Crèche et école

École du dehors cherche terreau fertile

Existe-t-il un terrain propice à l’école du dehors ? Une étude met en avant quatre conditions pour qu’elle prenne racine et déploie pleinement ses ailes. Côté terrain, les enseignant·e·s opinent du chef. Christine Partoune est professeure dans l’enseignement supérieur et chercheuse en didactique de la géographie. Entre 2014 et 2018, elle a conduit une recherche-action-formation sur l’école du dehors intitulée « Extramuros ». Ce travail lui a permis de mettre en lumière les conditions qui favorisent le bon développement de l’école du dehors.

Un projet d’équipe

« Il ne suffit pas d’avoir un·e enseignant·e volontaire pour que le projet tourne. Nos expériences démontrent que la dynamique d’une école dépend beaucoup de sa direction et que les projets qui réussissent sont ceux qui sont parvenus aussi à mettre les parents dans le coup. »
À l'école Saint-Joseph-aux-Champs de Grez-Doiceau, tout a commencé par la cour de récréation avec le projet « Ose le vert ». Enseignant·e·s, élèves et parents ont retroussé leurs manches pour embellir et verdir la cour. Le doigt pris dans l’engrenage du vert, ils ont ensuite embrayé sur l’école du dehors. Et pour en faire un vrai projet d’établissement, Paul Vandeleene, le directeur de l’école, a décidé d’y consacrer des moyens en la personne de madame Christine, une enseignante polyvalente et coordinatrice du projet École du dehors depuis 2018.
« Mon rôle en tant que chef d’établissement, c’est de permettre, d’accompagner et de tester d’abord avec quelques-un·es, puis de faire tache d’huile auprès de tou·te·s. C’est en observant deux enseignants sortir régulièrement que nous avons décidé d’étendre l’expérience. Je crois fortement au fait que ce genre de projet naît du terrain, ça ne se décrète pas depuis un bureau. »
Chaque vendredi après-midi, madame Christine se concerte avec l’enseignant·e titulaire dont la classe sera de sortie la semaine qui suit. Toutes les trois semaines, chaque classe prend l’air un demi-jour. « On ne sort pas pour sortir. On identifie en duo la matière qu’on aimerait aborder, puis on réfléchit au milieu qui s’y prête le mieux », explique madame Christine. Il faut dire que l’école Saint-Joseph est bien lotie entre les champs aux abords de l’école, le centre-ville situé à 1 km et même des terrains privés aux alentours.
À force de voir les écoliers et écolières par monts et par vaux, certain·e·s citadin·e·s ont ouvert leurs espaces. C’est ainsi que la classe de 5e et 6e primaire s’est retrouvée dans le jardin d’un grand-père d’élève pour admirer quelques essences remarquables. Après quelques explications sur leur origine, la classe s’est intéressée à leur taille. Et quoi de mieux pour appréhender les dimensions que de construire son propre instrument de mesure ? Les élèves ont ainsi pu tester avec leur dendromètre l’affirmation suivante : lorsque j’aperçois l’arbre dans son intégralité, la distance qui me sépare de l’arbre est équivalente à sa hauteur.
Que ce soit pour travailler les mesures, rédiger des haïkus (des petits poèmes japonais), appréhender la notion de symétrie ou découvrir l’histoire de la ville, le dehors regorge de possibilités. Et ça « marche du tonnerre », dixit madame Christine. « Ce qui fait le succès de notre projet, c’est qu’il est collectif. Tous les enseignant·e·s sont impliqué·e·s et mon temps de travail permet à chaque titulaire de ne pas trop charger sa barque. On réfléchit en binôme, mais, en tant que coordinatrice, je peux gérer les à-côtés : repérer des lieux, imprimer du matériel, réaliser des recherches ».
Paul Vandeleene abonde dans ce sens : « Pour que le projet soit viable, il faut débloquer des moyens humains et matériels. Un volume horaire est valorisé pour le projet École du dehors et, lorsqu’il faut accompagner une sortie, nous proposons aussi des heures supplémentaires aux accueillantes. Le fait d’avoir quelqu’un en charge de la coordination donne une colonne vertébrale au projet. Par contre, c’est important qu’il ne soit pas trop lié à une seule personne pour en faire un vrai projet d’équipe ».

Trois petits tours et puis s’en vont ?

