Société

Le Délégué aux droits de l’enfant, un rôle, une institution, un porte-voix. Depuis quinze ans, Bernard De Vos l’habite sans pareil. Il l’a incarné avec un style bien à lui. Singulier, familier. Homme de réseau, charmeur, affable, à l’aise, on le sait surtout sincère, engagé, révolté même.
2022 devait être son dernier tour de piste, mais son mandat est prolongé en attendant que tout le circus politicus autour de sa passation de pouvoir se dissipe. Partira, partira pas ? Tout le petit monde de l’associatif ne parle que de ça. Lui craint surtout que tout le ramdam autour de sa succession finisse par entacher l’institution. Pire encore, que l’on politise ce rôle qui doit être au-dessus de toute couleur et des petits jeux de pouvoir. Laissons cet épiphénomène de côté et revenons sur ces quinze années intenses. Et, bien sûr, évoquons l’avenir, le sien comme celui de l’institution. Tiens, au fait, sont-ils si dissociables que ça ? Et que se passe-t-il une fois que l’on raccroche le costume ?
Fin d’automne. Fin de journée. Fin de mandat ? Bernard De Vos nous reçoit chez lui. Dans le jargon journalistique, cet homme de médias est ce que l’on appelle un bon client. Bavard, habile, passionné, passionnant. On sait en rentrant chez lui que l’on va revenir sur un mandat haut en couleur. Teinté de problématiques scolaires, environnementales, migratoires. Et politiques. D’ailleurs, beaucoup ont misé sur son futur politicien. Qu’en est-il ? Il réfute illico.
« Jamais. Ça ne m’a jamais intéressé. Bien sûr, mon job, c’est la voie royale pour un marchepied politique. Mais, selon moi, ce n’est pas transposable. Même si j’ai une conscience politique et que je m’inscris évidemment dans un élan progressiste, j’ai toujours veillé à maintenir des relations équidistantes avec chaque partie. Si ça bataille trop, si ça se dispute sur une proposition de loi, je propose à l’un·e ou à l’autre de manger ensemble et de lui expliquer pourquoi sa proposition de loi n’est pas correcte. Ma richesse, ma force, c’est mon annuaire téléphonique. Je dois donc maintenir des relations diplomatiques. Qualité essentielle à ce métier. »
Bien sûr, ce portrait est surtout l’occasion de jeter un coup d’œil dans le rétro. Difficile, vu l’état du monde, de dresser un bilan réjouissant. Mauvais traitements, mauvais accueil réservé aux enfants, tant en Belgique que dans tous les pays signataires de la convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Cela donne le sentiment qu’il y a beaucoup de choses à accomplir.
L’homme abonde. Si la réputation de la charte est bonne, hélas son application laisse à désirer dans certains pays. Le rôle du DGDE n’est pas le même ici ou dans certains pays d’Afrique subsaharienne, par exemple. D’ailleurs, notre portraitisé se félicite du nombre croissant d’états signataires, de prises de décisions importantes à l’échelle internationale, des impacts, des prises de conscience collectives, même si sur toutes ces épineuses problématiques, le monde bouge beaucoup trop lentement.
« Les prises de conscience mettent du temps à infuser auprès du grand public. Par exemple, je me félicite d’opérations comme Viva for life (événement caritatif lancé en 2013 par la RTBF pour lutter contre la pauvreté infantile, ndlr). Oui, ça ne plaît pas à une certaine sphère intello qui y voit de la bondieuserie. Mais en trois, quatre éditions, ça a permis de récolter plusieurs millions d’euros. Ce qui constitue une énorme bulle d’oxygène pour le secteur de la petite enfance ». Une co-victoire du DGDE dont Bernard De Vos se réjouit, quelles sont les autres ?
Menace de mort
On a fait le pari entre nous, à la rédaction, de la victoire que retiendra Bernard De Vos de son mandat. Le fait d’avoir lutté contre l’enfermement des enfants dans les centres de rapatriement ou dans les maisons familiales fermées ? Celui d’avoir mis la lumière sur les enfants de terroristes belges prisonniers dans les camps en Syrie entre autres ?
Étonnamment, notre homme en retient d’abord une autre : celle d’avoir rendu les enfants actifs. Les avoir fait participer aux débats qui les concernent. Et surtout de les avoir écoutés. Sur les deux points concernant la détention en centres et le non-rapatriement des enfants de terroristes ou de présumés terroristes, Bernard De Vos est plutôt amer.
« Le retour des enfants de Syrie, c’est loin d’être gagné. Nous avons été maltraités sur ces sujets-là. ‘Le DGDE est pro-islamiste’, a-t-on pu lire. Mais en quinze ans, je n’ai jamais traité de cas similaires où 25-30 enfants belges pourrissent dans des camps, où en hiver il peut faire jusqu’à -20°c. On parle d’ailleurs de plusieurs dizaines de milliers d’enfants dans le monde qui vivent dans ces conditions, dans l’indifférence générale de la communauté internationale. »
« Les gamin·es sauvé·es des menaces d’expulsion ? C’est grâce aux voisin·es, aux ami·es, aux familles qui vont manifester, faire des grèves de la faim. J’emboîte le pas. Si je suis moteur, jamais je n’arrive à quelque chose seul »
Là-dessus, comme à chaque fois qu’il évoque des dossiers sensibles, il se frotte la bouche, le regard dans le vague. Sur de telles prises de position, il a été menacé de mort. L’obligeant à mettre sa fille sous protection policière pendant plusieurs jours.
