Crèche et école

Demain, l’école du changement ?

L’école du changement est le titre d’un documentaire qui montre deux écoles publiques à pédagogie active qui ont vu le jour en 2017 à Molenbeek-Saint-Jean et Saint-Gilles, deux communes bruxelloises. De quoi inspirer professionnel·le·s et direction d’écoles ?

Après avoir le documentaire, Françoise Meurant, enseignante de français à l’Athénée royal Gatti de Gamond à Bruxelles, se montre très enthousiaste. Elle-même adepte de la pédagogie active dans ses cours, elle salue la mobilisation des équipes éducatives : « Ce qui fait la réussite de ces projets, c’est qu’il y a un vrai élan collectif avec des personnes engagées. C’est souvent ce qui manque dans les écoles secondaires. Ici, on voit deux directions exerçant leur leadership pour fédérer une équipe dans une vision commune. L’autre élément marquant, c’est le sens qu’apportent les pédagogies actives, tant pour les enseignant·e·s que pour les élèves. On part sur le terrain, on teste en pratique, les enseignant·e·s vu·e·s dans le film sont épanoui·e·s et les élèves comprennent l’intérêt, car ils sont acteurs de leur apprentissage, ce qui compte aussi en matière d’acquisition. J’espère que ce documentaire va faire tache d’huile et donner à d’autres directions l’envie de lancer un projet-pilote avec quelques professeur·e·s motivé·e·s ».

Et c’est là toute la réussite de ce film, donner à voir des expériences innovantes et positives, ouvrir le débat sur comment repenser l’école. Une nécessité si l’on en croit les résultats des études européennes PISA consacrées à la qualité de l’enseignement. D’après celles-ci, l’enseignement belge serait un des plus inégalitaires. Quelle école voulons-nous ? Telle est la question posée par Anne Schiffmann et Chergui Kharroubi, réalisateurs du film.

Que dire sur ces écoles ? Toutes deux sont des écoles à pédagogie active publiques. Autre fait à souligner, elles ont posé leurs valises à Saint-Gilles et Molenbeek-Saint-Jean. Ces dimensions sont au cœur des projets d’établissements des écoles comme le confirme Julie Moens, directrice de l’école Plurielle Maritime : « Les pédagogies actives ne doivent pas être réservées à une élite. Nous avons fait le pari d’ouvrir une école à pédagogie active dans ces quartiers-ci où il y a un manque cruel de places ». L’école comme ascenseur social et moyen d’émancipation, les écoles Plurielle Maritime de Molenbeek-Saint-Jean et le lycée intégral Roger Lallemand de Saint-Gilles y croient.

Sortir des cotes et noter les progrès

Autre particularité des pédagogies actives : le rapport au savoir. L’élève est acteur et au centre de son apprentissage. Rien de neuf sous le soleil, direz-vous. Sauf que ces écoles remplacent les cotes par des appréciations et les bulletins par des carnets de progression.

Consciente de l’importance de chaque mot, l’équipe éducative soigne son vocabulaire. À l’école Plurielle Maritime, le système prévoit trois cas de figure : passage sans condition, passage avec conditions, année de transition en plus petit groupe. « En réalisant le projet d’établissement, on a fait le constat que l’école peut être le vecteur d’une certaine violence, que ce soit dans la manière de recevoir les enfants, de noter dans les journaux de classe, de convoquer les parents, de présenter les bulletins... Si on veut vraiment donner la possibilité aux enfants de s’émanciper, outre un projet pédagogique pertinent, il faut être bienveillant dans la manière de s’adresser à eux, notamment en évitant des termes comme échec ou redoublement. »

Intergénérationnel et transdisciplinarité

À l’entrée du Lycée intégral Roger Lallemand, on peut lire : « Apprendre pour être libre ». La phrase donne le ton. Ici, le plaisir d’apprendre se cultive. Et se partage aussi. L’école mise sur l’intergénérationnel comme l’illustre cette séquence du documentaire : des élèves d’âges différents se retrouvent dans une salle en groupe de référence (GR). Ils sont en travail autonome (TA) pour avancer sur un projet, réaliser leurs devoirs, lire un livre. On y voit une élève de rhéto expliquer le rapport de proportionnalité à un plus jeune. Deux bancs plus loin, un autre « grand » aide un élève en néerlandais. Ici, le savoir n’est pas l’apanage des enseignant·e·s, il circule entre les élèves. En témoigne l’agencement des classes, avec les chaises disposées en cercle.