La recherche Extramuros de Christine Partoune met en avant un autre critère essentiel à l’école du dehors : la fréquence. Pour ces chercheurs, l’école du dehors est une école où les enseignant·e·s utilisent fréquemment le milieu en dehors de la classe (cour, espaces privés de l’école et milieu environnant) comme lieux à parcourir. Cette régularité permet d’asseoir une stratégie d’apprentissage qui part du milieu et développe l’appétit de savoir.
Christine Partoune précise : « Nous plaidons pour que l’école s’ouvre sur le milieu qui l’entoure et fasse société avec les autres acteurs du quartier pour développer une intelligence commune du territoire. Que l’école se trouve en milieu rural ou urbain, elle peut contribuer à la vie sociale ».
Autrement dit, sortir quatre fois par an pour apprécier les saisons ne relève pas de l’école du dehors. Le côté occasionnel de ces sorties ne permet pas aux élèves de construire des savoirs sur des éléments (re)connus. L’école du dehors suppose qu’on ouvre plus grand les portes et fenêtres de l’école pour qu’elle s’imbibe, s’imprègne, s’intègre pleinement dans son environnement jusqu’à faire de celui-ci un véritable terrain d’apprentissage.
Attention toutefois à ne pas tomber dans l’extrême, avertit Christine Partoune : « L’école du dehors partout et tout le temps n’aurait aucun sens. Il ne faut pas faire table rase de tout ce que l’intérieur offre de bon. La classe reste le lieu de référence pour effectuer une recherche en bibliothèque, manipuler du matériel précieux, exploiter un tableau, profiter d’un certain confort... Et puis les capacités d’accueil du milieu sont aussi limitées, le petit coin de nature serait vite dégradé si toutes les classes se mettaient à sortir chaque jour ». 

Changement de posture 

À Saint-Vaast, du côté de La Louvière, les lutins de maternelle se rendent trois fois par semaine dans leur classe du dehors, perchée au sommet d’un terril. Et ce, quelles que soient les conditions météo. « Cette expérience récurrente du dehors permet à l’enfant de connaître son milieu. Parce qu’il le connaît, il s’y sent bien, il reconnaît et nomme les éléments qui l’entourent, ce qui lui confère un certain pouvoir. À contrario, un enfant qui se rend épisodiquement dehors va avoir plus peur de toucher, de se salir », observe Christine Partoune.
On a tou·te·s en tête l’image de l’enseignant·e posté·e devant le tableau qui transmet des connaissances à ses élèves. L’école du dehors rebat les cartes et appelle un changement de posture. L’enseignant·e se retrouve aux côtés des élèves pour découvrir une espèce, rechercher de l’information, lire un plan…
« Dans les hautes écoles pédagogiques, une grosse partie du travail, c’est d’amener les étudiant·e·s à modifier leur vision de l‘enseignement et de l’enfant. Ils sont dans des représentations de type ‘Je vais leur expliquer’. Mettre l’enfant au cœur des apprentissages, c’est déjà quelque chose de compliqué en classe. Dehors, il y a vraiment une grosse peur de perdre la maîtrise et d’être mis sur la sellette », observe l’experte.
Églantine Dardenne, formatrice à l’École du dehors, confirme. « À l’extérieur, l’enfant est libre et acteur de son apprentissage, il se pose des questions et est son propre guide pour y répondre ». Rémy Remacle, instituteur à Marche-en-Famenne en 4-5-6e primaire, témoigne dans ce sens : « Mon point faible, c’est la connaissance de la nature. J’ai l’impression de ne pas tout connaître. Mon point fort, c’est que je ne sais pas tout, donc je vais aider mes élèves à se renseigner. Je fais plus confiance aux enfants. Il faut d’abord admettre soi-même que l’enseignant·e peut acquérir de nouvelles connaissances de ses élèves et les amener à réaliser une partie du travail ».

Un soutien politique pour légitimer ?

Des textes règlementaires et légaux pourraient également apporter de l’assise à l’approche de l’école du dehors selon Christine Partoune. « Les enjeux de l’éducation à l’environnement pourraient ainsi figurer parmi les finalités de l’enseignement. Il faudrait un texte qui soutienne et amène des directives fortes ».
Bernard Maréchal, enseignant à Stembert, confirme cette nécessité : « Quand je vois l’obéissance et le stress que certain·e·s enseignant·e·s ont par rapport au programme. Si l’École du dehors était instituée, s’il y avait une volonté politique venue d’en haut, cela changerait beaucoup la donne ».
Alors que les pays scandinaves ont ouvert la voie dans les années 1960, l’École du dehors reste encore marginale en Belgique. Les conditions pour qu’elle se développe sont désormais connues. Reste à savoir si la volonté est là, tant au niveau politique qu’au sein de chaque établissement, car on le sait, là où il y a une volonté, il y a aussi un chemin.

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