Loisirs et culture
Les récits de parents sur leur enfant atteint d’un trouble du spectre autistique ne manquent pas, mais L’Enfant Do d’Éva Battaglia, publié aux éditions belges du Cerisier, a le mérite de toucher chaque parent dans sa relation à son enfant, qu’il soit différent ou pas, à travers l’intensité de celle que l’autrice et son mari ont créée avec leur fille.
Ce récit ajoute au sérieux une profondeur et une sensibilité qui touchent ses lecteurs et lectrices. Cela commence dès les premières lignes : « C’est aujourd’hui. Je commence parce qu’un enfant ne naîtra pas et que je décide que de ce mouvement si vite arrêté, quelque chose restera. Mais ce n’est pas de cet enfant perdu, qui a si peu existé, qu’il sera question. C’est de l’enfant troublée, troublante, qui aurait été sa sœur que je veux parler. D’une enfant qui peut-être ne sait pas ‘comme nous’ ce qu’est un frère ou une sœur, mais qui, sans doute, l’aurait su aussi bien. À sa manière unique, je suis sûre qu’elle l’aurait aimé. Cette enfant étrange, c’est ma fille ».
Le ton est donné. L’émotion pointe par la force de ce qui est dit. La pudeur s’impose quand il s’agit d’aborder celle qui est au cœur de ce livre : Esther, 3 ans, la fille de l’autrice. Partager ce qu’elle a découvert et vécu apparaît vite comme une nécessité chez l’autrice. Ce qu’elle a découvert, d’abord, car si on n’apprend pas à devenir parent, on est encore moins préparé·e à devenir parent d’un enfant avec un handicap.
Dans le déroulé quasi chirurgical des étapes qui ont conduit au diagnostic alors que sa fille est âgée de 2 ans, Éva Battaglia livre ses doutes, ses interrogations, ses peurs, ses espoirs, ses combats intérieurs au fur et à mesure des consultations, nombreuses, éprouvantes. On en apprend beaucoup sur des réalités médicales et tout un vocabulaire précis constitué d’écholalies, d’inversion pronominale, d’atypies, d’idiosyncrasies, etc. Des mots étranges pour décrire des réalités qui ne le sont pas moins, qui parfois prêtent d’ailleurs à sourire avant de savoir qu’elles sont autant de symptômes. Des réalités plus froides aussi, administratives, qui s’ajoutent au reste.
Éva Battaglia rend aussi un hommage appuyé et mérité aux professionnelles douées, tenaces et sensibles (que des femmes, souligne l’autrice) qui ont accompagné le triangle formé par Esther, son père et sa mère : pédiatre, pédopsychiatre, orthophoniste, généticienne, art-thérapeute, éducatrices, psychologues - dont une pour de la guidance parentale -, psychomotricienne, accompagnante scolaire (rémunérée à leurs frais) et la nourrice enfin, si proche de la famille, si essentielle, qui, la première, a partagé « l’intuition secrète » de comportements inhabituels.
Le récit d’Éva Battaglia nous a également marqués par sa grande honnêteté, par exemple lorsqu’elle évoque ses vaines tentatives d’être une mère courage ou « l’inégalité brutale » quand elle reconnaît le privilège d’avoir l’argent nécessaire alors que « d’autres familles ne pouvaient pas se le permettre, que leurs enfants progresseraient moins parce qu’elles avaient moins d’argent ».
Outre qu’il nous met intensément au cœur de la relation parentale, le récit d’Éva Battaglia se termine par une ouverture sur les autres, contrefaits ou si beaux, dont elle a choisi le camp. Avec sa fille, ils forment désormais son continent.
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