L’approche pédagogique du lycée se différencie également par un décloisonnement des matières. L’école fonctionne par ateliers. Et chaque atelier rassemble plusieurs disciplines. Le documentaire nous plonge dans un atelier vélo. Les professeurs de mathématiques, physique et technologie questionnent des groupes d’élèves réunis autour d’une roue arrière. « Vous devez me trouver l’équilibre. Si je mets la chaîne sur le premier pignon, combien dois-je mettre dans le socle pour lever dix kilos ? ».
Le trio témoigne ensuite : « Ça ressemble à la manière dont un prof de physique rêve d’enseigner la loi des leviers ». « On travaille en équipe et ça tourne », complète le prof de maths. « On fait aussi énormément d’heures, car on est souvent sollicité à droite ou à gauche », nuance le dernier. Si chacun trouve son compte dans ce travail d’équipe, la charge de travail peut, quant à elle, s’avérer problématique, tels sont les échos d’enseignant·e·s engagé·e·s qui nous reviennent.

Autre bémol, apporté par une étudiante de rhéto : « J’ai appris à m’exprimer en public, à faire mieux mes recherches, mais il y a des choses que l’on n’a pas vues. Il y a des moments où il faut que l’on ait cours ».

Alors, comment faire « école autrement » sans pour autant mettre à mal les enseignant·e·s dans des temps de préparation à rallonge ou lorsque les élèves qui ? Ce sont des questions que pose le documentaire et qui permet d’ouvrir le débat sur l’école du changement.



Clémentine Rasquin

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Le documentaire en quatre scènes

Ce qui interpelle le plus dans ce documentaire, c’est le relationnel. Accoutumé à l’enseignement traditionnel, beaucoup se souviennent des poussées de stress des périodes examens, des interrogations sur le « À quoi ça sert ? », de la relation très verticale entre les adultes et les élèves.
Dans ces écoles, élèves et enseignant·e·s font équipe et le rapport se transforme en relation. Relation qui déteint sur tout, la manière dont les projets sont pensés, celle dont les élèves les investissent, la manière de communiquer … La preuve par quatre à travers des scènes du documentaire.

► Scène 1. Des délégué·e·s de classe sont réuni·e·s en conseil de coopération. Les observations et doléances de chaque classe sont présentées à l’assemblée et à l’enseignant·e présent·e. Les délégué·e·s restituent ensuite les échanges à leur classe. « Ça donne du sens à l’école que les enfants disposent d’espace de discussions, qu’ils puissent être acteurs de leur école. Les élèves y trouvent du sens. », souligne la directrice de l’établissement.

► Scène 2. Les journées portes ouvertes de l’école battent leur plein. Ici, une jeune élève présente à un visiteur le système d’appréciation « acquis - partiellement acquis - non acquis ». Là, un élève présente les posters réalisés, d’autres accueillent les visiteurs. Fierté, contentement d’être le porte-voix de l’école, voilà ce qu’on peut lire sur les visages de ces élèves.

► Scène 3. Réunion de parents. Une titulaire informe un élève accompagné de sa maman : « La professeure de néerlandais aimerait vous voir ». On sent la maman se crisper. L’enseignante précise : « Elle aimerait le féliciter parce qu’il s’est mis en marche et a enlevé sa barrière avec le néerlandais ». 

► Scène 4. L’année s’achève. La titulaire propose un tour de météo intérieure pour permettre aux élèves d’exprimer leurs émotions avant de distribuer les carnets de progression. Lorsque vient son tour, elle prend la parole émue : « Vous êtes les premiers élèves que j’ai eus, avec qui j’ai pu douter, faire des erreurs, m’améliorer, être exigeante. Grâce à vous et avec vous j’ai grandi, merci pour ça à tous ».

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