Vie pratique

Familles de détenu·es : l’enfermement à l’extérieur de la prison

Subissant stéréotypes et contraintes de la prison, les proches de détenu·es doivent organiser leur quotidien autour de la personne incarcérée

Subissant stéréotypes et contraintes de la prison, les proches de détenu·es doivent organiser leur quotidien autour de la personne incarcérée. La sauvegarde de liens familiaux étant un pilier pour la réinsertion sociale, la Ligue des familles lance une campagne de sensibilisation sur le sujet.

« La première fois, lorsque je me suis rendue en prison pour rendre visite à mon frère, j’ai réalisé qu’on était un peu traité comme les détenus, se souvient Luna*, encore déconcertée. C’est très particulier. Le personnel des prisons n’est pas toujours sympa, les contraintes horaires sont très strictes, on doit passer par un détecteur de métaux, on patiente dans une salle d’attente pendant parfois une heure ». Souvent encore sous le choc, les proches de détenu·es sont brutalement confronté·es à un univers carcéral procédurier et à diverses formes de mépris social et institutionnel.
Si l’utilisation de l’emprisonnement a fortement évolué au cours de l’histoire, ses fonctions restent similaires selon les époques. « La prison a un rôle moral, elle sert à rappeler la loi, à protéger la société, mais aussi à transformer celui ou celle qui est puni·e et doit surtout viser sa réinsertion sociale, rappelle Mathilde Legrand, chargée de projet au sein de la Ligue des familles. Sur ce point, la Belgique n’est pas un bon élève, puisque le taux de récidive avoisine les 60%. Pour, un jour, espérer améliorer ces statistiques, plusieurs outils peuvent venir en soutien. « Le maintien de contacts avec l’extérieur, notamment avec la famille, est à ce titre essentiel », appuie Mathilde Legrand.

Plus d’infos sur la prison Box de la Ligue des familles

Expérience carcérale élargie

Pourtant, les contraintes sont nombreuses pour les proches de détenu·es : des horaires de visites presque incompatibles avec une vie professionnelle active et, souvent, une monoparentalité subie, des tarifs de deux à trois fois supérieurs à la normale que doivent supporter les familles pour que leur proche puisse s’acheter à manger ou passer un appel depuis la prison, le fardeau administratif lié à l’incarcération, des entraves à la vie de couple...

Le lien entre un enfant et son parent détenu est très souvent ébranlé par l’incarcération et est pourtant essentiel aux deux parties

Pour reprendre les termes de Caroline Touraut, docteure en sociologie, c’est ce qu’on appelle « l’expérience carcérale élargie ». « C’est en partant de ce constat que nous avons voulu visibiliser le quotidien des familles de détenu·es, décrit Mathilde Legrand. Ces familles font partie d’une zone grise au sein du système pénitentiaire et souffrent d’un manque de considération alors qu’elles sont un vecteur essentiel de la future réinsertion des détenu·es ».
Propulsé par le pôle éducation permanente de la Ligue des familles, le projet de sensibilisation « Prison Box » souhaite questionner l’impact du milieu carcéral sur la vie des familles. Une fois à l’intérieur de ce cube intriguant, on découvre un salon, un tas d’infographies qui dépeignent l’univers carcéral, ainsi que des QR codes via lesquels on peut écouter les témoignages de proches de détenu·es. À travers leurs difficultés, mais aussi leurs victoires, on réalise que l’expérience de la prison s’insinue partout dans leur quotidien.

Surreprésentation féminine

En y regardant de plus près, l’expérience carcérale élargie est le plus souvent endurée par des femmes. Selon la section belge de l’Observatoire international des prisons, la population carcérale se compose à 96 % d'hommes pour 4% de femmes.
« Apporter du linge, s’occuper des enfants, gérer les démarches avec les avocat·es, être solidaire envers le détenu et supporter le poids émotionnel de la vie en prison... Ça renforce le rôle traditionnel des femmes au sein de la cellule familiale et plus largement, de la société », regrette Mathilde Legrand.
Les femmes proches de détenus restent par conséquent souvent cantonnées à la culture du care, autrement dit le fait de prendre soin des autres. Ce rôle est en grande majorité et trop naturellement imposé aux femmes. Des enfants au conjoint en prison, les inégalités de genre persistantes font peser sur les épaules des femmes de détenus une charge mentale bien plus importante.

