Vie pratique

L’Ufapec a publié en toute fin d’année 2021 une étude sur des comportements radicaux de certains parents tant auprès de leurs congénères qu’auprès des enseignant·e·s. Le tout dans le cadre scolaire, que ce soit sur un plan pédagogique, social, alimentaire, sanitaire, politique, philosophique ou religieux. L’école, selon l’organisation représentative des associations de parents de l’enseignement catholique, serait le théâtre de positions excessives et d’actes parfois peu civiques. Faisons le tour de la question.
Il règnerait comme une tension à l’école. Jusqu’ici rien de neuf. On sait les relations distantes et le dialogue difficile. Ce que l’on apprend, c’est le fait que des parents seraient de plus en plus véhéments entre eux et envers les profs. L’étude de l’Ufapec est née d’une réalité de terrain, sur laquelle Bernard Hubien, porte-parole de l’organisation, revient.
« Nous avons reçu un nombre important de questions, de témoignages de parents et d’associations de parents (AP) pour essayer de résoudre des problématiques de comportements radicaux. C’est-à-dire, des attitudes qui remettent en question le fonctionnement du système scolaire, de la part d’individus qui voudraient faire entendre leur point de vue fermé, auquel toute l’école devrait s’adapter. »
La crise, exhausteur de tension
Selon le porte-parole, cette tension serait le fruit de plusieurs inquiétudes. Des inquiétudes ? Bernard Hubien en pointe deux : celles liées à la réussite scolaire et celles liées à la santé mentale. « Sur ce dernier point, on sent qu’il y a énormément de désœuvrement chez les parents en ce qui concerne la gestion du mal être, de la dépression, du décrochement scolaire de leurs petit·e·s. Nous organisons beaucoup de séances autour de cette question, auxquelles les familles répondent présent parce que les enfants vont mal. Quand je suis appelé en mission de conciliation, cela ressort beaucoup. Même dans des parcours scolaires sans encombre, il y a beaucoup de souffrance ».
La coronacrise a-t-elle exacerbé les comportements des parents ? De l’avis général, elle a terriblement compliqué les relations entre les un·e·s et les autres. Nous avons rencontré un autre grand acteur de la participation parentale, la Fapeo, qui représente les AP du réseau scolaire officiel. Joëlle Lacroix, la porte-parole, a lu l’étude de sa consoeur. Qu’est-ce qui explique cette tension autour de l’école selon elle ?
« C’est justement qu’elle se passe autour et plus dans l’école. On laisse les parents dehors depuis deux ans. Dans plusieurs décrets, ça a été stipulé, ils ne sont pas autorisés à entrer. Nous sommes exactement dans la même situation que pendant les attentats de Bruxelles. La ministre Caroline Désir en est parfaitement consciente. Elle l’assure : ‘Dès que c’est possible, on rouvre les portes’. L’enjeu maintenant pour les parents, c’est de reconquérir ce territoire. Et il faut absolument que l’école écoute ce que ces derniers ont à dire. »
Côté terrain ? On se réfère à Christophe Butstraen, préfet des études d’un établissement de 2 000 élèves dans le Brabant-Wallon. L’homme, qui a co-arbitré notre dossier sur la relation parents-élèves-enseignants de la rentrée, réagit comme d’habitude en prenant de la hauteur.
« Il y a des tensions, oui. Il y en a une généralisée au-delà de l’école, dans toute la société. Toute crise exacerbe. Des parents trouvent que l’école n’en fait pas assez. D’autres qu’elle en fait trop. Dès qu’il y a de l’humain, il y a des failles. Sur fond de crise sanitaire, certains se font l’écho de discours préfabriqués sur le web, mais dans 90% des cas, rien ne se fait de manière outrancière. Nous vivons depuis presque deux ans une crise qui se fait dans un ‘pataugeage’ généralisé. Nous sommes sur les rotules. Les consignes ministérielles ont été très difficiles à gérer chez les parents. Côté école, à peine une routine se met en place, qu’on change. Parfois, nous devons justifier auprès des familles et des élèves des façons de faire que l’on ne comprend pas nous-mêmes. »
Mais alors, comment repartir sur de bonnes bases dans ce contexte de dysfonctionnement relationnel ?
L’enjeu maintenant pour les parents, c’est de reconquérir ce territoire. Et il faut absolument que l’école écoute ce que ces derniers ont à dire
Dites-le avec la forme
Bernard Hubien pointe un des problèmes. Selon le porte-parole, pour que le dialogue puisse se faire, il est important de bien distinguer la structure sociale de la famille et de l’école. « Un parent ne doit pas retrouver à l’école ce qu’il vit à la maison. Ce n’est pas le même temps. De même qu’il doit accepter qu’il n’est pas un client. Il confie à l’école une part de l’éducation de son enfant. Il est donc attendu qu’il sorte d’une vision individuelle pour une vision plus collective ».
