Développement de l'enfant

Daltonisme : témoignages et balises pour mieux le cerner

Comment identifier le daltonisme et ses variantes chez l'enfant

Victoria suspecte un daltonisme chez son fils de 10 ans. Céline en a eu la confirmation l’an dernier pour son fils Lucas, 12 ans. De quoi s’agit-il ? Comment identifier les variantes ? Mise au point sur cette anomalie de la vision.

Par un dimanche pluvieux, la famille de Victoria se rend au musée L de Louvain-la-Neuve. Au dernier étage, ColorLab, un atelier ludique proposé aux enfants, fait la part belle aux couleurs. Une roue les décline tout en nuances. Des quartiers rouges côtoient des mauves, des tranches de bleu jouxtent des vertes qui voisinent avec des jaunes.
Victoria pioche au hasard dans la gamme des bleus et montre à Oliver, son fils de 10 ans. Il répond spontanément : « vert ». Elle glisse vers les verts, il répond « bleu . La maman est sans voix. Son fiston, elle le connaît par cœur. Elle pourrait le décrire sous toutes les coutures. Imaginer qu’elle serait passée à côté du daltonisme de son rejeton la laisse pantoise. À l’école non plus, personne n’a tiqué. Quatre années de maternelle et autant de primaire à passer entre les mailles du filet multicolore sans éveiller le moindre soupçon. Elle veut en avoir le cœur net. C’est décidé, elle prendra rendez-vous pour tirer ça au clair.

« On peut facilement passer à côté du daltonisme de son enfant »

Autre témoignage récolté de l’autre côté de la frontière. Celui de Céline, qui habite Paris. Elle est arrivée au bout des démarches pour son fils Lucas, 12 ans, diagnostiqué daltonien de type protanope – il ne perçoit pas les rouges - l’année passée. Pour elle aussi, c’est la surprise. Petit, Lucas semble distinguer parfaitement les couleurs.
« Je me rends compte a posteriori qu’on apprend aux enfants que l’herbe est verte et la fraise rouge. Ce n’est pas pour ça que c’est ce qu’ils voient. Il y a beaucoup de mimétisme aussi, l’enfant hésite entre des couleurs et copie le voisin. On peut facilement passer à côté du daltonisme de son enfant. La preuve, cette année encore, deux camarades de classe de Lucas viennent d’être diagnostiqués à 12 ans. »
Pour Lucas, l’histoire commence en CM2 (équivalent de la 5e primaire). Le garçon s’emmêle les pinceaux avec les cartes de géo. Un peu plus tard, c’est la mamy qui interpelle Céline. « J’en peux plus, il veut tout le temps faire des perles, mais il ne les trie jamais ». Ces deux retours décident Céline à investiguer. « On a mis onze mois pour savoir ce qu’il avait exactement. Un parcours long et semé de doutes ».
Céline prend rendez-vous avec son ophtalmologue qui fait passer le fameux test d’Ishihara (voir encadré). Elle confirme : Lucas est bien daltonien, mais impossible de déterminer le type. Mère et fils sont renvoyés vers l’hôpital Necker à Paris avec un délai d’attente de six mois. Là-bas, l’ophtalmologue leur annonce tout de suite la couleur : il ne connait rien au daltonisme. En revanche, il teste la vue de Lucas, qui s’avère excellente. Voyant Céline dépitée, il prend des renseignements et leur conseille de consulter un orthoptiste. Nouveau rendez-vous où Lucas est soumis au test de HUE qui consiste à classer des bâtonnets de différentes teintes du plus clair au plus foncé. Le professionnel s’agace face au garçon perdu et décrète qu’il n’est pas daltonien. Retour à la case départ, nouveau rendez-vous ophtalmo, puis, au final, enfin un orthoptiste qui s’avère être la perle rare.
Le diagnostic se précise : Lucas est daltonien de type protanope. « Il ne voit pas du tout le rouge, mais aussi les couleurs qui comportent du rouge comme l’orange ou le mauve. Sa palette est beaucoup plus limitée que la nôtre ». Lucas encaisse. Difficile pour lui de comprendre en quoi son monde en couleurs ne correspond pas à celui des autres. « Grâce à l’application CVsimulator, j’ai pu voir comment il voyait, explique sa maman, mais l’inverse n’est pas vrai. Quand deux photos montrent la vision normale et la vision protanope, Lucas, lui, voit la même photo en double ».
Lucas est entré au collège cette année. Céline a directement envoyé un courrier aux enseignant·es pour expliquer le trouble de son fils. « J’ai aussi prévenu l’infirmière scolaire qui m’a répondu qu’elle le savait déjà. Je suis tombée des nues quand elle m’a expliqué que des tests avaient été réalisés en CP (1re primaire). Tout était dans son dossier médical, un courrier devait suivre dans la foulée, mais ne nous est jamais parvenu », regrette Céline. Si la plupart des enseignant·es ont réagi de façon constructive en adaptant les consignes, outils ou attentes, la professeure de géographie s’est montrée tout à fait fermée, décrétant qu’elle n’adapterait pas les légendes de couleurs en symboles puisqu’il s’agit d’un code universel.
Céline a décidé de porter sa voix plus haut. En février dernier, elle a lancé une pétition pour que l’Éducation nationale française reconnaisse le daltonisme et garantisse à l’avenir que les aménagements pédagogiques ne dépendent plus de la bonne volonté des enseignant·es. Elle a déjà obtenu plus de 1 000 signatures et espère ainsi faire bouger les lignes. En attendant, elle et son fiston s’adaptent.