Amour et prison

Avec son conjoint de l’époque, Maude souhaitait fonder une famille. « Nous avons pris la décision de faire un enfant même si mon mari était en prison. En fin de compte, nous étions un couple comme un autre, on voulait construire notre avenir. Je suis tombée enceinte à l’intérieur de la prison. J’ai vécu ma grossesse et un accouchement compliqué toute seule. Je ne vais pas cacher que ces expériences ont été traumatisantes. Mais le plus dur lorsqu’on accompagne un proche incarcéré, c’est de savoir si ce qui persiste est vraiment de l’amour ou de la loyauté. Car lorsqu’on est séparés par ces murs, la vie de couple n’est pas simple ».
Aujourd’hui divorcée, Maude tient un discours très analytique de son expérience en tant que proche de détenu. « Les prisonniers vivent tellement leur enfermement comme étant la seule souffrance possible qu’ils n’arrivent plus à se mettre à notre place, celle des gens qui continuent de vivre à l’extérieur. C’est comme si nos deux réalités ne se comprenaient plus : d’un côté, le détenu est enfermé et privé de tout, de l’autre, sa compagne, sa sœur ou sa mère est emprisonnée dans un trop plein d’émotions, mais elle se doit d’être solaire pour apporter au détenu l’espoir de la sortie ».
Pour les épargner, certain·es en viennent donc à cacher au détenu la dure réalité derrière ce nouveau quotidien. D’autres en viennent même à mener une double-vie : « En dehors du père de mon copain, personne n’est au courant qu’il est en détention, confie Jeanne*. Lorsqu’on a un coup de mou, ce qui arrive souvent lorsqu’un proche est en prison, on n’a personne à qui parler. On en vient à s’isoler. Je n’ose même plus sortir avec mes ami·es car, souvent, je suis dans l’attente d’un appel de la prison et je ne veux pas devoir trouver des astuces pour me cacher. Les personnes qui nous entourent ne connaissent pas cette partie de notre vie et ne se doutent même pas de la charge que ça représente de devenir proche de détenu ».

Le lien enfant-parent à l’épreuve des murs de la prison

En Belgique, un détenu sur deux a un enfant mineur. Cela représente plus de 17 000 enfants avec un parent en prison. Pour le parent à l’extérieur, pas toujours possible de se rendre en prison avec le plus petit, la plus petite. Manque de temps ou d’argent pour rejoindre des prisons difficilement accessibles en transports et parfois loin du domicile, conditions d’accueil inadaptées à des bambins, particulièrement ceux en bas-âge… Le lien entre un enfant et son parent détenu est très souvent ébranlé par l’incarcération et est pourtant essentiel aux deux parties.
Actif au sein de onze prisons à Bruxelles et en Wallonie, le Relais Enfants-Parents vient en aide aux plus jeunes pour soutenir, voire rétablir ce lien filial dans un contexte difficile. Il intervient gratuitement, le plus souvent à la demande du parent incarcéré, mais aussi de l’enfant, d’un·e membre de la famille ou encore d’un·e juge de la jeunesse. « Avec l’aide de bénévoles, nous accompagnons les enfants pour qu’ils puissent rendre visite à leur parent en prison », explique Maurice Jansen, directeur de l’asbl. Des visites qui ne sont pas comptabilisées dans les quotas de visites des détenus.
« Il s’agit de visites supplémentaires dédiées aux enfants, précise Amandine Bosquet, psychologue au Relais. Le parent extérieur, souvent une maman, ne peut donc pas y participer. C’est primordial pour nous que l’enfant soit seul car si les deux parents sont présents, ça parle forcément de procédures, d’avocat, de problèmes de couple… L’enfant ne peut pas rencontrer son parent détenu de la même manière. C’est aussi une occasion pour le papa détenu de se reconnecter à la réalité de sa paternité en lui permettant par exemple de changer son bébé. Dans un moment où ils sont réduits à des numéros, ils ressortent de ces moments d’échange avec une meilleure estime d’eux-mêmes. »
Et le travail de l’asbl ne se restreint pas seulement aux visites. « Parfois, on aide un enfant à envoyer du courrier à son parent détenu ou à poser des mots sur l’incarcération pour ne pas qu’il se sente responsable, souligne Amandine Bosquet. Le lien enfant-parent revêt de multiples formes, surtout lorsque la prison vient s’en mêler ».

* Afin d’assurer l’anonymat, les prénoms ont été modifiés. Ces témoignages sont issus du projet Prison Box.

EN PRATIQUE

Des ressources pour les proches de détenu·es

  • Organisée dans chaque arrondissement judiciaire en Belgique et gratuite, l'offre d'accompagnement des services d’aide sociale aux justiciables (ASJ) s'adresse également à la famille et aux proches des personnes inculpées, condamnées ou incarcérées.
  • Le Relais Enfants-Parents travaille dans l’intérêt de tous les enfants mineurs dont un parent est incarcéré. Il peut également assister les parents extérieurs en tant qu’aide psycho-juridique et répondre à leurs questions.