Développement de l'enfant

Seul le temps parlera, mais cette période post #metoo et #balancetonporc aura à coup sûr des conséquences sur les mentalités en matière d’éducation. Seulement, à force de le répéter, il ne faudrait pas oublier une première chose importante : dresser un constat. Voir auprès des filles et auprès des garçons où on en est et quels sont les réflexes sexistes que l’on instille encore aujourd’hui, comme ça, l’air de rien. Parlons-en à l’occasion de l’expo Women first 2018 qui a lieu les 27 et 28 avril à Bruxelles.
Nous avons fait le tour de différents psys, sexologues et centres de planning familial pour leur soumettre les témoignages de parents. Et vous allez voir que même si les parents sont pleins de bonne volonté, les clichés ont encore de beaux jours devant eux…
0-3 ans : premiers et mauvais réflexes
« Le féminisme, l’égalité homme-femme, font partie intégrante de nos préoccupations. Mais les appliquer en matière d’éducation, c’est une autre paire de manches. Il existe tout un tas de petits mécanismes sournois qui nous empêchent de bien œuvrer. Les bêtises comme ‘Les garçons ne doivent pas pleurer’, ‘Les filles doivent être gentilles’. Ça sort quand même, alors qu’on déteste quand les autres les débitent… »
Amina, maman d’une petite fille de 2 ans et d’un garçon de 3 ans
► Côté fille : « Les filles doivent être gentilles », « Elles sourient », « Elles sont polies »… Même avec une volonté d’éduquer sur un même pied d’égalité, les stéréotypes s’incrustent. Pourquoi est-il important de les combattre ? Parce qu’ils peuvent jouer sur la manière dont les filles vont se comporter. Voire les pousser dans une certaine direction.
Vous lâchez un petit « Le rose, c’est la couleur des filles » : rien de grave, pas vrai ? Sauf qu’à répéter ce genre de choses tant et tant, vous influez sur leur personnalité, leur regard sur le monde. Vous les enfermez dans un rôle avant même qu’elles aient songé à se faire leur propre idée. Et pourquoi ne pas leur donner la possibilité de poser plus tard des choix en adéquation avec leur personnalité et pas leur sexe ? Si vous multipliez ce genre de petits clichés accidentellement, rien ne vous empêche de les désamorcer en leur expliquant que le fait qu’elle soit une fille ne la limite en rien. Jamais.
► Côté garçon : on comprend bien Amina, le discours est une chose, la réalité de l’éducation en est une autre. Ce n’est pas pour autant qu’il faut jeter l’éponge. D’autant que les premières années d'éducation sont cruciales pour développer chez les garçons une approche au genre, insistent les experts.
Ça veut dire quoi ? Vous pouvez tenir tous les discours que vous voulez à votre fiston, si papa glande peinard pendant que maman sue à grosses gouttes, ça va être très difficile de lui enlever certaines représentations de l’esprit. Un partage des tâches en fonction des goûts et pas des aptitudes physiques, c’est une bonne première pierre. Oui, maman peut sortir les poubelles et papa peut coudre.
Les experts sont aussi unanimes : il est impossible d’élever des filles et des garçons de la même façon. Le parent s’identifie au genre de son enfant, il est marqué par l’éducation qu’il a reçue. Toutefois, avec la multiplication des modèles familiaux, l’éclatement de la norme et la très récente secousse féministe, les modèles éducatifs ont et vont ébranler la toute-puissante représentation masculine.
5-10 ans : la guerre des sexes
« J’élève seule mes deux enfants après une séparation qui s’est plutôt bien déroulée. Ma fille sort tout de même ces petites phrases type « Les garçons sont idiots », comme si elle se construisait contre un modèle masculin. Bénéfice : ses petits copains la rejettent et son grand frère, très marqué par notre séparation, est persuadé qu’il règne dans ce monde comme une sorte de guerre des sexes. C’est très difficile de lutter contre. »
Laure, maman d’une petite fille de 6 ans et d’un garçon de 9 ans
► Côté fille : il existe une certaine confusion chez une majorité de filles depuis l’ère post-affaire Weinstein, d’après nos experts. Si cette guerre des sexes est vieille comme le monde, la notion de genre s’est invitée, elle, il y a peu autour de la table familiale. Certains l’expliquent par le fait que les filles ont intériorisé un certain nombre de représentations dévalorisantes ou des conceptions qui les relèguent à des tâches peu gratifiantes. Même aujourd’hui, en dépit de modèles et de discours qui vont à l’encontre des stéréotypes. Le fait de brandir des petites phrases comme « Ils sont tous nuls, les garçons », ça ne dure qu’un temps. Selon certains experts, c’est une manière aussi de se construire comme personne forte, indépendante et libre de ses choix. Oui, dès 5 ans.