EN SAVOIR +

Trucs et astuces mis en place par Céline pour faciliter la vie de son fiston

  • À l’école : Céline a mis en place un système à trois entrées et inscrit sur chaque crayon la couleur, la teinte et un numéro les classant du plus clair au plus foncé. Même chose pour les cahiers, la maman a ajouté une image sur chaque cahier en alternative au code couleur utilisé.
  • Travail avec ordinateur : la suite Windows permet de choisir le mode d’accessibilité en fonction du type de daltonisme (tapez « filtre de couleurs » dans la recherche Windows). L’application CVsimulator permet de simuler ce que voient les daltoniens en fonction du type et l’appli Colorblindclic de prendre en photo un objet pour en connaitre la couleur.
  • Lunettes avec verres adaptés : les verres Enchroma et Kolorblind sont spécialement conçus pour les daltoniens. Lucas dispose d’une paire. « Ce n’est pas magique, il voit mieux les contrastes, mais il ne voit pas tout. Comme c’est photosensibilisant, il ne peut les porter que deux heures par jour pour ne pas développer une sensibilité à la lumière ».

3 QUESTIONS

Un examen de vision des couleurs est-il prévu lors des visites médicales en Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Nathalie Lion, directrice du centre PMS de Liège :
« Dans le cadre des bilans de santé obligatoires, un dépistage sensoriel est prévu en 1re et 3e maternelle, 2e et 6e primaire, 2e et 4e secondaire. En ce qui concerne la vision, la vue de près et de loin est testée, la vision en trois dimensions également, ainsi que le daltonisme via le test d’Ishihara. Ce test est réalisé systématiquement en 3e maternelle. Pour l’enseignement officiel organisé, ce sont les centres PMS qui s’en occupent ; pour l’enseignement officiel et le libre subventionné, les services PSE qui sont chargés de les réaliser. »

► Si vous avez un doute ou une question, contactez les acteurs de prévention de la santé. Ainsi l’expérience de Céline a motivé Victoria à contacter le service PSE lié à l’école de son fils. Des tests ont bien été effectués lorsque Oliver était en 3e maternelle. Le dossier indique une suspicion de daltonisme avec mention de refaire le test d’Ishihara lors de la visite en 2e primaire. Malheureusement, aucun autre test ne lui a été soumis lors de cette visite et aucune information n’a été communiquée en ce sens aux parents.

Les verres de lunettes pour daltoniens sont-ils remboursés ?
Sandrine Bingen, service communication de l’Inami :
« Dans le cas de l’achromatopsie (absence totale de vision des couleurs), l’Inami rembourse les verres avec filtre médical absorbant la lumière bleue, chez un·e opticien·ne conventionné·e, et ce, quelle que soit la dioptrie (entre 165 et 780€ par verre, selon le type de verre et la dioptrie). Pour les autres types de daltonisme, il n’y a pas de remboursement spécifique. »

Des aménagements sont-ils prévus en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) pour les élèves daltonien·nes ?
Virginie Detaille, attachée à la Cellule aménagements raisonnables à la FWB :
« En FWB, tout élève de l’enseignement ordinaire, fondamental et secondaire, qui présente des besoins spécifiques est en droit de bénéficier d’aménagements raisonnables matériels, organisationnels ou pédagogiques appropriés pourvu que sa situation ne rende pas indispensable une prise en charge par l’enseignement spécialisé.
La demande d’aménagements raisonnables doit être introduite auprès de la direction de l’école et être accompagnée d’un diagnostic. Une réunion de concertation doit avoir lieu dans la foulée en présence de la direction, l’équipe éducative, les parents et, si nécessaire, quelqu’un du centre PMS et du pôle territorial si leur intervention s’avère nécessaire. »

Le daltonisme fait l’objet d’une fiche-outil éditée par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui présente des pistes d’aménagements raisonnables.

