Développement de l'enfant

Kléa a connu une tristesse profonde. Marius* a sombré dans la dépression. Le parent peut accueillir, contenir et parfois aussi passer le relais. Mais pas tout solutionner. Au placard, la cape de super-héros.
Notre appel à témoignages sur la tristesse chez l’enfant sur notre page Facebook a été un bide. Trois partages et deux commentaires. Deux parents acceptent de témoigner. Deux seulement. Alors que la tristesse pourrait faire couler beaucoup d’encre, les parents se montrent réservés. Un peu comme si c’était un aveu de faiblesse de reconnaître la tristesse chez son enfant.
À l’heure où le bonheur se hisse en Graal absolu, la tristesse a mauvaise presse. Pourtant, elle fait partie de notre quotidien. Depuis le covid, encore plus. Être un enfant, c’est passer du rire aux larmes la moitié du temps, résume avec justesse Mandy Rossignol, professeure de neuropsychologie et psychopathologie à l’UMONS.
Parent pansement, parent tondeuse
C’était entre mars et mai 2020, le covid entrait dans nos vies et les écoles fermaient. Du jour au lendemain, Kléa, 10 ans et demi, se retrouve seule à la maison une partie de la journée.
« On n’a pas eu trop le choix, on travaillait tous les deux en maison de repos. Ma mère venait le matin pour assurer une présence, mais à distance et son papa rentrait manger avec elle le midi. Après cela, elle restait seule jusqu’à mon retour vers 15h30. »
Au début, Kléa donne le change et dit que les copains/copines lui manquent, mais sans plus. Progressivement, elle s’isole dans sa chambre. « Un soir, j’ai vu qu’elle avait les yeux rouges, on a dû lui tirer les vers du nez pour qu’elle dise que ça n’allait pas, qu’elle pleurait beaucoup et se sentait très triste. Je me suis tout de suite dit : ‘Merde, je n’ai rien vu, ma fille va mal et je ne m’en suis même pas rendu compte’ », confie Florence.
Comme pour toutes les émotions, la première chose à faire est de reconnaître la tristesse de l’enfant et l’accueillir, c’est-à-dire lui permettre de s’exprimer. Certains enfants, habitués à l’exercice, exprimeront facilement leur émotion verbalement. Pour d’autres, le fait de passer par un objet transitionnel comme le livre, le dessin ou des figurines facilitera l’expression.
« Pour le parent, c’est parfois difficile, car cette tristesse peut venir réveiller d’autres émotions en lui, explique Christelle Rasez, thérapeute en reconnexion émotionnelle. Pourtant, c’est très important que l’enfant sache qu’il y a un espace où cette émotion peut sortir. On a toujours trop tendance en tant que parent à mettre notre cape de superhéros pour sauver nos enfants. Mais ils ont surtout besoin que l’on permette à leur émotion d’exister, que le parent la reconnaisse. »
Ce réflexe parental de vouloir à tout prix évacuer la tristesse est aussi évoqué par Cindy Mottrie, professeure à l’ULB au sein du service de psychologie du développement et de la famille.
« On voit des parents qui mettent tout en œuvre pour que l’herbe soit agréable aux pieds de leurs enfants et que leur chemin soit dégagé des encombres, à l’image d’un ‘parent tondeuse’. Je pense que c’est une erreur et qu’il faut au contraire donner la possibilité aux enfants d’expérimenter la vie aussi dans les parts plus sombres qu’elle comporte et de ne pas les enfermer dans la joie uniquement. »
« La tristesse en tant qu’émotion passagère est saine, elle témoigne d’un besoin de dire que quelque chose ne va pas »
La tristesse fait partie des cinq émotions de base et joue un rôle central dans le développement de l’individu. « Chez l’enfant, la tristesse vient exprimer une prise de conscience que le parent n’est pas là que pour lui. Il y a une perte du sentiment de toute-puissance qui va permettre à l’enfant de grandir et de construire ses propres outils », explique Cindy Mottrie. Mandy Rossignol complète : « La tristesse en tant qu’émotion passagère est saine, elle témoigne d’un besoin de dire que quelque chose ne va pas ».
En exprimant sa tristesse, Kléa a exprimé un besoin. Celui d’être entourée et de se sentir aimée par les siens. Ses parents ont pu reconnaître et accueillir la tristesse de leur fille.
« Le parent est là pour contenir l’émotion et éviter qu’elle ne déborde. C’est un travail d’équilibriste qui consiste à accueillir l’émotion et en même temps à pouvoir mettre une limite pour qu’elle ne prenne pas toute la place », développe Cindy Mottrie. Mais contrairement à ce que certains pensent, il n’entre pas dans les attributions du parent de tout mettre en œuvre pour faire disparaitre la tristesse.