► Côté garçon : Les préjugés sont toujours bien tenaces. « Les filles sont moins fortes », « Elles ne savent pas faire la guerre », etc. Tout le travail du parent va porter sur l’analyse des représentations de son enfant. D’où viennent de telles idées ? Ça peut être le début d’une discussion passionnante sur la façon dont il perçoit ses parents. Une série de questions peut suffire à bousculer les points de vue de nos petits machos.
En un mot, essayez de nuancer la lecture « filles pleurnicheuses/garçons batailleurs » qui peut laisser la porte grande ouverte aux visions stéréotypées et très vite au sexisme. Comment ? En éduquant à la différence. Vous pouvez expliquer à vos enfants que oui, les garçons et les filles ne sont pas pareils. Ils ne jouent pas aux mêmes jeux. Cela pose parfois des problèmes d’entente. Mais est-ce parce que l’on n’est pas pareils qu’il faut pour autant ne pas s’accepter ? Appuyez-vous dessus et envisagez ensemble, entre frère et sœur par exemple, de voir comment s’entendre et nouer des relations de respect.
12-16 : l’autre, toute une aventure
« S’il y a une chose dont je n’arrive pas à parler avec mes enfants, c’est bien cette histoire de consentement. Je vois bien que ma fille de 14 ans est ébranlée depuis les cas d’agressions sexuelles dévoilés dans les médias et la lutte contre la culture du viol. Et je ne sais pas par quoi commencer. En fait, je crois même que toute cette histoire lui fait peur. Autant à elle qu’à ses copains. Et là, je parle autant des garçons que des filles. »
Noémie, maman d’une ado de 14 ans
► Côté fille : nous y reviendrons plus longuement dans un prochain article, mais s’il y a bien une chose qui crée l’unanimité tant chez les experts que chez les parents, c’est que la récente libération de la parole féminine a fortement ébranlé nos pré-ados et ados. Ils en parlent entre eux et, dans le meilleur des cas, à leurs parents.
Dans tout cela, une notion ressort parmi les autres : celle du consentement. Comment l’inculquer ? D’abord, en partant du corps de votre fille. Dès l’enfance, cessez de les forcer à faire des bisous aux tontons moustachus, par exemple. Et répétez que « Personne ne peut toucher ton corps, il t’appartient ».
Autre phrase à inculquer : « Quand je dis non, c’est non ». Parfait. À condition de respecter certains de ses « non » à elle. Aussi, quand elle vous pose des questions, sur votre relation amoureuse, votre vocabulaire est important. « Nous sommes ensemble, parce qu’on en a envie, que l’on s’est choisis ». N’hésitez pas à inclure les notions de désir, de plaisir, de choix et, bien sûr, d’amour.
► Côté garçon : une phrase qui a fait souffrir beaucoup d’hommes et avec eux pas mal de jeunes garçons, celle qui affirme que « Tous les hommes sont des agresseurs ». Vous l’avez peut-être même prononcée. Rappelez-vous ce que le Ligueur n’a de cesse de claironner : vos enfants sont des éponges qui entendent puis adhèrent à vos valeurs, donc également à vos préjugés.
N’hésitez pas à parler de « valeurs fondamentales », soit le respect de l’autre et l’écoute de soi. Apprenez à vos petits gars à respecter le refus des autres. Lorsque sa sœur ne veut pas qu’il entre dans sa chambre, expliquez que respecter son refus est tout aussi important que de respecter le sien.
Une nouvelle fois, vous montrez l’exemple : vos propres « Non » ne doivent pas se transformer en « Oui » (sauf exceptions, bien sûr). Tout ceci est bien évidemment fondamental dans la construction de vos garçons. Et non, vous ne les brimez pas. Au contraire, vous les libérerez d’une sacrée pression.
