Développement de l'enfant

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Si l’envoi de nudes est une pratique en hausse chez les jeunes, ses dérives dramatiques telles que la sextorsion et le sexting non consensuel le sont également. Mieux vaut prévenir que subir.

En 2022, une étude exploratoire de l’ULB* relevait que trois jeunes sur quatre de 13 à 25 ans avaient déjà envoyé un nude (voir Lexique). Pour la tranche des 13-14 ans, cela concernerait près de un jeune sur trois. « La pratique de l’échange de nudes démarre assez tôt, confirme Marie Tapernoux, psychothérapeute et sexologue. En soi, cela n’a rien d’inquiétant : c’est une pratique sexuelle qui se place dans la volonté de plaire ou de faire partie de ses paires. C’est de l’autoérotisation : cela permet de se dire qu’on plait, qu’on est joli·e. Cela peut aussi permettre de prendre confiance en soi dans une société fortement basée sur l’image que l’on renvoie ».
Cela devient un problème lorsque, dans un deuxième temps, ces images partagées dans la sphère intime sont ensuite diffusées. Or, ce partage dit secondaire, ce sexting non consensuel prend lui aussi de l’ampleur. Chaque année, les dossiers ouverts pour cette thématique chez Child Focus augmentent.
« De façon exponentielle, remarque Niels Van Paemel, conseiller politique de l’association. Les chiffres ont explosé avec le covid, et cela continue à progresser chaque année ». Les raisons invoquées à cette hausse ? L’ennui, d’abord. Lors de la crise du covid, les jeunes ont trouvé une façon de s’échapper de leurs quatre murs avec l’ordinateur et les réseaux sociaux.
L’arrivée et le progrès de l’intelligence artificielle, ensuite, qui permet de réaliser des Deep Fake de plus en plus crédibles, notamment des Deep Nude qui permettent de déshabiller quelqu’un·e en deux clics. De nombreuses personnalités en sont d’ailleurs également victimes. Mais si le people peut facilement démentir l’information publiquement, la situation se révèle bien plus complexe pour le quidam.

Rupture de confiance

Le scénario se vérifie dans les établissements scolaires : « On est de plus en plus souvent appelé par les écoles en mode pompier, pour éteindre l’incendie, à la suite d’images qui circulent et du harcèlement qui s’ensuit, raconte Marie Tapernoux qui collabore avec un planning familial. Mais, idéalement, c’est avant que nous devrions intervenir. Je remarque la tendance à conseiller aux jeunes filles de ne rien envoyer, mais on se trompe de combat ! Un nude est rarement envoyé avec l’objectif d’être vu par tous. C’est la personne qui le partage qui provoque ce fléau et rompt la confiance en n’ayant pas demandé l’autorisation. Ce partage n’a d’ailleurs pas toujours la volonté d’abîmer l’autre. Parfois, c’est juste l’envie de faire rigoler les copains ou de montrer qu’on a une copine sexy, puis ça glisse sur la Toile. La plupart du temps, le ou la jeune qui envoie un nude le fait en toute confiance. Pourtant, c’est lui ou elle qui sera condamnée, plutôt que l’acte inadéquat d’avoir partagé cette image sans permission ».

C’est la personne qui partage le nude qui rompt la confiance en n’ayant pas demandé l’autorisation, pas celui ou celle qui l’envoie

La victime va être blâmée, accusée, condamnée, insultée. Probablement aussi un peu à cause de ce conseil insidieux. Niels Van Paemel le reconnaît volontiers : « On a grandi comme ça. Il y a dix ans, on avait cette campagne de prévention qui disait de ne pas envoyer de photos qu’on ne voudrait pas retrouver chez sa grand-mère. Le message était drôle, mais il laissait supposer aux victimes que ‘C’est un peu de ta faute’. Or, le plus important est de voir le problème tel qu’il est : une rupture de confiance. Un abus sexuel ».
Dans la même veine, pour éviter d’ajouter honte et culpabilité sur le dos des victimes, le représentant de Child Focus conseille de ne plus parler de revenge porn, mais de sexting non consensuel. « Car ces images ne sont pas pornographiques, elles font partie du champ érotique de l’intime ».

