qui peut servir d’indicateurs aux parents pour les sortir de l’incertitude ? Comment peut-on les aider à prendre ce recul, à identifier ce qui pourrait apparaître comme un vrai symptôme ?
« On invite les parents, sans être dans l’excès, à être attentifs aux changements de comportement chez leurs enfants. Malheureusement, surtout chez les tout-petits, il n’y a pas de grille d'évaluation normée qui permette d’infirmer ou de confirmer la matérialité des faits de nature sexuelle (attouchement, abus…). Cependant, l’évaluation va prendre en considération l’apparition de différents troubles : d’une part, les troubles spécifiques tels que les traces physiques, d’autre part, les troubles non spécifiques et évocateurs (qui doivent être répétés, fréquents). Les parents doivent à être attentifs au changement de comportement de leur enfant, tels que : apparition de trouble du sommeil ou de l'alimentation ; régression dans les apprentissages, notamment celui de la propreté ; modification du comportement au moment du change du bébé (pleurs, agitation, peur…) ; apparition de moments de colères inhabituelles et inexpliquées, des moment plus fréquents de retrait et de repli de l’enfant ; apparition de comportements sexualisés inhabituels... Ces troubles témoignent d’un mal-être du bébé ou du jeune enfant et peuvent se manifester dans toutes les sphères de son développement. En cela, nous invitons les parents à être attentifs sans être dans une focalisation excessive. Certains parents très angoissés pourraient avoir tendance à surinterpréter chaque symptôme. D’où l’importance d’un encadrement professionnel pour que les inquiétudes soient déposées sans que ça s'emballe. »
Ici, la difficulté c’est qu’on parle aussi de faits qui se sont déroulés entre 2020 et 2022…
« Effectivement. Ces enfants ont continué à grandir, et pour la plupart, certainement de façon très positive. Là, il va falloir discerner ce qui est de l’ordre d'un développement normal chez l’enfant et de potentiels symptômes qui auraient pu apparaître. Avec le recul, des parents pourraient se souvenir de difficultés passées chez leur enfant durant cette période : « Ah, mais oui, en 2021, il a eu des difficultés à passer ses nuits », sans qu’il y ait forcément un lien de cause à effet. C’est là, où ça va être très compliqué, gérer cette distance entre les faits et leur révélation. L’enjeu de notre travail sera d’identifier les éléments sur lesquels leurs inquiétudes se basent. Quand les parents viendront déposer d’éventuels symptômes chez nous, il s’agira pour nous de faire prendre du recul : « Si on vous avait posé la même question il y a une semaine, sans cet événement-là, est-ce qu’on aurait parlé finalement de ces troubles d'endormissement ou pas ? »
« C'est important, pour nous professionnels, 'd’énoncer et d'accueillir' cette culpabilité, de pouvoir ne fût-ce que questionner ces parents sur ce qu’ils pourraient ressentir, de travailler avec eux le fait qu'ils ne sont en rien responsables »
Ces parents, on l’imagine, sont traversés d’émotions fortes qui s’entrechoquent. Avec des réactions qui peuvent être différentes d’une famille à l’autre. Comment on aborde tout cela. On fait le tri des émotions ? On les traite une par une ? On les traite en un bloc ?
« On va surtout et d'abord être des intervenants bienveillants, empathiques. Accueillir tout ce qui arrive dans un flot d'émotions, ça va être le premier temps de l'intervention. Il faut être une figure d’écoute et qui tient le cadre. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de pouvoir faire appel à des équipes spécialisées, pluridisciplinaires, qui ont vraiment l'habitude de traiter ce genre de situation. Il faut être capable de pouvoir mettre à distance tout l'émotionnel que ces situations génèrent parce que le risque, c'est que les professionnels soient pris dans la même torpeur que les parents, dans les mêmes anxiétés. Parce que de tels faits résonnent chez tout le monde, notamment si on a des enfants. Dans un second temps, il s’agit d'évaluer avec les parents leurs besoins, d’identifier leur urgence. Ont-ils besoin d’un lieu pour eux en tant que parent pour être accompagnés et être aidés ? Ont-ils besoin d'être rassurés par rapport à leurs enfants et par rapport à leur état ? C'est ça qu'on va petit à petit déterminer avec les parents. C’est très important de respecter la temporalité des parents, qui va être très différente de l’un à l'autre. »
On évoque souvent la culpabilité que pourraient nourrir des parents dans de telles situations. Qu’est-ce que ça peut avoir comme répercussion sur la relation entre les parents et les enfants ?