16 et + : l’ère porno
« Avec mon fils aîné, on parle sans filtre de sexualité. Et je vois bien qu’il a des archaïsmes que même son père n’a jamais eus. ‘Les filles sont toutes des salopes’… ou presque toutes. Ses potes ont une approche agressive vis-à-vis de la gent féminine. Ils font des blagues de cul lourdingues. Quand il invite une copine, il joue le petit coq. Malgré cela il s’est dit ‘choqué’ de l’affaire Weinstein et a beaucoup suivi ça comme s’il y était étranger. Il ne fait pas le lien, par exemple, entre les films pornos dégueulasses qu’il peut voir et les comportements sexistes. Pour lui, ce sont deux choses différentes. On a du pain sur la planche, les filles… »
Cynthia, maman de trois garçons de 7, 12 et 17 ans
► Côté fille : les experts sont unanimes sur un point important : la grande nouveauté de cette génération, c’est que les jeunes filles regardent massivement du porno. Pas de la même manière que les garçons. Et une grande majorité d’entre elles (60 % nous dit-on, mais nous n’arrivons pas à vérifier ce chiffre) affirment qu’elles se sentent mal à l’aise devant.
Pourquoi ? On vous le donne en mille, d’abord à cause de l’image de la femme véhiculée ainsi que les stéréotypes sexistes de l'industrie du X. Ce n’est donc pas une expérience sensuelle, mais plus une forme d’auto-éducation. Est-ce que cette petite révolution apporte un quelconque bouleversement ? Pas du tout. Chez nos ados, une femme qui a de nombreux partenaires jouit de pas mal de clichés hasardeux, là où les Casanova en herbe sont toujours autant valorisés.
Alors, le parent là-dedans ? Il peut d’abord expliquer que faire l’amour, c’est bon. Ce n’est pas juste une performance de deux bêtes (voire plus) de foire aux attributs surdimensionnés. Bien sûr, il faut essayer de trouver la parole juste. Et rien ne vous empêche de commencer par quelques questions : « Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? », « Est-ce que tu te sens d’en discuter ? ». Encouragez vos filles à être critiques. Et expliquez-leur ce que nos experts nous répètent : dans l’intimité, le corps reprend ses droits. Qu’elles le laissent parler plutôt que de tenter de reproduire les prouesses rencontrées sur les écrans.
► Côté garçon : aïe ! Nous partageons unanimement - experts compris - les propos de Cynthia : avec une majorité de garçons, il y a du boulot. Pourquoi ? D’abord parce que cette consommation de porno se fait de plus en plus jeune, certains experts nous parlent de gamins de 10 ans devant les films X.
Plus qu’un cours d’éducation sexuelle à « ciel ouvert », le porno fait office de norme. L’état de grâce n’est plus dans la rencontre, le partage, sans parler du désir de l’un ou de l’autre, mais bien dans la reproduction d’un parcours, avec son cocktail imposé : fellation-levrette-sodomie, s’il vous plaît. Et bien sûr, le tout est arrosé de postures codifiées : les hommes sont agressifs et les femmes sont des objets.
Alors, quoi ? On change le mot de passe et on tourne le dos ? Pas du tout. On les attrape par là où ils sont le plus sensibles : la quête de l’authenticité. Expliquez-leur ce que c’est le porno. Un Walt Disney pour éjaculateur ! Un marché prospère qui ne pense qu’au fric, avec des conditions de travail humiliantes et éreintantes, particulièrement pour les actrices. Et puis sortez les gros mots : c’est une industrie qui ne sert qu’à une chose : faire semblant.
L’idée n’est pas de les dissuader, mais de recentrer les choses et dépolluer les représentations. N’hésitez pas à expliquer qu’il est tout à fait normal d’avoir des pensées sexuelles, d’être attiré par le « prêt-à-jouir », mais qu’il n’y a pas d’urgence. D’ailleurs, l’âge moyen du premier rapport sexuel tourne toujours autour de 17 ans chez les filles comme chez les garçons et 1 ado sur 2 pense que l'âge idéal pour passer à l'acte se situe vers 15-16 ans. Les filles ne regrettent pas d'avoir attendu, alors que les garçons avouent qu'ils auraient bien commencé plus tôt. Oui, les clichés ont encore de beaux jours devant eux comme nous vous le disions en début d’article…
Yves-Marie Vilain-Lepage
En pratique
Où s’informer ?
- Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial : pour toutes les questions qui vous passent par la tête, n’hésitez pas à vous y référer.
- Love attitude : le fameux portail des centres de planning familial, qui regorge d’infos et d’études indispensables.
- Zanzu.be : l’idée du site est de s’adresser aux jeunes migrants. Il est traduit en 17 langues et fourmille d’informations qui vont être utiles à bien des ados, sans frontière aucune.