On le savait, mais on le réalise encore plus avec cette rétrospective : il faut avoir le cœur bien accroché quand on épouse cette fonction. Entre les enfants qui dorment dehors par grand froid, les 700 à 800 mineurs étrangers non accompagnés (MENA) sans parrain que l’on rejette, la pauvreté grandissante, les violences… On peut logiquement se poser la question : où se loge l’optimisme ? Visiblement Bernard De Vos n’en manque pas.
« L’espoir ? C’est le plaisir d’être avec les acteurs et actrices de terrain. D’ailleurs, que les choses soient claires : je n’ai aucune grande victoire personnelle. Je viens en renfort d’actions. Les gamin·es sauvé·es des menaces d’expulsion ? C’est grâce aux voisin·es, aux ami·es, aux familles qui vont manifester, faire des grèves de la faim. J’emboîte le pas. Si je suis moteur, jamais je n’arrive à quelque chose seul. »
Et alors, la suite, monsieur De Vos ? Que se passe-t-il quand on remballe la panoplie du DGDE ?
Sur la route des MENA
On ne raccroche jamais vraiment sa cape de défenseur des droits des enfants. La suite pour Bernard De Vos si un jour on veut bien le laisser quitter ses fonctions ? Un van aménagé, direction le Maroc.
« Je voudrais conscientiser les associations sur le long de la route des MENA. Aller à la rencontre des acteurs et actrices de terrain au Maroc. Rencontrer les gamin·es. Dresser des réseaux entre les associations d’ici et de là-bas pour mettre en place des retours volontaires d’enfants mandatés par leurs familles pour gagner ce soi-disant eldorado qu’est l’Europe. Croyez-moi, ils et elles déchantent vite face aux réalités de notre société. Seulement, quand il y a toute une famille qui a investi, difficile de faire machine arrière. Je me vois bien monter ça avec Synergie 14, l’asbl que j’ai cofondée. »
Il ne veut surtout pas faire d’ombre à son successeur ou sa successeuse. Comme son prédécesseur Claude Lelièvre l’a fait avant lui. Seulement, il insiste : « Le point central que je conserve de ce mandat, c’est la petite enfance. Je suis intimement convaincu que c’est là qu’il faut investir. Il est important de créer des accueils dignes de ce nom aux tout-petits. D’ailleurs à la question ‘Que faut-il faire pour les gamin·es en IPPJ (institution publique de protection de la jeunesse) ?’, je réponds toujours : ‘C’est simple, investissez dans de bonnes crèches’ ».
Pour parfaire les premiers instants de vie de l’enfant, on sait au Ligueur combien l’homme est attaché aux questions d’égalité dans le couple parental. Pour les congés parentaux, oui, mais aussi pour les enjeux éducatifs. Il consacre d’ailleurs un ouvrage sur l’évolution incroyable des familles et de tous les modèles éducatifs qui en découlent. Il faut en finir avec le soutien à la parentalité et parler plutôt d’accompagnement à la parentalité, affirme-t-il.
« Ça va au-delà du parent, il y a autour de l’enfant tout un réseau encore très traditionnel, dépassé par les problématiques éducatives actuelles. Il faut accompagner ces personnes au mieux pour qu’elles prennent en compte tous les enjeux actuels ». Le futur ex-DGDE estime que l’on n’aide pas assez les parents face aux crises de l’autorité dans les familles. Aux crises de démocratie à l’école.
« Trop de relégation, pas assez d’inclusion, les enfants sont élevés dans des conditions qui ne sont pas assez avancées. D’ailleurs, chez nous, les écoles sont le premier motif de saisie du DGDE. L’exclusion, le harcèlement, la propreté, les moyens que l’on se donne ou que l’on réclame aux familles : le climat n’est pas bon. Je suis inquiet des nombreux décrochages, en particulier un dont on ne parle pas, le décrochage assis. Ces enfants qui s’ennuient. Je ne l’impute pas aux enseignant·es dont je suis très admiratif du travail. Seulement, il faut que l’on réconcilie les mondes. Que l’on crée de vraies alliances éducatives entre enfants, parents, enseignants et tout le milieu AMO/EDD (accueil en milieu ouvert/école des devoirs), etc. Sans se regarder en chiens de faïence. »
Faire lien. Comme Bernard De Vos l’a fait entre la société civile et le politique. Elle est peut-être là, la solution ? Pour que rayonnent d’autres pistes, d’autres idées, d’autres dynamismes. C’est là que se niche l’héritage du DGDE, dans le devoir de faire régner des droits.
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