« Alors, effectivement, c'est important de dire qu’ils 'pourraient', on ne veut pas faire de généralité. Une des répercussions serait d’être excessivement à l'affût du moindre symptôme ou du moindre besoin de l'enfant. Il y a le risque, comme on l’a déjà dit, de tout surinterpréter. À l’inverse, chez certains parents, il peut y avoir un désinvestissement provoqué par un questionnement parfois violent : 'Est ce que je suis un bon parent ? Une bonne mère ? Un bon père ? Je n’ai pas vu. Je n'ai pas réagi'. Tout cela peut déboucher sur une sidération du parent. C'est important, pour nous, professionnels, 'd’énoncer et d'accueillir' cette culpabilité, de pouvoir ne fût-ce que questionner ces parents sur ce qu’ils pourraient ressentir, de travailler avec eux le fait qu'ils ne sont en rien responsables. Parce que ce qu’ils ont vécu, c’est de l'impensable et de l'inimaginable. Il s’agit de leur faire réaliser que ce ne serait pas tenable de soupçonner que de telles choses puissent potentiellement arriver chaque fois qu'on dépose notre enfant quelque part. »
Justement, à propos de cette question de la confiance des parents envers la société en général, est-ce qu'il peut y avoir des répercussions à long terme de ce côté-là ?
« On n'a pas de certitude sur ce point. Mais c'est sûr qu'on ne peut qu'imaginer la complexité pour ces parents de pouvoir refaire confiance à une structure. Ce sont des parents qui risquent effectivement d'être beaucoup plus en alerte par rapport à la scolarité, aux mouvements de jeunesse, aux clubs sportifs, etc., pour leurs enfants. Mais c'est le type de symptômes que vous retrouvez dans tout type de trauma. Toute personne qui vit un trauma se retrouve dans un état d'hypervigilance. D'où l'importance d'un suivi de ces parents pour pouvoir permettre à l'enfant de rester un enfant et d'avoir confiance finalement lui aussi dans la société. Il faut éviter la mise sous cloche de l’enfant. Cela constitue un travail plus individuel, plus en profondeur, sur la confiance des parents et leur perception du monde. »

Ces faits ont touché un grand nombre de parents. Est-ce que ça change la donne dans l'accompagnement ?
« Je ne sais pas si ça change la donne. Le risque, c’est qu’il y ait une forme d'émulation autour de tout ce qui se passe. Et, potentiellement, cela risque d’augmenter l'angoisse chez les parents. En même temps, cela peut aussi constituer un facteur porteur de résilience, parce qu’il y a le sentiment de savoir que d’autres vivent la même chose. Il y a donc la possibilité de pouvoir échanger. C'est d'ailleurs pour ça que l’idée de la constitution d’un groupe de parole de parents est en train d'émerger avec les différents intervenants et acteurs de terrain impliqués dans le dossier. On sait que dans d'autres situations, de tels groupes de parole permettent d'éviter de se sentir seul, de diminuer aussi une certaine forme de culpabilité. Cela, avec toujours ce point d’attention : une famille n'est pas une autre, un parent n’est pas un autre. Même au sein d’un couple, les parents ne vont pas réagir de la même manière, et ce en fonction de leur histoire, de leur vécu. Chaque vécu est singulier. En dépit du nombre, la prise en charge, finalement, ne diffère pas tant que ça de la prise en charge plus habituelle d’un cas isolé. On doit quand même rester avec le fait que tous les enfants de la crèche n'ont potentiellement pas été abusés. »
Il y a effectivement ce doute insupportable auquel sont confrontés les parents…
« En effet, le contexte, le nombre d’enfants concernés ainsi que la médiatisation de l’affaire peuvent alimenter les doutes et l’angoisse des parents. La manière dont les parents sont informés va également impacter ceux-ci (entre une info entendue à la radio et un coup de fil personnalisé, il y a une fameuse différence). De plus, le secret de l'instruction laisse les parents avec des zones d'ombres et de doutes. Ce qui les plonge légitimement dans une situation extrêmement difficile à gérer psychologiquement. »
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