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BONUS

Le daltonisme est souvent associé, à tort, à une confusion entre le rouge et le vert. Dans les faits, c’est beaucoup plus complexe. Décryptage avec nos expertes.

Entretien avec Lavinia Postolache, directrice du service associé, responsable de l’ophtalmologie pédiatrique à l’Hôpital Universitaire de Bruxelles (HUB), et Stéphanie Zwillinger, chirurgienne ophtalmologiste à Paris, pour mieux comprendre de quoi il s’agit.

Qu’est-ce que le daltonisme ?
Lavinia Postolache :
« Le daltonisme est un trouble de la vision des couleurs qui empêche les personnes atteintes de voir certaines couleurs ou affectent leur perception. La rétine de l’œil est composée de bâtonnets et de cônes. Les bâtonnets sont responsables de la vision dans l’obscurité et les cônes de la vision précise et des couleurs. »
Stéphanie Zwillinger : « Lorsque la lumière frappe la rétine, les cônes réagissent aux différentes longueurs d’onde de lumière en envoyant des signaux électriques au cerveau par l’intermédiaire du nerf optique. Le cerveau traite ensuite ces signaux pour former une image colorée de notre environnement et nous permettre de distinguer toutes les nuances de bleu (cônes S), vert (cônes M) et rouge (cônes L). Les cônes ont des longueurs d’onde différentes, les rouges sont stimulés par les grandes longueurs d’onde, les bleus par les courtes et les verts par les moyennes. Plutôt que de parler de daltonisme qui est la forme la plus courante, je préfère parler de dyschromatopsie – trouble de la perception des couleurs - qui rend mieux compte des différentes formes d’anomalies possibles en fonction du cône touché . »

Parlons des différentes formes possibles, quelles sont-elles ?
S. Z. :
« Il existe différentes degrés d’atteinte, allant de l’incapacité totale à percevoir les couleurs pour le degré le plus sévère qu’on appelle achromatopsie à une anomalie à percevoir certaines couleurs ou nuances. On parle de protanomalie ou protanopie quand l’atteinte porte sur les cônes rouges, de deutéranomalie ou deutéranopie quand elle porte sur les verts ou de tripanomalie ou tripanopie sur les bleus. »
L. P. : « En général, ce sont surtout les nuances que la majorité des daltoniens ne distingue pas et confond. Si les couleurs de base, comme le rouge ou le vert, sont bien claires et saturées, un daltonien pourrait être capable de les percevoir. Le plus souvent, le daltonisme est héréditaire et congénital. Autrement dit, les deux yeux sont concernés à la même densité et cela reste stable de la naissance à la mort. »

Quelle tranche de la population est concernée ?
L. P. :
« Dans la population européenne, 8% des hommes sont affectés et 0,4% des femmes. Par contre, il y a entre 14 et 15% des femmes qui sont porteuses saines. On observe une fréquence moindre de l’anomalie chez les populations asiatiques et africaines. »

Comment expliquer que les garçons soient plus touchés ?
L. P. :
« Dans la majorité des cas, la mutation se trouve principalement sur le chromosome x. Comme les femmes disposent de deux chromosomes x, elles peuvent être porteuses sans développer le trouble contrairement aux hommes qui ne disposent que d’un chromosome x reçu de leur mère. »
S. Z. : « Dans des cas plus rares, il survient suite à une mutation sur le chromosome 7 ou une maladie oculaire ou cérébrale. »

Comment les parents peuvent-ils confirmer ou infirmer un diagnostic de daltonisme ?
L. P. :
« Pour le daltonisme d’origine génétique, lié au chromosome x et qui sont sur les cônes L et M, on effectue le test d’Ishihara. Il s’agit de planches de couleurs qui invite l’enfant à distinguer un chiffre parmi des points avec différentes variantes de couleurs. En fonction de sa capacité ou non à identifier le chiffre, on peut préciser le type de daltonisme. Pour les plus petits, il existe une variante avec des dessins. »

Un autre message à ajouter à l’adresse des parents ?
S. Z. :
« Le daltonisme n’est pas une maladie, ça n’a rien de grave. Par contre, si le parent a un doute, cela vaut la peine de de faire le test. Tous les garçons à partir de 7 ans devraient être testés, ce n’est qu’à partir de cet âge que le test est fiable. Cela permet à l’enfant de bénéficier d’adaptations dans sa vie scolaire et aussi choisir une orientation professionnelle en connaissance de cause. »