Mandy Rossignol met en garde. « Attention aux raccourcis, votre enfant peut très bien se sentir triste un week-end sans pour autant qu’on ne vienne coller une étiquette de dépression à son état. L’enfant n’a pas un répertoire émotionnel aussi riche que l’adulte et ne saura pas distinguer le fait d’être triste ou que quelqu’un lui manque par exemple ». Il importe aussi de tenir compte du contexte, être triste pendant le confinement parce qu’on ne peut plus vivre la vie comme avant ou que des proches nous manquent, c’est normal.
Émotion passagère versus état prolongé
Décembre 2019. Marius* a 6 ans et est en 1re primaire quand il sombre. Les premiers mois, il bataille pour garder le cap, mais, en décembre, le vernis craque. Marius part et revient de l’école en pleurant. Au retour de l’école, il se réfugie dans le sommeil. Du jour au lendemain, il abandonne toutes les routines essentielles à son équilibre. Fini, les séances de sophro et les cartes émotions. Marius sombre à l’école comme à la maison. Bien qu’il montre des signes clairs de dépression, ses parents passent à côté.
« Je pensais à une maladie physique, on lui a fait une prise de sang, mais tout allait bien de ce côté-là. En tant que parent, tu n’imagines pas que ton petit bonhomme de 6 ans fait une dépression. Par définition, un enfant est joyeux, rit et joue. C’est notre médecin traitant qui a posé le diagnostic de dépression. Un coup de massue pour lui et pour nous. Et une énorme culpabilité de ne pas l’avoir vu », confie Vanessa, sa maman.
Justine Gaugue, professeure en psychologie clinique de l’enfant et de l’adolescent à l’ UMONS, complète. « Le curseur entre tristesse, déprime et dépression n’est pas évident à placer. La dépression est assez rare chez l’enfant et ne s’exprime pas de la même manière en fonction de son âge ». Plusieurs signes cliniques sont toutefois caractéristiques : perte de plaisir et de vitalité, irritabilité, angoisse de séparation, on peut voir aussi apparaître des caprices ou de l’agressivité…
« Si ces signes persistent, il est indiqué d’en parler à des relais (médecin traitant, enseignant·e, psychologue). C’est important que le parent puisse repérer si l’enfant a un changement de comportement stable et faire la part des choses entre le transitoire et un état qui s’installe tout en tenant compte du contexte », poursuit Justine Gaugue.
Aujourd’hui, Kléa est sortie de son épisode mélancolique. Elle a même réussi à le sublimer. Tout ce temps mis à sa disposition lui a permis de nourrir sa passion pour les mangas. « Elle est à fond dedans, dessine ses personnages préférés, fait du cosplay (costumade). Dans un sens, le confinement aura aussi eu du bon », résume sa maman.
Depuis juillet 2020, Marius a intégré l’hôpital de jour Psysalide (Namur) pour entamer un travail thérapeutique. En parallèle, il fréquente aussi l’école attenante à l’hôpital. En fonction de ses capacités, il réapprend à être lui-même, à se concentrer, à retrouver une estime de soi. Parfois, une lueur se glisse dans son regard, signe qu’il retrouve aussi du plaisir dans ce qu’il fait. Des petits pas sur la route de Marius connu aussi pour son sens de l’humour exquis. « On n’a pas encore retrouvé ce côté clown, confie sa maman, mais il nous montre chaque jour à quel point il est capable de mobiliser des ressources incroyables pour s’en sortir ».
Cette démarche de reconnexion est au cœur du travail thérapeutique de Christelle Rasez. « Les enfants ont les outils à l’intérieur d’eux. Il faut juste les reconnecter à ça, au fait qu’ils ont le pouvoir de trouver à l’intérieur ce qui va les aider à aller mieux ».
* Prénom modifié
À SAVOIR
Les 6-12 ans pas plus tristes avec le COVID
C’est une note d’espoir dans un ciel gris. Si les ados et jeunes adultes souffrent davantage de tristesse et de dépression, ce n’est pas le cas des 6 à 12 ans.
C’est ce qui ressort du travail de recherche réalisé par Mandy Rossignol et Justine Gaugue, toutes deux professeures à l’Université de Mons, à l’initiative du site Home Stress Home. Les chercheuses avancent trois hypothèses pour expliquer le fait que la tristesse n’augmente pas chez les 6-12 ans, mais bien chez les ados et jeunes adultes :
- Les enfants sont moins touchés par les mesures liées au covid. Ils ont pu continuer à fréquenter l’école et participer aux activités extra-scolaires.
- Les enfants ont moins besoin du contact avec leurs pairs et sont plus dépendants de leurs parents.
- Les enfants vivent davantage dans l’ici et maintenant, tandis que les ados et jeunes adultes se projettent plus dans l’avenir, ce qui est compliqué à faire dans le contexte actuel.
EN PRATIQUE
Des livres pour en parler
- Petites histoires pour devenir grand, Sophie Carquain (Le livre de poche),
- Bleu, Britta Teckentrup (La Martinière jeunesse),
- Le jardin d’Evan, Brian Lies (Albin Michel Jeunesse),
- Un nœud à mon mouchoir, Bette Westera et Arend van Dam (Milan).