Développement de l'enfant

On le dit peu, mal ou pas assez : les ados d’aujourd’hui sont tout aussi engagé·es que celles et ceux des générations précédentes. Ni mieux, ni moins bien, mais de manière complètement différente. Parents, on ne peut que vous recommander à encourager les velléités d’engagement chez vos jeunes, frais, explosifs, pleins d'arêtes et de pointes ébréchées.
Comme nous l’écrivions dans le Ligueur précédent, l’asbl Resonance, plateforme Jeunesse située à Ixelles et Namur, a eu la bonne idée de pousser les portes de la rédaction pour nous présenter son dernier effort Ancrage, consacré cette année aux visages du volontariat. C’est peu dire que ce dernier a connu une transformation flagrante ces dernières années. Ce qui s’explique de plusieurs façons, dont une qui nous intéresse aujourd’hui : cette jeunesse qui vient bousculer les codes de l’engagement. D’ailleurs, qui sont ces jeunes volontaires ?
800 000 jeunes engagé·es
D’abord, le contexte. Au-delà du sentiment de déperdition ressenti par le secteur associatif, les volontaires sont toujours là et il y en a autant. Ils et elles se sont considérablement rajeuni·es. Tout autant engagé·es que celles et ceux qui les précédé·es. Tout autant volontaires. On estime leur nombre à 800 000. Bonne nouvelle.
On jauge le taux d’engagement de la jeunesse à 10% en Flandre, un peu moins de 8% en Wallonie et près de 9% à Bruxelles. Depuis le covid, le secteur a pas mal ramé, l’associatif est face à un tournant. Mais comme nous l’apprend l’équipe de Résonance, toute la dynamique se réinvente. « Les aspirations des jeunes ne sont plus les mêmes. Les volontaires veulent des résultats concrets. Fini, les réunions interminables qui se succèdent, la réflexion trop longue. Les jeunes veulent retrousser leurs manches illico. Sans attendre ».
Observation qui colle avec ce que soulignait en son temps le sociologue français Jacques Ion, qui a étudié les mouvements de militance pendant trente ans. Ses travaux ont été poursuivis par Florent Manelli et Laura Jane Gautier qui, dans l’ouvrage Le feu ou rien : portrait d’une génération engagée (Mango), font la part belle aux nouvelles modalités du militantisme et du bénévolat. Un engagement clairement moins collectif ou de tradition familiale, mais fait de plus d’aspirations proches et ponctuelles.
Les jeunes, aujourd’hui, ne sont plus le soutien d’une structure. Ils veulent avoir leur mot à dire, lancer des idées de projets. L’asbl Résonance cite une des volontaires témoin de leur revue, Miel, 23 ans, qui explique qu’elle veut une égalité de décision avec les travailleurs et travailleuses. La jeune bénévole y voit là la marque d’une forme d’égard, de considération. Qu’est-ce qui explique ce changement de paradigme ?
À contexte anxiogène, engagement rationnel
Le contexte n’est évidemment plus le même que celui des générations précédentes. Jusqu’ici, les jeunes volontaires se battaient pour des lendemains meilleurs. Aujourd’hui, le combat porte sur un futur moins pire. La jeunesse se prend des réalités en pleine figure. S’angoisse pour des causes qui souvent la dépasse. Bigger than us pour reprendre le titre d’un documentaire sur Mélati - cette jeune Indonésienne de 16 ans dont le portrait est brossé en écho à d’autres activistes dans un monde salopé qu’il va leur falloir réparer - devenu depuis le slogan de la lutte à la David contre Goliath, mené par la jeunesse.
Jusqu’ici, les jeunes volontaires se battaient pour des lendemains meilleurs. Aujourd’hui, le combat porte sur un futur moins pire
Climat, genre, économie, crise d’accueil, plus communément appelé crise migratoire. Ils sont flippants les enjeux du monde de demain. Il fait peur le futur. Résultat, il faut agir, là, maintenant, tout de suite. Se battre. Le jus des énergies coule. Concrètement ? Fini, les débats d’idée, voici les jeunes en position de combat des échos plutôt que d'écoute des égos. La rage est rationalisée. Et se soigne par des actions concrètes.
Parfois, à la suite de ça, certain·es créent même leur association. Le modèle traditionnel de l’engagement collectif qui primait sur l’individu s’étiole. Lui a succédé un engagement plus distancié pour faire place aujourd’hui aux volontaires qui cherchent à maintenir un équilibre où la vie privée et les combats sont bien distincts. « S’engager, oui, mais en posant des garde-fous. C’est une autre approche, connectée aux émotions, plus pragmatique, plus délimitée », déplie Résonance.