Nudes sous amplitude

Le phénomène ne concerne pas que la Belgique, il est mondial. Pour Niels Van Paemel, ce problème sociétal est lié à la masculinité toxique. « Impossible de voir ce phénomène séparément, tout est lié. On voit, par exemple, une augmentation des groupes d’exposition sur des réseaux sociaux comme Telegram. Beaucoup d’écoles sont sur Telegram et on y trouve des groupes intitulés ‘la salope de l’école’ où chacun peut ajouter des photos et des vidéos. Les auteurs ne sont pas uniquement masculins, mais la majorité si. C’est lié à la culture machiste de collectionner les nudes, les photos des filles, comme des stickers Panini ! ».
En France, la réalisatrice Andréa Bescond (Les Chatouilles) a participé à une anthologie : Nudes. Diffusée sur Amazon Prime France, la série – qui a eu son petit succès – devrait être visionnable chez nous dans les mois à venir. Pari osé, la réalisatrice a choisi de traiter la position du harceleur : Victor, bel étudiant nanti en médecine, est poursuivi après avoir diffusé la vidéo érotique d’une mineure sans son consentement.
Le mois dernier, dans le journal le Parisien, Andréa Bescond mentionnait sa volonté de « montrer que les harceleurs ne sont pas forcément des monstres : c’est ton frère, c’est ton père, c’est ton voisin, c’est ton mec, c’est l’homme que tu aimes ». Confirmation du côté de Child Focus : « En fait, cela dépend du phénomène. Dans le cas du sexting non consensuel, cela peut concerner tout le monde, et c’est souvent dû au sexisme ou à du machisme, explique Niels Van Paenel. Dans le cas de la sextorsion, généralement, on ne connaît pas l’auteur. La sextorsion financière ne concerne pas des pédophiles, ce sont des gens qui ont trouvé une manière de faire de l’argent et, généralement, leurs victimes sont de jeunes garçons. Quant à la sextorsion sexuelle, elle concerne généralement des pédophiles qui ont trouvé une manière de faire grandir leur collection d’images d’abus ».

Sortir du mutisme 

Depuis 2020, le sexting non consensuel est dorénavant considéré comme une infraction aux yeux du Code pénal belge. « Cette révision, le fait d’avoir mis le consentement au milieu du droit, c’est pionnier. Cela change complètement la donne, explique Niels Van Paemel. Dorénavant, c’est clair : si vous avez reçu une photo de nude, ce n’est pas de votre faute. En revanche, si vous la partagez, ce n’est ni éthique ni légal. Et vous êtes responsable ».
Concrètement que faire pour éviter que la situation ne dérape ? Primo, de la sensibilisation et de l’éducation aux médias. « Avant, l’âge moyen des enfants ayant leur premier gsm était de 12,6 ans. Aujourd’hui, on est passé à 8,6 ans, remarque le responsable de Child Focus. L’éducation aux médias est essentielle ! Idem pour l’apprentissage du respect de l’intégrité sexuelle de l’un et l’autre. La prévention faite par l’Évras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) est indispensable. Ces cours sont très critiqués et, pourtant, c’est la clé. On doit donner de l’information aux jeunes et ne pas créer une cage, car ils vont toujours trouver des moyens d’expérimenter. Le sexting concerne des jeunes curieux, on doit les aider ».
Secundo, libérer la parole. L’idéal est d’avoir un lien parental fort en amont pour que l’enfant ose parler au-delà de la honte et de la culpabilité. « Il n’est pas toujours aisé de parler sexualité en famille, admet le responsable de Child Focus. L’idée est alors d’installer une culture de la communication. C’est le principe de notre campagne Max : chaque jeune de plus de 12 ans devrait pouvoir parler à un adulte de confiance ». Objectif : ne pas rester seul en cas de problème. Et lui permettre de réaliser les démarches pour sortir de ce qui semble être une impasse. Que ce soit de contacter les réseaux pour retirer les photos et vidéos, et de porter plainte dans les cas plus graves.

* L’échange de nudes chez les jeunes Français et Belges francophones de 13-25 ans : une étude exploratoire, de L. Blécot, A. Lakrary, M. Laloux, P. Kemperneers

ALLER + LOIN

À voir, à consulter

► Le podcast Juste une histoire de nudes retrace l’expérience d’Aliya, victime de sextorsion à 14 ans, et permet de prendre conscience du mécanisme de l’emprise.
► Le site cybersquad.be s’adresse aux jeunes victimes de cyberharcèlement sexuel. Information ciblée, pistes de réflexion et échanges bienveillants.

LEXIQUE…

… à l’usage des parents quelque peu dépassés

  • Nude : un selfie déshabillé.
  • Sexting : pratique qui consiste à (s’)envoyer des mots, des photos ou des vidéos érotiques par gsm.
  • Sexting non consensuel : partage ou diffusion d’images érotiques sans le consentement de la personne.
  • Sextorsion : l'extorsion via internet de faveurs sexuelles ou d’argent à la suite d'un chantage.
  • Grooming : prise de contact en ligne avec un·e mineur·e afin de lier des relations émotionnelles dans le but de le/la soumettre à de l’abus sexuel.
  • Deep Fake : enregistrement vidéo ou audio réalisé ou modifié grâce à l'intelligence artificielle.

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