Développement de l'enfant

Dans les pas de mon père, de ma mère

Partager sa passion avec son enfant, c’est très bien quand tout le monde le fait avec plaisir, sans contrainte. Mais quand le parent surinvestit l’activité de son fils ou de sa fille, l’héritage devient très vite encombrant.  

Suivre les traces de ses parents dans les activités extrascolaires, c’est extrêmement courant, que ce soit en matière de sport, de musique, de peinture, etc. La plupart du temps, cela se passe bien et cette activité permet de s’offrir un joli temps de partage, d’échanges.

« On est clairement ici sur l’idée du plaisir et de la transmission, explique la psychologue Alexia Lesvêque, donc quelque chose de très positif. L’enfant qui se met dans les pas de son père ou de sa mère le fait en confiance, il sait que c’est un domaine sûr, qu’il va pouvoir explorer avec une sorte de filet de sécurité parental. Entre 6 et 12 ans, voire plus, il n’y a pas l’idée de compétition avec l’adulte, ce sont les notions de jeu, de complicité, qui sont mises en avant ».

Ça, c’est quand tout va bien. Prenons la voie opposée et intéressons-nous aux cas plus problématiques. En discutant avec des éducatrices et éducateurs du monde sportif, des profs de musique ou de dessin, on s’aperçoit bien vite que les mêmes schémas négatifs se reproduisent. Et que le principal perturbateur, c’est le parent. Mais pas n’importe quels types de parents…

Imbroglio et conflit de loyauté

« Pour moi qui suis éducateur basket depuis quinze ans, les enfants n’ont jamais été le problème, c’est clair, souligne Aziz, entraîneur dans le Hainaut. Ce sont les parents qui projettent leurs manques, leurs frustrations de jeunesse sur leur enfant et ceux qui ont été des sportifs moyens qui viennent perturber le cours des choses. On sent très vite que leur enfant leur sert de catalyseur. Ils se focalisent sur la performance, le dépassement de soi, des détails techniques, alors que les jeunes sont dans une phase d’apprentissage. Et celle-ci prend du temps, nécessite des retours en arrière, comporte des phases de régression. »

Sur le terrain, cela se traduit par des parents qui poussent à l’individualisme, qui incitent à outrepasser les règles et les consignes des éducateurs et éducatrices. « C’est exactement pareil pour mes élèves des classes de guitare, note Alicia, prof expérimentée dans plusieurs académies wallonnes. Certains parents pensent savoir mieux que les professionnel·le·s et font véritablement faire n’importe quoi à leurs enfants. Et finissent par les ralentir dans leur progression ».

Pris entre deux feux, l’enfant est donc au cœur d’un véritable imbroglio psychologique, qui prend parfois toute la place dans sa tête. « Un enfant n’a pas les outils pour faire la part des choses, pour prendre du recul, explique Alexia Lesvêque. Il se retrouve alors confronté à un conflit de loyauté : de l’entraîneur/entraîneuse/prof ou du parent, de qui doit-il suivre les consignes ? Se mettre en opposition à l’un ou l’autre a des conséquences forcément négatives et, très vite, cette notion de plaisir si importante disparaît. L’enfant prend alors sur lui et exécute, sans entrain, sans joie, sans envie. Et ça, c’est quelque chose que le parent surinvesti ne voit pas ou ne veut pas voir ».

Notre prof de guitare confirme les propos de la psy et cite en exemple un de ses élèves, âgé aujourd’hui de 14 ans. « Il suit encore mes cours parce que ses parents le poussent. Techniquement, comme à la maison on lui a fait répéter, répéter et encore répéter, il a un super bon niveau. Mais dans l’interprétation, dans l’implication, c’est la cata, il n’y a pas d’envie, pas de vie ».

L’exutoire du parent, la honte de l’enfant

Pour en savoir plus sur ces parents trop présents, il suffit d’entrer dans une salle de sports lors d’une compétition. Ici, la scène se déroule un samedi après-midi dans une commune bruxelloise. Dans le gymnase, des garçons et des filles de 9-10 ans jouent au basket. Au milieu de la dizaine de parents assis sur des bancs, totalement calmes, un papa est debout. C’est le seul en T-shirt, le seul qui gesticule, le seul qui crie. Et toujours à destination de son fils pour lui dire de faire comme ceci ou comme cela.

« C’est un comportement typique du surinvestissement d’un parent dans l’activité de son enfant, explique Alexia Lesvêque. Qui, en plus, est ici accentué par la compétition. Le papa vit réellement le match comme s’il en était un acteur, il perd alors toute mise à distance, toute retenue. Il est dépassé par ses émotions. Pour l’enfant, c’est une situation difficile à vivre à la fois personnellement - par rapport à son parent et aux attentes de celui-ci -, mais aussi collectivement – par rapport à un adulte encadrant, à des coéquipiers. »

Savoir rester à sa place, laisser son enfant s’épanouir par lui-même, respecter sa personne et sa personnalité, faire confiance aux personnes qui encadrent l’activité… comme souvent le bon sens reste le meilleur allié des parents pour gérer au mieux ce genre de situation. Et si cela vous semble impossible de garder votre calme, on vous partage l’expérience de Clélia et de sa fille de 10 ans…

« Lucie fait de la danse classique, comme moi quand j’étais enfant. Au début, j’étais hyper présente, j’assistais au cours, je la faisais travailler à la maison, je lui achetais son équipement comme si c’était le mien. Et puis, j’ai commencé à intervenir pendant les cours, à donner des consignes techniques à Lucie même si elles étaient contraires à celles de la prof de danse… J’ai fini par me faire mettre à la porte du cours par la direction de l’école de danse. Quand j’ai demandé à Lucie de prendre ma défense, elle m’a juste dit : ‘Maman, à la danse, j’ai un peu honte de toi. Et j’ai un peu peur de toi aussi, t’es trop bizarre’. J’ai pris une belle grosse claque et remis les pieds sur terre. Aujourd’hui, je dépose Lucie à la porte de l’école de danse et je laisse faire les professionnel·le·s. Et c’est bien mieux ainsi pour tout le monde. »



Romain Brindeau

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