Julie, 16 ans, qui agit depuis un an à la Plateforme Citoyenne, abonde. « Quand j’aide, que je sers des plats, que je guide, que je conduis, je suis à fond. 110%. Mais une fois la mission terminée, je reprends ma vie, je vois mes copines, je regarde des vidéos débiles, je fais des blagues, je mange des frites… (elle rigole) Je me déconnecte complètement de cet aspect engagé. Dont je parle très peu autour de moi. J’ai mes copains et copines de la Plateforme d’un côté et mes ami·es ailleurs ». Prendre du recul. Une bonne corde à l’arc bénévole. En faut-il d’autres ?
Le cercle vertueux du bénévolat
En d’autres termes, est-ce qu’il existe un profil type pour s’engager ? On pense - et c’est un discours que l’on entend beaucoup dans l’associatif - qu’il faut un certain sens du contact pour devenir volontaire. Les observations de l’asbl Résonance en la matière sont plus nuancées. Elle considère au contraire que la principale vertu de l’engagement associatif, c’est qu’il fait grandir. Qu’il fait évoluer. Ce qui explique sans doute qu’il se compose de moins en moins de profils type. Et qu’il comporte de plus en plus d’inclusivité.
Une information confirmée par la Plateforme du volontariat : l’engagement chez les jeunes ne souffre aucune frontière. Il est de plus en plus multiculturel. Il s’ouvre à toutes les strates, des rejetons bourgeois aux mômes primo-arrivants. Par exemple Emmanuella, la vingtaine, Nigérienne, explique qu’elle ne parlait pas français quand elle est arrivée dans le volontariat. Elle a commencé par faire des micro-trottoir. En anglais. Puis, à force de pratique, elle s’est mise à parler d’autres langues.
« C’est assez symptomatique de ce qu’il se passe aujourd’hui, observe Résonance. Il y a une véritable montée de l’engagement. On s’appuie sur les compétences des un·es et des autres. En l’occurrence, Emmanuella a été recrutée pour aborder des jeunes qui lui ressemblent, tout en se formant au français qu’elle a pu mettre en pratique rapidement. Petit à petit, elle a évolué dans la structure et pu s’attaquer à différentes missions. »
Elle explique que ces expériences lui ont permis de se créer un réseau. D’autres, comme Pierre, nous confirment que les expériences de bénévolat les ont ouverts à des rencontres qui leur ont permis d’aller au-delà de leur milieu social. À multiplier les maraudes pour la Croix-Rouge, Pierre a lié des amitiés sincères avec des personnes de milieux fragilisés qu’il n’aurait jamais rencontrées autrement.
Pourquoi on lutte
Les portes d’entrée sont différentes, mais on constate chez les bénévoles rencontré·es que les parents ont souvent joué un rôle. S’ils ne suscitent pas la vocation, ils aiguillent, notamment vers la première étape qui passe inévitablement par internet, où nombreuses sont les structures qui plébiscitent les rencontres avant l’engagement. À l’instar de la Plateforme du volontariat, par exemple, qui propose une phase test. Si ça convient, un galop d’essai pour être sûr de faire un bout de chemin ensemble. Si non, les structures orientent les gamin·es vers d’autres engagements à investir.
Autre porte d’entrée, celle des loisirs ou autres activités sportives. Judith, 15 ans, par exemple, s’est engagée via son club de hockey. On l’a encadrée, elle se rappelle sa formation comme d’un moment sans aucun sentiment de jugement. « J’ai eu le droit de faire des erreurs, d’apprendre par moi-même ». Ce sont des formations qui vont servir par la suite.
Que viennent chercher les jeunes à travers cet engagement ? Du sens, une identité, des croyances, des valeurs. Le bénévolat permet d’acquérir des capacités, on l’a vu mais, plus encore, il suscite une forme d’espoir. Dans un contexte maussade où tout semble perdu, voilà qui semble donner confiance en soi, nourrir l’idée que l’on reprend son destin en main.
On retrouve Miel qui se définit comme la génération GIEC. Pour elle, s’engager contribue à atténuer son éco-anxiété. « Nous éveillons le monde de demain vers une nouvelle transition », dit-elle. Et puis, il y a une notion de plaisir qui est omniprésente. Qui participe sans doute à cette forme de volatilité de l’engagement évoquée précédemment. Quand les jeunes n’y trouvent plus leur compte, ils vont ailleurs et retrouvent un autre groupe soudé autour de valeurs communes.
Terminé l’engagement des ainés, tributaires d’un ancien monde, trop ciblé, trop formaté ? Pas si vite. Malgré la diminution des dénominateurs communs, il y a un mot qui revient dans les bouches des jeunes pousses et des vieux grigous : intergénérationnel. Fort de ce constat, gageons que la volonté d’en découdre servira de socle. Et verra deux approches complémentaires s’unir pour mener à bien les combats porteurs de sens.
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