Est-ce que toutes ces tensions sont à condamner en bloc ? Ne sont-elles pas l’expression d’un dialogue un peu désespéré qui a du mal à se faire ? On retrouve Joëlle Lacroix de la Fapeo qui partage les mêmes réflexions : « Les parents ne râlent pas pour le plaisir. Bien souvent, leurs observations font partie de la solution. Au-delà de maladresses, il y a de véritables demandes qui doivent être entendues de la part de l’école. N’oublions pas les intérêts convergents des enseignant·e·s et des familles : celui de l’enfant qui prime sur le reste. J’ai publié une étude qui s’intitule On n’est pas d’accord, c'est grave ?, où l’on observe qu’il y a quelque chose de très sain dans la mésentente. Bien sûr, ça demande un peu de technique. Un peu de forme ».
Même observation pour notre préfet des études qui en fait son cheval de bataille : « Des doléances exprimées ? Très bien, le débat fait avancer les choses, aucune école ne devrait en avoir peur. N’oublions pas que ce qui peut faire sourire à un moment donné peut s’avérer être un combat important pour la suite. Je pense à tout ce qui a trait à l’écologie, par exemple. Il y a quelques années les parents qui faisaient la guerre aux bouteilles en plastique à l’école étaient des casse-pieds, aujourd’hui, c’est devenu une norme ».
Mais alors, que faire en cas de tensions ? Comment réussir à renouer le dialogue ? Caroline Désir, consciente de la mise à distance des familles et dont le mot d’ordre sera la réintégration des parents dans les semaines à venir, compte sur les AP des écoles, les conseils de participations (CoPa) et autres outils démocratiques pour apaiser les relations. Mais est-ce suffisant ?
Une histoire d’adultes
Réapprendre à se parler, jolie mission, non ? Voilà qui évoque un souvenir de médiation auquel Joëlle Lacroix avait participé. « Il y avait un conflit immuable entre des parents et une direction d’école. À l’issue de ces séances, un protocole d’accord a été trouvé entre les parties. La directrice a convenu de la chose suivante : ‘Vous êtes autorisés à m’adresser un courriel par mois. Pas plus’. Plus de messages excessifs sur les boîtes mail, plus de coups de téléphone. C’est rentré dans l’ordre. Le fait de passer à l’écrit apaise. Le fait de circonscrire, de poser le cadre permet d’arriver à un accord. On fait le point. Après, je tiens à rappeler une grosse différence : on attend d’un·e enseignant·e qu’il/elle soit professionnel·le, pas d’un parent ».
Toute une série de balises, de bases de discussion existent. Une école ne fait pas ce qu’elle veut. Chaque parent qui inscrit son enfant dans un établissement a adhéré au règlement d’ordre intérieur (ROI). « Ce qui entraîne dans les cas les plus excessifs une réponse légaliste de l’école qui peut parfois agacer le parent ou lui faire peur. Par exemple, quand on brandit un ‘Si vous n’êtes plus en accord avec l’établissement, rien ne vous empêche de trouver une école plus en adéquation avec vos valeurs’. En général, ça cadre la discussion », ironise Christophe Butstraen.
Avant d’en arriver là, le préfet des études, tout comme la porte-parole de la Fapeo, rappellent qu’il est possible de se faire accompagner par un tiers, en cas de rapport sous haute tension avec l’établissement. « On a réussi à faire intégrer ce point, rappelle Joëlle Lacroix. C’est acquis. Cet autre peut être un oncle, une tante, un membre d’une association même. Jusqu’ici, les ministres ont toujours refusé cet appui, de crainte d’une judiciarisation des conflits. De la maternelle jusqu’à la fin de la secondaire, on peut donc rencontrer l’équipe éducative, épaulé·e par un·e proche mieux armé·e, mieux informé·e, qui a plus de recul. Bien pour les familles primo-arrivantes aussi, pour la barrière de la langue ou la culture scolaire qui varie d’un pays à l’autre. C’est mieux de faire appel à un tiers adulte plus qu’à un grand frère ou une grande cousine ».
Laisser les conflits se résoudre entre adultes, en effet. Tiens, en parlant de conflits, comment est perçue l’étude de l’Ufapec par les parents ? « C’est une question qui mobilise, déroule Bernard Hubien. Nous avons eu de bons retours, des parents soulagés. Et puis, d’autres qui nous ont dit qu’on ne comprend rien. Ce qui vient confirmer notre analyse : les parents peuvent même être radicaux vis-à-vis de nous… ».
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